05/02/2015
Alessandro Baricco : Mr Gwyn
Alessandro Baricco, né en 1958 à Turin est un écrivain, musicologue et homme de théâtre italien contemporain. Après des études de philosophie et de musique, Alessandro Baricco s'oriente vers le monde des médias en devenant tout d'abord rédacteur dans une agence de publicité, puis journaliste et critique pour des magazines italiens. Il a également présenté des émissions à la télévision italienne. Il est un des collaborateurs du journal La Repubblica. En 1991, il publie, à 33 ans, son premier roman Châteaux de la colère, pour lequel il obtient, en France, le prix Médicis étranger en 1995. Son dernier roman, Mr Gwyn, est sorti l’an dernier.
Jasper Gwyn, 43 ans, est un écrivain britannique à succès. Un jour, en pleine crise existentielle, il écrit un article dans The Guardian pour annoncer qu’il renonce à écrire. Après une morne année sabbatique, il s’entrevoit pourtant un avenir mal défini encore dans son esprit mais consistant à réaliser des portraits d’inconnus, par écrit. Des peintures littéraires, en supposant que l’expression existe, expliquant « que ce projet d’écrire des portraits l’attirait parce qu’il mettait son talent à l’épreuve. »
Quand Jasper Gwyn se lance dans son entreprise, non sans avoir au préalable scénarisé son futur lieu de travail où il rencontrera ses modèles dans des conditions bien particulières (nus), avec un local bien précis et usé, des éclairages faits sur mesure et une musique de fond très particulière, le lecteur le prend pour un gentil barjot touché par une panne d’inspiration créatrice, prêt à tout pour réanimer la flamme. Mais très vite, on réalise que l’écrivain Baricco va nous conduire bien plus loin que ces apparences, nous entrons dans le processus de la création artistique qui par essence est mystérieux. Et réellement, par instants, j’ai eu la sensation d’en entr’apercevoir une part du mécanisme quand par extension, j’en ai appliqué cette illumination aux arts plastiques modernes qui me laissent insensibles – au mieux – en temps ordinaire.
Il est donc principalement question de l’art d’écrire, du métier d’écrivain et de ses aléas, « Tous les véritables écrivains détestent ce qu’il y a autour de leur métier, mais ils n’arrêtent pas d’écrire pour autant » ou bien « Il détestait lire à voix haute ce qu’il avait écrit – le lire aux autres. » Mais la littérature n’est pas faite que d’écrivains, il lui faut des lecteurs. Les portraits écrits par Jasper Gwyn ne sont lus que par ses modèles mais ils ont une puissance évocatrice immense qui les touchera au plus profond d’eux-mêmes. Création littéraire, implication totale de l’écrivain, pouvoir sur les lecteurs…
Un excellent roman, servi par une écriture qui donne envie de lire (j’ai même regretté que le roman soit si court, c’est vous dire !) et qui – cerise sur le gâteau - s’achève en mode polar avec une accélération du rythme et un mystère à résoudre.
« Il avait mis des années à admettre l’idée qu’écrire lui était devenu impossible et maintenant il se trouvait forcé de constater que sans ce métier il lui était très difficile d’aller de l’avant. Il finit donc par comprendre qu’il était dans une situation que partagent beaucoup d’êtres humains, mais pas moins douloureuse pour autant, à savoir : la seule chose qui nous fait sentir vivants est aussi ce qui, lentement, nous tue. Les enfants pour les parents, le succès pour les artistes, les sommets trop élevés pour les alpinistes. Ecrire des livres, pour Jasper Gwyn. »
Alessandro Baricco Mr Gwyn Gallimard – 184 pages –
Traduit de l’italien par Lise Caillat
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