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Edouard Moradpour : Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose

Edouard MoradpourNé à Téhéran d'une mère russe ayant immigré après la révolution soviétique, Edouard Moradpour s'installe en Russie juste avant la chute du Mur, où il sera rapidement considéré comme le "père de la publicité". Il a déjà publié deux romans et celui-ci, vient tout juste de paraître.

Peut-on encore tomber amoureux lorsque l'on a choisi de mettre fin à sa vie? Eleonore, violoniste dans un orchestre symphonique et Julien, grand avocat d’affaires, ont trois jours pour décider de mourir ou de commencer à s'aimer car atteints de maladies graves, ils ont choisi la mort programmée, le suicide assisté, en Suisse.

Quand l’éditeur m’a proposé ce roman, j’ai été sensible à son argument « Il s’agit d’une histoire d’amour tournant autour du thème avant-gardiste du suicide assisté (euthanasie), sujet sur lequel l’état français devrait prendre position au printemps prochain (projet de loi à voter) ». J’attendais donc un bouquin traitant de ce sujet grave, une voix parmi d’autres pour éclairer un débat important. Quelle arnaque !! A moins que ce ne soit ma mauvaise compréhension de son email, le « tournant autour » devant être pris au pied de la lettre, on tourne autour effectivement mais on n’y arrive jamais !

En fait et plus simplement, tout est mauvais dans ce livre qui aurait dû paraître dans la collection Harlequin (avec tout le côté péjoratif accolé à cette remarque). Une histoire d’amour à l’eau de rose, digne des romans photos d’antan, les héros ont des professions libérales ou artistiques, ils évoluent dans des décors de luxe et font des voyages à Venise… L’écriture est formatée, les poncifs abondent et l’auteur plaque lourdement à son intrigue des références culturelles qui font chic et permettent de tirer à la ligne. La psychologie des personnages ne peut s’adresser qu’à des gamines, et encore, pas celles de notre époque.

Quant au fond, le suicide assisté, il est à peine abordé réellement, tellement vu de loin et tellement peu crédible d’un point de vue factuel que c’en est gênant pour ceux qui se sentiraient directement concernés par ce problème. J’arrête là mon billet car le fait qu’un tel bouquin existe, c’est déjà triste, mais qu’un éditeur le vende en mettant le suicide assisté en avant, c’est carrément une honte. Nul, archinul !

Je pense avoir été clair ?

 

« La brume froide surprit Eleonore, fatiguée, consumée par ces deux heures de travail. Elle releva le col de son manteau jusqu’à lui couvrir la bouche, elle eut l’impression curieuse de rentrer dans un tableau tout en sfumato ; la rue Saint-Séverin était baignée d’une lumière irréelle, confuse. Elle discernait à peine le boulevard Saint-Michel. Il y avait encore devant l’église un groupe compact, obscur, d’une dizaine de personnes emmitouflées, des exhalaisons blanches s’évaporaient de leurs bouches. Elle eut une drôle d’image dans la tête : celle de colonies de pingouins agglutinés contre le froid, elle en sourit. Elle aurait bien aimé écouter ce que disaient tous ces gens du concert. »

 

Edouard MoradpourEdouard Moradpour  Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose Michalon – 270 pages –

A paraître le 5 mars 2015

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Harper Lee : Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur

harper lee, Nelle Harper Lee, dite Harper Lee, née en 1926 dans l'Alabama où elle réside toujours, est une écrivaine américaine auteure d’un seul roman paru en 1960, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, prix Pulitzer en 1961. Ce livre est un classique de la littérature américaine, étudié à ce titre dans de nombreux collèges et lycées des Etats-Unis. Le roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1962 (Du silence et des ombres), réalisée par Robert Mulligan, avec Gregory Peck dans le rôle principal, obtenant trois Oscars et un prix au Festival de Cannes. L’histoire semblait s’arrêter là, mais un nouveau roman vient tout juste de paraître (Va et poste une sentinelle) ce qui m’a donné l’envie de lire ce fameux classique.

Années 1930, pendant la Grande Dépression, dans une petite ville de l’Alabama, au cœur de l’Amérique sudiste et raciste, Atticus Finch, avocat, élève seul depuis qu’il est veuf, ses deux enfants d’une dizaine d’années, Jean Louise dite Scout et Jeremy surnommé Jem. Jem, le fils, est l’aîné, tandis que Scout sa sœur, véritable garçon manqué, est la narratrice de ce roman. L’avocat est commis d'office pour la défense d'un Noir, accusé d'avoir violé une jeune femme blanche.

Quel beau roman ! Comment ai-je pu passer à côté depuis tant d’années ? Le titre peut-être, éveillait en moi un préjugé défavorable, m’alertant contre un bouquin nunuche ; grosse erreur de ma part, je le confesse. J’en sors conquis sans restriction aucune. Tout est magnifique dans ce livre.

La superbe idée de donner la parole à une enfant, n’est pas le moindre atout du bouquin. Ses naïvetés, ses questions sans retenue et ses interrogations permettent à l’écrivain de poser clairement les thèmes de son propos qui ne manque pas de hauteur. La fillette interroge et son père, un homme sage pétri de grandes qualités, enseigne par ses actes ou ses dires, les valeurs majeures d’humanité, de morale et de bonté envers son prochain. Que ce prochain soit un voisin mystérieux autant qu’invisible, reclus dans sa maison, ou bien un homme noir victime de la vindicte populaire prête à le lyncher. Scout et son frère, de manière différente, seront les témoins de situations difficiles – enfants d’un avocat blanc défendant un noir en Alabama – que seul l’amour de leur père et leur belle confiance mutuelle réussiront à maintenir soudés.   

J’ai aussi apprécié l’intensité dramatique équilibrée ; le roman débute par la vie paisible d’enfants dans une petite ville, leurs jeux et chamailleries, tous les personnages sont délicieusement croqués, longtemps après vient le temps du procès avant une accélération imprévue de quelques pages en fin d’ouvrage – tournant presque au polar avec cadavre dans le jardin.

Un excellent roman qui réussit le double exploit : être intemporel – par les messages qu’il véhicule – et s’adresser à tous les publics, à commencer par les plus jeunes qui en tireront un enseignement profitable touchant la justice, l’honnêteté, la rigueur morale, la tolérance… Des valeurs qui ne peuvent qu’être encouragées, aujourd’hui plus qu’hier.

 

« - Une dame ? Après tout ce qu’elle a dit sur toi ? – Mais oui ! Elle voyait le monde à sa façon, bien différente de la mienne, je te l’accorde… Je t’ai déjà dit que si tu n’avais pas perdu ton sang-froid, je t’aurais quand même envoyé lui faire la lecture. Je voulais que tu comprennes quelque chose, que tu voies ce qu’est le vrai courage, au lieu de t’imaginer que c’est un homme avec un fusil dans la main. Le courage, c’est savoir que tu pars battu, mais d’agir quand même sans s’arrêter. Tu gagnes rarement mais cela peut arriver. Mrs Dubose a gagné, de ses quarante-cinq kilos. Ainsi qu’elle l’entendait, elle est morte libre de toute attache. C’était la personne la plus courageuse que j’aie connue. »

 

 

harper lee, Harper Lee  Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur  Editions de Fallois -  346 pages –

Traduit de l’anglais par Isabelle Stoïanov (1989). Traduction revue et actualisée pour cette édition par Isabelle Hausser

 

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Italo Calvino : Si une nuit d’hiver un voyageur

italo calvinoItalo Calvino, né en 1923 à Santiago de Las Vegas (Cuba) et mort en 1985 à Sienne (Italie), est un écrivain italien et un philosophe. Calvino est à la fois un théoricien de la littérature, un écrivain réaliste, mais aussi et surtout, pour le grand public, un fabuliste plein d'humour dont la production très riche fait de lui l'un des plus grands écrivains italiens de la période moderne. Parallèlement à l'écriture littéraire, Italo Calvino a collaboré à divers scénarios pour le cinéma. Paru en 1979, Si une nuit d’hiver un voyageur a été réédité il y a quelques mois en poche.

Attention, si vous ne supportez que les romans à la narration classique, fuyez ! D’ailleurs, je ne sais même pas comment je vais pouvoir relater cet ouvrage qui sort des normes traditionnelles ni comment en parler, ne sachant pas vraiment si j’ai aimé ou détesté ! Tant pis, je me lance et je vous donne ma version de « l’affaire »…

Le roman (ou les romans) résulte d’une réflexion de l’écrivain sur les livres qu’il aimerait lire. De cette base il en tire ce livre qui recèle le début de dix romans qui par miracle sont reliés les uns aux autres par des astuces du type « poupées russes ». Honnêtement, si je m’en tenais au simple angle narratif, j’aurais abandonné l’ouvrage avant la fin. Cet aspect du bouquin m’a plutôt ennuyé, car finalement sans queue ni tête et relevant de l’Oulipo, dont Calvino était membre.

Par contre, si on oublie le roman pour ne s’attacher qu’aux nombreux passages ayant trait à la littérature proprement dite et qu’on les isole pour en faire une sorte d’essai inclus dans ce gloubi-boulga, là on se régale. Le texte est une mise en abîme où le narrateur, le lecteur et l’écrivain se renvoient la balle. L’écrivant abordant toutes les situations rencontrées par les lecteurs : les livres mal imprimés avec pages blanches ou extrait d’un roman glissé dans un autre, les pages qu’il faut séparer avec un coupe-papier, la bonne position à adopter pour lire, etc. J’ai adoré voir écrit noir sur blanc, tous ces petits détails qui sont notre lot quotidien à nous autres au pays des lecteurs et les dix premières pages du bouquin sont particulièrement jouissives. 

Sinon, j’ai été subjugué par des fulgurances de raisonnements ou de théories tout au long de ma lecture. En danger perpétuellement car au bord de la non-compréhension, le lecteur est intellectuellement stimulé et c’est étourdissant, au risque que cet étourdissement ne devienne soûlant…

Alors, bon bouquin ou bouquin à éviter, je ne sais pas vraiment, en tout cas je ne dirai pas « à éviter » car il y a de très bonnes choses là-dedans, mais il faut faire l’effort de les chercher. On ne peut pas avoir toujours un avis tranché.

 

« « Qu’importe le nom de l’auteur sur la couverture ? Transportons-nous en pensée d’ici à trois mille ans. Dieu sait quels livres écrits à notre époque se seront sauvés, et de quel auteurs on aura conservé le nom. Certains livres seront restés célèbres mais seront considérés comme des œuvres anonymes comme c’est le cas pour nous de L’Epopée de Gilgamesh ; il y aura des auteurs dont le nom sera toujours célèbre mais dont il ne restera aucune œuvre, comme c’est arrivé à Socrate ; ou ces livres seront peut-être tous attribués à un seul auteur mystérieux, comme Homère. » - Vous avez vu quel beau raisonnement ? s’exclame Cavedagna, puis il ajoute : Et il se pourrait même qu’il ait raison, c’est ça le plus beau… »

 

 

italo calvinoItalo Calvino  Si une nuit d’hiver un voyageur  Folio  - 362 pages –

Nouvelle traduction de l’italien par Martin Rueff

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Sandrine Collette : Des nœuds d’acier

sandrine colletteSandrine Collette, née en 1970 à Paris est une romancière française. Passé un bac littéraire puis un master en philosophie et un doctorat en science politique, elle devient chargée de cours à l'université de Nanterre tout en travaillant à mi-temps comme consultante dans un bureau de conseil en ressources humaines. Des nœuds d’acier, son premier roman, date de 2013.

Théo, qui vient de sortir de prison après dix-neuf mois de réclusion pour une bagarre ayant rendu paraplégique son frère Max,  part se mettre au vert en province. Il trouve enfin le calme, dans un gîte, perdu dans un bled au cœur de la forêt. Un jour, parti en randonnée, il tombe sur une masure où vivent deux vieux frères qui l’assomment et l’enferment dans leur cave où gît un autre homme gravement blessé. Désormais Théo sera leur esclave ! 

Quand débute le roman, le lecteur sait que Théo va réchapper à sa réclusion et tout aussi rapidement que ce n’est pas une blanche colombe, vouant une haine farouche envers son frère Max. Ceci posé dans un coin de votre esprit, débute le long calvaire enduré par Théo le narrateur après qu’il ait été fait prisonnier par deux vieux saligauds terrés au fin fond d’une forêt où nul ne risque de passer. Les deux frères vont faire de Théo leur esclave, enchaîné en permanence, à peine nourri, « logé » dans la cave sans chauffage, il doit trimer comme une bête toute la journée sous la surveillance du fusil de ses geôliers. Comme une bête, en vérité comme un chien, d’ailleurs Joshua et Basile les frangins, l’appellent ainsi, « le chien », les rares fois où ils s’adressent à lui.

Le bouquin est franchement angoissant car le lecteur suit pas à pas les souffrances de Théo ; souffrances physiques mais aussi psychologiques et c’est sur ce second point que le roman s’articule en des allers-retours fluctuants entre les relations entre les personnages. Entre Théo et Luc, l’autre prisonnier, blessé et captif depuis 8 ans ! Entraide au début puis une période de haine envers l’autre ; entre Théo et ses geôliers, tentant de les diviser et obtenant un semblant d’intérêt d’un des frères durant un moment ; mais aussi cet écho trouble entre les relations entre Joshua et Basile et celles entre Théo et Max deux fratries en souffrance.

Un roman prenant, du début jusqu’à la fin, inquiétant toujours, très dur parfois, ponctué de deux ou trois rebondissements gratinés et vous avez-là une vraie réussite. Et qui plus est qui fiche la trouille de partir en randonnée dans des coins trop perdus…

 

« J’ai réussi à relever la tête pour les surveiller. Je voyais flou, ça ne servait à rien, j’ai même commencé à rire. Basile a fait un signe à Joshua, qui a pris la casserole sur le fourneau et l’a apportée. Si j’avais été lucide j’aurais demandé ce que c’était, seulement mon esprit flottait curieusement dans la cuisine et seuls quelques sons incompréhensibles ont fait tourner la tête à Joshua. T’inquiète pas, il a dit. Ca va faire mal mais après ça ira. Et là, même attaché et ivre mort, j’ai senti à nouveau que j’avais peur et que je ne pouvais rien faire. La pièce tournait à me donner des nausées ; ma conscience s’égarait. Heureusement. »

 

sandrine colletteSandrine Collette  Des nœuds d’acier   Le Livre de Poche – 262 pages - 

 

 

 

 

 

 

« Le Cri d’Edvard Munch est pour moi une œuvre anxiogène dont l’atmosphère est proche de celle des Nœuds d’acier. » [Page 259]

sandrine collette

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14/09/2017 | Lien permanent

Jann Halexander : Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre

Jann Halexander, anne-cécile makosso-akendengué, léonard makosso-akendenguéJann Halexander (pseudonyme d’Aurélien Makosso-Akendengué) né en 1982 à Libreville au Gabon, vit entre Angers et Paris. Compositeur et interprète, il chante depuis 2003 en France, Belgique et Allemagne, il ajoute d’autres cordes à son arc artistique comme comédien réalisateur et auteur du présent ouvrage paru en 2013.

Ce billet sort un peu du cadre habituel de mes chroniques de livres j’en conviens et je l’assume. Je ne connais ni l’auteur, ni sa famille et pourtant c’est tout comme ou presque, en voici la belle histoire : il y a un peu plus de deux ans, Anne-Cécile Makosso-Akendengué (la mère et écrivaine) m’a envoyé l’un de ses ouvrages puis plus tard un second, tous chroniqués ici. Le père, Léonard Makosso-Akendengué en a fait de même et voici qu’aujourd’hui je reçois le livre du fils ! Quand la fille, Ariane, comédienne et poétesse, aura mon adresse je suppose qu’elle en fera autant ? Ce clin d’œil amical en préambule pour montrer que je ne vous cache rien…

Venons-en à ce livre difficile à classer dans un genre précis car il marie l’autobiographie et des réflexions diverses en s’articulant autour d’un vibrant hommage à Anne Sylvestre, chanteuse-compositrice dont il est un grand fan.

Il est fort possible que vous ne connaissiez pas cette artiste, moi, ça m’a ramené dans les premières années des sixties quand on pouvait l’entendre en radio ou la voir dans de discrets passages à la télé et dans les magazines. Depuis, dans l’indifférence des médias (et de ma modeste personne) elle s’est acquise un public de fidèles et continue son bonhomme de chemin dans la chanson à texte. Si vous consultez sa fiche sur Wikipédia vous constaterez qu’Anne Sylvestre nous renvoie vers la littérature par des rebonds familiaux inattendus…

Le livre, d’un format inhabituel (21x29) agrémenté de photos, est fait de courts textes, parfois sans lien direct apparent les uns avec les autres, mais qui forment finalement un portrait très vivant de l’auteur. Jann Halexander aborde sa vie personnelle avec lucidité, être bisexuel et mulâtre à la fois, pourrait rendre amer parfois au vu des réactions des autres, ce ne semble pas être le cas ou du moins pas trop. Sa vie à Libreville jusqu’à ses seize ans, des voyages, Moscou, Cologne… La mort de sa grand-mère maternelle, ses parents en couple mixte, son amour des chats. Mais bien sûr et surtout, son métier de compositeur et chanteur, chroniques de concerts, réflexions sur ce métier et la profession. Ce qui  nous amène à porter un autre regard sur ces chanteurs qui œuvrent dans l’ombre, fidèles à leur ligne artistique, grossissant lentement mais sûrement leur public d’admirateurs, bien loin des stars qui remplissent des Olympia ou des Bercy sur un claquement de doigts.

Une critique mal aimable parlerait d’un livre fait de bric et de broc, j’y vois un texte très touchant d’un artiste qui ne vit que pour son art et la satisfaction de plaire à son public, n’étant réellement à son aise que sur une scène.  

 

« Des mots simples rappellent le devoir, l’intérêt et surtout le bonheur de vivre ensemble. Langage du beau, langage du tendre. En tant que métis, me suis reconnu dans nombre de ses textes. Lazare et Cécile, Roméo et Judith auraient pu être mes parents, heureusement la famille de ma mère était – et l’est toujours – a-raciste. Pas de tolérance mais une acception mutuelle de la différence. La famille de mon père fut plutôt indifférente, voire un brin hostile à l’arrivée d’une femme blanche occidentale qui n’était pas prête à jouer le rôle de la bonne épouse africaine. Je n’ai presque aucun contact avec cette famille. Bien que des différences d’ordre social aient pu jouer entre mon père diplomate et ses cousins, au parcours plus fracturé, il serait stupide de croire que la colonisation, le racisme n’avaient pas laissé de traces dans les relations humaines. »

 

Jann Halexander, anne-cécile makosso-akendengué, léonard makosso-akendenguéJann Halexander  Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre  Label TH / Lalouline Editions – 54 pages –

Pour se procurer l’ouvrage il faut sortir des sentiers traditionnels car il n’est disponible à ce jour que sur PriceMinister ou EBay donc en vente par correspondance ou après ses concerts. Jann Halexander n'avait pas du tout envisagé initialement de démarcher des maisons d'éditions et l'a sorti via son label avec le soutien des Editions Musicales Lalouline. Aux dernières nouvelles, une version numérique du bouquin serait à l’étude.

 

 

« Ecrire pour ne pas mourir chante Anne Sylvestre. Oui, écrire pour ne pas mourir. Que les chansons soient ensuite sur disque, sur internet, c’est encore une autre histoire. » [Page 10]

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07/09/2017 | Lien permanent

Evan S. Connell : Mrs. Bridge

Evan S. ConnellEvan Shelby Connell (1924-2013) né à Kansas City dans le Missouri est un écrivain, poète et nouvelliste américain. Après avoir interrompu des études de médecine il s’engage dans la Navy en 1943 pour devenir pilote. Son premier roman, Mrs. Bridge, paraît en 1959 et connaît un succès international immédiat. Dix ans plus tard, Mr. Bridge, second tableau du diptyque, fera de ces deux romans objets d’un véritable culte, une source d’inspiration pour de nombreux écrivains avant d’être adaptés au cinéma par James Ivory (1990) avec Paul Newman et Joanne Woodward dans le rôle des deux époux. Pour autant il mènera sa vie dans la discrétion, quasiment reclus. En 2009, il est nommé au Man Booker Prize pour l'ensemble de son œuvre et reçoit, en 2010, le Robert Kirsch Award décerné par le Los Angeles Times. Ce roman vient d’être réédité. 

Dans ce roman l’écrivain dresse le portrait d’une femme, de sa jeunesse et son mariage, jusqu’à l’envol de ses trois enfants partis vivre leur propre vie au début des années 1940. L’action se déroule à Kansas City.

Un sujet très banal mais qui justement, par cette banalité apparente, en fait un très bon roman car il touche tout le monde. Ici, on parle du quotidien des gens, de leur vie de tous les jours à cette époque. Certes, il s’agit de la classe bourgeoise et blanche de l’Amérique, l’époux est avocat et sa femme reste au foyer, « une digne mère de famille, membre du Country Club ». Evan S. Connell ne peint pas une fresque, il focalise sur une frange de la société et plus particulièrement sur une famille très traditionnelle, plus encore, en se concentrant sur la place de la femme/mère/épouse Mrs. Bridge au sein de cette société de la première partie du XXème siècle.

Je ne sais pas si Evan S. Connell avait déjà en tête quand il a écrit ce roman, d’en faire un second avec l’époux en sujet central, mais dans celui-ci il n’est qu’une ombre, toujours à son bureau, une absence néanmoins attentionnée envers son épouse et ses enfants mais une absence quand même. Le roman traite de l’éducation des enfants, deux filles et un garçon, avec ses non-dits (éducation sexuelle) typiques de l’époque, de la manière dont ils vont grandir et s’émanciper, de l’étonnement induit causé à leur mère qui va découvrir que le monde change. Une femme toujours inquiète finalement car complètement déconnectée du monde réel, peu informée sur la crise économique ou la guerre en Europe, se reposant sur sa domestique pour le ménager et sans aucune idée des moyens financiers du ménage car la tâche en incombe à son mari exclusivement, passant son temps entre son Club, ses amies et les achats dans les magasins de la ville. De cette vie sans ombres nait un ennui diffus, « elle se sentait nerveuse et malheureuse », « Mrs. Bridge passait de longs moments à regarder dans le vide, oppressée par un sentiment d’attente. »  

Le roman est découpé en chapitres extrêmement courts (117 !), parfois de moins d’une page, qui sont autant de scénettes s’enchainant les unes aux autres sans obligatoirement une logique autre que chronologique et s’achevant souvent sur une phrase en guise de chute évoquant les soaps à la télé (ne manquent que les éclats de rire préenregistrés). Un rythme particulièrement agréable, un ton dans l’écriture plus que plaisant grâce au regard bienveillant de l’écrivain pour son héroïne. Et ce qui me paraissait au début du roman comme un bouquin très sympathique mais sans plus, s’avère en réalité un portrait robot très réussi de la femme américaine (mais pas que) moyenne de cette époque de l’Histoire. C’est en cela que ce livre peut être qualifié de « classique » de la littérature.

 

« La lumière s’alluma dans l’entrée. La toux de Mr. Bridge résonna, puis le grincement de la porte du placard et le bruit familier de la serviette sur l’étagère du haut. Submergée tout à coup par le besoin d’être rassurée, Mrs. Bridge se détourna rapidement de la fenêtre et se précipita vers son mari avec une expression de désir intense, sachant ce qu’elle voulait sans savoir comment le demander. Il entendit le bruit de sa robe et ses pas rapides sur le tapis. Lorsqu’elle fut près de lui (il était en train d’accrocher son manteau), il dit, sans irritation mais avec un peu de lassitude parce que ce n’était pas la première fois que cela arrivait : - Tu as oublié de faire graisser la voiture. » [Fin du chapitre]

 

 

Evan S. ConnellEvan S. Connell  Mrs. Bridge  Belfond Collection Vintage - 360 pages –

Traduit de l’américain par Clément Leclerc

 

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20/01/2016 | Lien permanent

José Angel Mañas : Je suis un écrivain frustré

José Angel Manas, michel houellebecq, José Angel Mañas né en 1971 à Madrid, est un écrivain espagnol. Il a fait des études d’Histoire contemporaine à l’Université autonome de Madrid, mais également dans le Sussex en Angleterre et en France à Grenoble. Après un premier roman paru en 1994 il est aujourd’hui fort d’une œuvre d’une grosse quinzaine d’ouvrages, dont quatre traduits en français, comme ce Je suis un écrivain raté qui date de 1996. Ce roman a été adapté au cinéma en 2005 par Patrick Bouchitey sous le titre Imposture.

Le narrateur, professeur d’université, critique littéraire reconnu mais écrivain en mal d’écriture et alcoolique, sèche devant la page blanche. Jusqu’à ce que l’une de ses étudiantes lui soumette un manuscrit du roman qu’elle vient de rédiger. Pour « J. » le narrateur, la solution à son problème d’écrivain en panne est toute trouvée…

Un tout petit roman au vu de la pagination, qui se lit très vite et très bien car très réussi, mais je dois le reconnaitre aussi, qui m’a constamment agacé tant le personnage principal, ce « J. » est un fieffé connard pour ne pas dire un sale con ! Traité en mode thriller sur un rythme rapide, je ne révélerai aucun secret en disant que le professeur va voler le manuscrit de l’étudiante et qu’à partir de là, il sera logique si l’on peut dire, que cette jeune fille soit mise hors circuit pour que le professeur tire gloire et profit de son méfait. 

L’écrivain réussi à caser beaucoup de monde dans ce petit bouquin, de nombreux personnages très agités autour de « J. » : Ana sa fiancée qu’il maltraite comme un sagouin, Véro sœur d’Ana qu’il zieute, Marta sa collègue prof nymphomane barjot, Mozart son ami/ennemi professeur mais écrivain à succès qu’il jalouse, Carmen femme du Mozart qui finira dans son lit et Marian, la malheureuse étudiante, seul personnage « normal » de ce roman. Le « héros » de ce roman évolue du macho bien lourdingue avec Ana, au paranoïaque avec Mozart en passant par le simple d’esprit avec son stratagème foireux vis-à-vis de Marian, pour finir dans la folie totale. Je vous le chuchote au coin de l’oreille pour que personne ne m’entende mais j’ai vu dans ce « J. » quelque chose que je ne saurais définir précisément mais qui l’apparente vaguement aux héros des romans de Michel Houellebecq. N’allez pas le répéter, ce n’est juste qu’une impression…

José Angel Mañas glisse aussi dans son texte quelques réflexions et vacheries bien venues sur le monde de l’édition, « Peu importe si le roman n’est pas très bon, c’est ce qui compte le moins. Avec le succès du premier, le deuxième se vendra sans problème ». Et le tout doit être envisagé sous le mode de l’humour (noir) bien entendu.

 

« Mon éditeur m’avertit de ne prendre aucun engagement, fit une série de démarches et me rappela quelques jours plus tard pour me dire que tout était réglé. La Maison était tellement contente de moi qu’on voulait me décerner le prochain prix Planeta. – (…) Maintenant, quoi que tu fasses, la critique te baisera les pieds et le public achètera tes livres. Avec toute cette publicité, ça va se vendre comme des petits pains. Il ne te reste plus qu’à te mettre à écrire. – Mais comment pourrait-on me donner un prix pour un roman que je n’ai pas encore écrit ! m’exclamai-je effrayé. – C’est toi qui me dis ça, comme si tu ne savais pas comment ça marche. »

 

José Angel Manas, michel houellebecq, José Angel Mañas  Je suis un écrivain frustré  Editions Métailié – 160 pages –

Traduit de l’espagnol par Jean-François Carcelen

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22/01/2016 | Lien permanent

Ivan Tourgueniev : Apparitions

tourguenievIvan Sergueïevitch Tourgueniev est un écrivain, romancier, nouvelliste et dramaturge russe né en 1818 à Orel en Russie et mort en 1883 à Bougival dans les Yvelines. Son père, officier supérieur, est issu d'une grande famille aristocratique d'origine tatare et sa mère une riche propriétaire terrienne. C’est dans la propriété familiale que Tourgueniev s'initie à la chasse et à la nature, laquelle nature joue un grand rôle dans ses romans. Confié à des précepteurs russes et étrangers dont il reçoit une excellente éducation, il apprend le français, l’allemand, l’anglais, le grec et le latin. Avec un serf, il commence à écrire ses premiers poèmes. Très tôt, il se rend compte de l’injustice des hommes des classes supérieures envers les serfs, injustice contre laquelle il se révoltera et se battra toute sa vie. Son œuvre compte sept romans, une douzaine de pièces de théâtre, de la poésie et de très nombreuses nouvelles comme celle-ci, parue en 1864, dont la particularité est d’être son premier texte fantastique.

Le narrateur, un jeune aristocrate russe souffre de troubles du sommeil depuis quelque temps. Une nuit, le spectre d’une femme à la silhouette diaphane l’invite à la rejoindre au pied d’un vieux chêne de la propriété. Le jeune homme refuse, hésite, mais chaque nuit elle revient et réitère sa demande, finalement il cède. Dès ce premier rendez-vous la créature avoue l’aimer et lui demande de prononcer ces mots « prends-moi ». Tremblant il s’exécute et le fantôme qui se nomme Ellis, le prend fermement dans ses bras et s’envole avec lui dans les airs. Plusieurs nuits de suite, le manège se reproduira, et leurs vols les mèneront un peu partout, l’île de Wight, l’Italie et Rome où lui apparaîtra Jules César, les bords de la Volga où se sont de violents pirates qui surgiront du passé, Paris et l’Allemagne… Après un dernier voyage dramatique, la créature ne reviendra plus et le jeune semble atteint d’anémie.  

De bonnes choses dans ce très court texte : un début très mystérieux ; l’évolution des sentiments ressentis par le narrateur : la peur, l’excitation, le plaisir de voler au-dessus du monde, puis la tendresse (et un peu plus ?) pour son amoureuse dont il ne sait rien car elle ne répond jamais à ses questions. Le fantastique et l’onirique se mêlent et c’est très beau.

Mais il y a aussi du moins bien car lorsque le lecteur referme le livre, il est en droit de s’interroger, qu’est-ce que tout ceci ? Est-ce une allégorie énigmatique ou bien l’écrivain a-t-il laissé sa plume libre d’écrire un conte onirique sans signification particulière, si ce n’est créer une ambiance éthérée propre à plonger ses lecteurs dans un plaisir ouaté ?

 

« … je ne dormais pas et ne pouvait même pas fermer les yeux. Voici qu’à nouveau retentit le bruit… Je me retourne… Le rayon de lune sur le plancher se met tout doucement à se soulever, se redresser, il s’arrondit légèrement en haut… Devant moi, transparente, comme le brouillard, se tient immobile une femme blanche. « Qui es-tu ? » demandé-je avec un effort. Une voix répond, semblable au bruissement des feuilles : « C’est moi… moi… moi… Je viens te chercher. – Me chercher ? Mais qui es-tu ? – Viens cette nuit au coin des bois, là où il y a un vieux chêne. J’y serai. » Je veux examiner les traits de la femme mystérieuse et soudain je sursaute involontairement : j’ai senti un courant d’air froid. Et voici que je ne suis plus couché, je suis assis dans mon lit et là où, semblait-il, se tenait l’apparition, il n’y a plus que la lumière de la lune qui forme un long trait blanc sur le plancher. »

 

 

tourguenievIvan Tourgueniev  Apparitions  La Pléiade Romans et nouvelles complets Tome 2 – 32 pages –

Traduction par Edith Scherrer

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21/05/2020 | Lien permanent

Sándor Márai : Divorce à Buda

sándor máraiSándor Márai (de son vrai nom Sándor Grosschmied de Mára) né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux Etats-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil qui le mènera de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Divorce à Buda date de 1935.

Un soir très tard, Imre Greiner, médecin, se présente au domicile de Krystof Kömives, le juge chargé d’instruire le dossier de son divorce avec Anna son épouse, et déclare : « L’audience ne peut avoir lieu demain parce que cet après-midi j’ai tué ma femme. »

Le roman est construit en deux parties, la première et la plus longue campe la silhouette du juge Kömives, son origine sociale et sa famille, son parcours depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, son mariage avec Herta et leurs deux enfants, sa carrière professionnelle. Tout ce passé permet à l’écrivain de dresser un portrait psychologique pointu de l’homme, « Trop correct, trop formaliste » selon son supérieur et investi d’une mission claire, « elle consistait à sauvegarder et à conserver », c'est-à-dire « sauver et éduquer la société. »

La seconde partie, et nous en venons au cœur de l’affaire, ressemble vaguement dans la forme à un autre roman de l’écrivain, Les Braises, où deux hommes discutent toute une nuit, dans un huis-clos pesant et lourd de sens. A cette différence près qu’il s’agit ici, non pas d’une discussion mais plutôt d’un long monologue de Greiner. Et à mon humble avis, c’est ici moins réussi même si ce roman est bon.

La situation prend rapidement un tour plus épais quand le lecteur découvre petit à petit, que les deux hommes se sont un peu connus à l’époque où ils faisaient leurs études et qu’ils ne s’étaient plus revus depuis, mais surtout, que le juge a croisé jadis Anna avant qu’elle épouse Greiner. Et c’est ce point crucial que le médecin veut éclaircir avant le lever du jour, quels étaient/quels sont les sentiments de Kömives pour Anna ? Car s’il est certain que sa femme l’a aimé, Greiner sait aussi que son épouse était restée attachée au juge. Cette révélation tardive va ébranler Kömives et soulever des questions sur l’ambivalence des sentiments, la réalité de l’amour total.

L’écrivain greffe son histoire sur une vision critique de la bourgeoisie de son époque et plus largement, sur la crise de la société (« les dossiers qu’il consultait témoignaient de la putréfaction de la famille, dévoilant entre leurs lignes, la « crise » générale de la société… »). Le vieux monde s’effondre, un autre va lui succéder, la longue nuit s’achève, le jour se lève, le juge Kömives « veut croire en ce monde visible et aussi en l’autre, qu’il ne connait pas. »

Un bon roman, un de plus pour cet écrivain que j’invite chaudement tous ceux qui ne l’ont jamais lu, à découvrir au plus vite.

 

«C’est que, déjà, une fermentation des esprits s’amorçait dans les profondeurs de la nouvelle génération, un vague mécontentement grondait, qui cherchait à s’exprimer par des mots d’ordre et des slogans ; les jeunes de cette grande famille se rencontraient au bord de l’abîme qu’incarnaient les extrêmes politiques, mais ils avaient en commun une conviction : la génération qui avait précédé la leur n’était plus capable de maîtriser le mécontentement social par ses méthodes révolues et pieusement charitables. Dans les profondeurs comme dans les hauteurs, aux étages des immeubles où se trouvaient leurs appartements bourgeois, les jeunes de la nouvelle génération préparaient quelque chose. Par tous ses pores Kömives le sentait – et il savait aussi qu’il n’appartenait plus à cette jeunesse. » 

 

sándor máraiSándor Márai Divorce à Buda  Le Livre de Poche – 247 pages –

Traduit du hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu

 

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Sandrine Collette : Animal

sandrine colletteSandrine Collette, née en 1970 à Paris est une romancière française. Passé un bac littéraire puis un master en philosophie et un doctorat en science politique, elle devient chargée de cours à l'université de Nanterre tout en travaillant à mi-temps comme consultante dans un bureau de conseil en ressources humaines. Animal date de 2019.

Pokhara au centre du Népal. Mara, jeune veuve, délivre deux petits enfants attachés au pied d’un arbre, elle les nomme Nun pour le garçon et Nin pour la fillette. Misère, bidonville, embrouilles, la petite famille explose, dispersée. Vingt ans plus tard, nous sommes au Kamtchatka, en Russie, Lior (aux allures d’Anne Parillaud dans Nikita), son époux Hadrien et un petit groupe de chasseurs chevronnés sous la houlette d’un vieux guide, participent à une chasse à l’ours brun qui va dégénérer quand ils vont s’attaquer aux traces d’un bestiau particulièrement retors, « Alors à l’aube, à l’instant où le ciel se grise, l’ours attaque » et le bouquin démarre réellement…

Le roman est divisé en trois séquences. Un prologue au Népal qui présente les principaux acteurs, Mara et les deux petits. Une première partie qui se déroule en Russie et narre une extraordinaire partie de chasse qui oppose Lior, une redoutable chasseuse à l’instinct hyper développé et n’ayant peur de rien, quasiment possédée par sa quête de la bête et un ours non moins banal, doté d’une intelligence hors norme. La seconde et dernière partie revient à Pokhara, Lior a aujourd’hui la trentaine, avec Hadrien elle est encore en chasse, mais cette fois la peur au ventre elle va devoir affronter les tigres – dont elle a une frayeur phobique depuis toujours, et son passé qui se refuse à son esprit.

Un roman qui m’a moyennement emballé, disons le tout de suite.

Je passe sur des points sans importance comme cette légère similitude avec Six fourmis blanches, un petit groupe lâché en pleine nature avec un guide portant presque le même nom qu’ici… La seule partie qui m’ait intéressé est la chasse à l’ours. La dureté du terrain, le drame, la « folie » presque surnaturelle animant la jeune femme, les ruses phénoménales déployées par l’ours, le désespoir d’Hadrien qui lui déteste la chasse et n’est là que pour suivre (comme il peut) sa femme. C’est costaud et la fin de cet épisode est absolument remarquable de beauté morale.

Et puis il y a la dernière partie qui revient au Népal et là franchement, ça devient souvent pénible. Pas que. Mais souvent. Je ne vous dis pas pourquoi mais tout lecteur normal a compris depuis bien longtemps (page 88 pour les moins rapides) le rapport entre les acteurs du Népal et notre héroïne. Et même s’il y a quelques jolies choses, globalement c’est trop long (Naïf ? Nunuche ? Convenu… ?), trop de redites et ce finale d’un lourdingue épouvantable…..

Le roman n’est pas mauvais, d’un intérêt en dents de scie, et je vois très bien pourquoi certains y trouveront leur compte, mais pour moi il y a trop de déchets. Sandrine Collette distille son histoire avec l’air de ne pas y toucher, une distanciation typique de son style habituel. Ce fût un atout précieux dans ses premiers romans mais maintenant je me lasse, l’effet de surprise n’est plus au rendez-vous.

 

« Mille fois, il s’était dit qu’il aurait dû s’enfuir. Abandonner Lior et sa fascination pour la chasse, et ces drôles de choses dans sa tête – il le percevait dans tant de signes minuscules : par exemple à la maison, quand elle se laissait tomber en arrière, raide et droite et les bras en croix, sur le lit, sur le canapé, sur le tapis. Chaque fois, le temps d’une fraction de seconde, il cédait à la panique, est-ce qu’elle perdait connaissance, est-ce qu’elle mourait. Elle restait immobile là où elle s’abattait, les yeux grands ouverts et le regard replié à l’intérieur. Qu’est-ce que tu fais ? disait-il dans un souffle. Elle ne savait pas. Cela lui venait, c’est tout. »

 

sandrine colletteSandrine Collette   Animal   Denoël – 283 pages –

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