15/12/2020
Richard Russo : Les Sortilèges du Cap Cod
Richard Russo, né en 1949, est un écrivain et scénariste américain. Il a grandi dans l'Etat de New York, obtenu un doctorat de philosophie en 1979 et un Master of Fine Arts en 1980 à l'Université d'Arizona, puis été professeur de littérature avant de se consacrer à l'écriture. Il vit et écrit dans le Maine avec sa femme et ses deux enfants. Les Sortilèges du Cap Cod date de 2009.
Jack Griffin, professeur dans une université peu réputée du Connecticut après avoir été scénariste de sitcoms à Hollywood, ne peut que constater que son mariage depuis plus de trente ans avec Joy part à vau-l’eau. Invités au mariage d’une amie de leur fille Laura au Cap Cod, ce week-end entérine leur séparation. Jack retourne à Los Angeles tenter de reprendre son job de scénariste et Joy regagne le Connecticut. Un an plus tard, tous deux s’étant remis en couple chacun de son côté, ils se retrouvent pour un nouveau week-end de mariage, celui de leur fille Laura. Et si ces retrouvailles ponctuelles étaient l’occasion de renouer avec leur ancienne relation… ?
Je n’avais jamais lu cet écrivain car d’instinct je ne le « sentais » pas, l’occasion de confirmer ou infirmer cette prémonition m’en étant donnée, je me suis lancé en choisissant cet ouvrage parce que c’était le plus mince de ceux disponibles à la médiathèque.
Il s’agit d’un roman psychologique, sur l’usure des couples, la mémoire et le legs atavique de nos parents. Sur l’usure des couples, ici Joy et Jack, l’écrivain porte un regard acéré mais somme toute réaliste, enrobé d’un humour grinçant qui fait rire jaune. Le personnage central étant Jack, c’est lui qui porte le fardeau le plus lourd car à la souffrance de voir son couple se déliter, s’y ajoute un méga problème psychologique issu de ses rapports avec ses parents. Rapports difficiles ce n’est rien de le dire.
Quand débute le roman, son père est décédé, incinéré, et l’urne contenant ses cendres attend sagement dans le coffre de sa voiture que Jack trouve l’endroit idéal pour les disperser. Son idée, profiter du week-end au Cap Cod pour les éparpiller dans la mer. Sauf, que ce geste ultime sera sans arrêt retardé pour mille raisons. Jack avait une relation difficile avec son père vivant, aujourd’hui il est dans le fond de sa bagnole attendant son heure ; quant à sa mère, qui ne souffrait plus son époux, ils vivaient séparés, elle encombre l’esprit de son fils, lui téléphonant à tout moment, vindicative et autoritaire, lui pourrissant la vie. Familles, je vous hais, comme disait l’autre. J’ai choisi un ton rigolard pour résumer cet angle du roman, Richard Russo la joue plus finement évidemment mais l’humour discret n’est jamais vraiment loin, non plus.
Reste la mémoire. C’est l’aspect du bouquin le plus complexe, Jack confronte ses souvenirs à ceux de sa mère, or tout ne colle pas, mais sa mère est âgée et Jack comme nous-mêmes savons que nous ne retenons du passé que ce que notre esprit veut retenir. De plus sa mère va lui révéler des choses qu’il ne savait pas. Et pour que tout ce micmac tourne gentiment à la prise de tête, l’écrivain mêle passé et présent étroitement ; si vous n’êtes pas très attentif à ce que vous lisez, vous serez obligé de retourner quelques lignes en arrière pour comprendre à quel moment de l’histoire vous êtes. La construction est savante et ne manque pas de talent.
Mais cette construction ne s’arrête pas là, Richer Russo a recours à un autre effet, l’effet miroir. Toutes les situations et rapports humains ont un double. Le week-end du mariage au début du livre trouve son double à la fin quand s’en ouvre un autre pour le mariage de Laura, dans l’un Jack et Joy se séparent, dans l’autre peut-être vont-ils se réconcilier ? Lors du premier, Jack transportait l’urne funéraire de son père dans son coffre, dans le second il y entrepose aussi ( !) celui de sa mère maintenant décédée. Enfant, Jack était tombé « amoureux » d’un couple, voisins de vacances, adultes plus aimable que ses parents, aujourd’hui un jeune homme d’origine asiatique est « amoureux » du couple Jack/Joy…. Etc. etc.
Le livre est dense, les flashs de souvenirs interviennent sans crier gare, il y a de l’humour basique (par exemple la séquence du choix du sapin de Noël) et de l’humour noir ou grinçant, de la mélancolie et un sentiment général d’amertume, de tristesse assumée, inexorable car ainsi va la vie…
Conclusion difficile, l’auteur a du talent mais j’ai été partagé entre amusement gentil et ennui parfois. Reviendrai-je vers Richard Russo, honnêtement je ne le pense pas, mais ce n’est pas une raison pour que j’en dégoûte les autres.
« Il avait pris une profonde inspiration et avait expliqué que Joy avait commencé à travailler tout de suite après sa licence, qu’elle avait trouvé un emploi intéressant dans lequel elle s’épanouissait. « Très bien, mais quel genre d’individu ne fait pas de troisième cycle ? » Sa mère avait légèrement insisté sur le mot individu comme pour suggérer qu’une telle personne ne pouvait appartenir à aucun des deux sexes, à moins qu’elle soit des deux. La pauvre Joy avait passé la première décennie de leur mariage à essayer de plaire à sa belle-mère, la deuxième à essayer de comprendre pourquoi ça ne marchait pas et la troisième à prétendre que c’était sans importance. Et depuis peu, elle envisageait de prendre un numéro sur liste rouge. »
Richard Russo Les Sortilèges du Cap Cod Quai Voltaire – 314 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
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