14/03/2019
Qiu Xiaolong : Cité de la Poussière Rouge
Qiu Xiaolong, né à Shanghai en 1953, est un auteur chinois de romans policiers et poète. Son père, professeur, est victime des Gardes rouges pendant la Révolution culturelle vers 1966 et lui-même est interdit d'études plusieurs années. En 1988, il rejoint l'Université Washington de Saint-Louis dans le Missouri pour y poursuivre ses études mais alors qu'il devait rester une seule année aux Etats-Unis, il décide de s'y installer après les manifestations de la place Tiananmen en 1989. C’est là qu’il vit désormais et enseigne à l'université de Saint-Louis.
Cité de la Poussière Rouge, paru en 2008, est un recueil de vingt-quatre nouvelles, un des rares ouvrages de relevant pas du genre policier cher à l’écrivain.
J’ai immédiatement été séduit par l’entame de ce livre. Dans le premier récit qui sert d’introduction, le narrateur s’adresse à un interlocuteur nouveau venu (le lecteur en fait) et lui présente son quartier, la cité de la Poussière Rouge, un faubourg populaire de Shanghai. Ici tout le monde se connait, on vit les uns sur les autres dans une aimable promiscuité et le soir on aime discuter entre voisins sur le pas des portes. Si les petites histoires de chacun font le gros des conversations, on ne néglige pas la grande Histoire, celle de la Chine, pour cela notre narrateur a inventé l’idée du tableau noir où chaque jour il inscrit quelques faits marquants, économiques ou politiques, pour les porter à la connaissance de tous ; chaque fois ces informations débutent ainsi « Ceci est le dernier Bulletin d’information de la Poussière Rouge pour l’année… »
Chaque récit/nouvelle est structurée à l’identique, ça commence par ce bulletin puis on embraye avec le récit proprement dit. Du général au particulier, de l’Histoire aux histoires. Tous les textes s’articulent astucieusement les uns avec les autres, et le bouquin s’ouvre sur l’année 1949 (quand le président Mao a proclamé la fondation de la République populaire) pour s’achever en 2008 (avec les Jeux olympiques de Pékin).
Cinquante ans durant lesquels les Chinois en ont vu de toutes les couleurs au point d’en perdre leur latin (heu ?) parfois. Et c’est là l’un des points forts de ce livre, de ce demi-siècle d’horreurs contées ailleurs sur un ton dramatique à raison, Qiu Xiaolong trouve le moyen de restituer la vie quotidienne de ces petites gens faite de peurs, de soumission, d’épreuves en tout genre, sur un ton léger et même très drôle parfois avec une ironie dévastatrice pour les puissants d’alors (« les gens d’ici aiment bien qu’on puisse sourire dans les bons et les mauvais jours »).
Ici c’est un vendeur de tofu qui se voit bombarder poète pour avoir écrit trois vers de mirliton mais qui sonnent justes pour qui met la lutte des classes à toutes les sauces ; là, c’est la visite du président Nixon (1972) qui affole le quartier, d’abord parce que tous pensaient que l’impérialisme était un diable à éviter, ensuite parce que l’Américain aurait louché sur la jolie serveuse du restaurant où il a déjeuné ; à moins que l’écrivain ne se moque du discours officiel dans cet autre exemple : un homme est libéré après vingt de prison faits à tort mais ça prouve la grande mansuétude du Parti, « Quand nous reconnaissons une erreur, nous la corrigeons. Sinon, vous auriez pu rester toute votre vie en cellule obscure » alors n’allez pas vous plaindre, en déduisons-nous ! D’autres textes peuvent aussi être très émouvants comme celui qui voit revenir de la Guerre de Corée, deux personnages dont les destinées seront très différentes.
Un bouquin finement écrit, riche en enseignements sur la vie de ces Chinois ordinaires, leur mode de vie (avec Qiu Xiaolong l’alimentaire est un sujet jamais négligé), leur manière de raisonner et finalement leur capacité d’adaptation, un pragmatisme ou l’art de retourner sa veste (selon votre façon de voir les choses) qui leur a permis d’endurer le Maoïsme, la Révolution Culturelle puis de passer à une sorte de libéralisme économique. Un monde qui change à grande vitesse et en décoiffe quelques uns….
Une lecture chaudement recommandée.
« La vie de la cité est vraiment très riche d’activité et d’échanges. Nous faisons partie d’elle et elle fait partie de nous. Par la porte noire ouverte, vous voyez l’entrée du rez-de-chaussée, transformé depuis longtemps en cuisine collective, où vous trouvez les poêles d’une douzaine de familles ou plus, des ustensiles de cuisine, des briquettes de charbon, et de tous petits placards aux murs. On se serre, mais ce n’est pas nécessairement un mal. En faisant la cuisine ici, vous pourrez apprendre toutes les recettes provinciales de vos voisins. Si vous rentrez trempé un soir de pluie, vous n’aurez pas à vous inquiéter d’avoir pris froid, parce que votre voisin Oncle Zhao vous préparera du thé au gingembre sur son poêle et que Sœur aînée Wu ajoutera une cuillerée de sucre roux dans la boisson brûlante. » [Bienvenue à la cité de la Poussière Rouge (1949)]
Qiu Xiaolong Cité de la Poussière Rouge Liana Levi – 222 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanchita Gonzales Battle
P.S. : Je remercie la charmante blogueuse qui m’a incité à lire cet ouvrage.
07:38 Publié dans NOUVELLES | Tags : qiu xiaolong | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |