25/04/2015
Philip Roth : Le Complot contre l’Amérique
Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Le Complot contre l’Amérique est paru en 2004.
Le roman se déroule aux Etats-Unis, entre 1940 et 1942, le président Franklin Delano Roosevelt n’est pas réélu battu par Charles Lindbergh le célèbre aviateur. Or Lindbergh est un sympathisant du régime nazi et il a basé sa campagne électorale principalement sur le refus de voir l’Amérique s’engager dans le conflit qui fait rage en Europe et aussi sur un antisémitisme rampant. Dès qu’il est élu, son premier geste politique consiste à conclure avec Hitler un pacte de non-agression. Le récit nous est narré par un certain Philip Roth, un gamin de neuf ans, âge qu’avait l’écrivain à cette époque, né dans une famille juive de Newark dans le New Jersey.
Roman de fiction historique, ou plus précisément uchronie, c'est-à-dire reconstruction historique d’évènements fictifs, d’après un point de départ historique. Et c’est toute la beauté de la chose car le vrai et le faux se mêlent avec une maestria effrayante. Les acteurs politiques ont réellement existé, leurs propos ont bien été tenus, ce sont les bases historiques avérées mais à partir de ces faits, l’écrivain fait diverger le sens de l’Histoire par des extrapolations qui lui sont propres. On voit comment un pays démocratique peut pencher vers la face noire de l’histoire, lentement mais sûrement, au point que de nombreux juifs ne verront pas venir la menace, même un rabbin aura ses entrées à la Maison Blanche. Au sein de la famille Roth, les avis divergent et seul le père (et la mère) s’opposera farouchement, du début à la fin, aux idées véhiculées par Lindbergh, abandonnant leurs emplois « pour faire échec au plan du gouvernement et nous protéger contre le subterfuge antisémite qu’il voyait (…) dans la loi de peuplement 42.» Rumeurs infondées, théories des complots, émeutes raciales, premiers pogroms et morts violentes, la mécanique infernale est connue mais elle fonctionne toujours. Un bouquin sidérant autant qu’inquiétant, car s’il y a invention de l’auteur, elle est terriblement crédible. Et même la fin, car il fallait bien qu’il y en ait une, en forme d’hommage à la démocratie américaine, tient la route. Mais je vous laisserai la découvrir.
Un excellent roman, complètement atypique dans l’œuvre de Philip Roth. Ceux qui n’aiment pas l’écrivain peuvent lire ce bouquin, ils n’y trouveront pas ce qui leur déplait ailleurs (j’imagine le sexe, les pleurnicheries hypocondriaques, les tracas de l’âge etc.) quant aux amateurs de Philip Roth, comme moi, ils y verront une autre facette du talent qu’on savait immense, de l’écrivain… même si, avis très personnel, je préfère l’autre Roth.
Dans un long post-scriptum, l’auteur a l’intelligence de nous fournir toutes les clefs historiques réelles, ce qui évite les longues recherches fastidieuses que je prévoyais de faire afin de vérifier certains points.
« Ce fut mon frère qui, une fois au lit ce soir-là, m’expliqua pourquoi mon père était sorti de ses gonds au point de dire des gros mots devant ses enfants. Cette joyeuse terrasse à l’ambiance familiale, en plein centre-ville, était une guinguette bavaroise, établissement qui n’était pas sans lien avec le Bund germano-américain, lequel n’était pas sans lien avec Hitler, Hitler qui, inutile de me le dire, avait tous les liens possibles avec les persécutions contre les Juifs. Cette ivresse de l’antisémitisme… voilà donc, me dis-je, ce qu’ils buvaient de si bon cœur sur leur terrasse, ce jour-là, comme les nazis sous toutes les latitudes, des litres et des litres d’antisémitisme, remède à tous les maux. »
Philip Roth Le Complot contre l’Amérique Folio – 557 pages –
Traduit de l’américain par Josée Kamoun
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