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Rechercher : larmes blanches

Robert Ludlum : Les veilleurs de l’Apocalypse

Ludlum Livre 51VSN2el-XL._SL500_AA300_.jpgRobert Ludlum (25 mai 1927 à New York - 12 mars 2001 à Naples, Floride) est un écrivain, un comédien et un metteur en scène américain. Il est surtout connu pour ses romans d'espionnage.

Robert Ludlum (1927-2001) bien que né à New York, a grandi dans le New Jersey. Il se destine très tôt au théâtre, mais attiré également par la carrière militaire, il s'engage avant sa majorité dans les Marines durant la Seconde Guerremondiale. À la fin de la guerre, il reprend des études à l'université puis devient comédien et metteur en scène. À quarante ans, il se tourne vers l'écriture et devient célèbre avec ses romans d’espionnage (par exemple, la série des Jason Bourne, adaptée au cinéma depuis). Il a aussi écrit sous les pseudonymes de Jonathan Ryder et de Michel Shepherd.

Harry Latham, un agent secret américain, a réussi à infiltrer un puissant mouvement néonazi qui prépare activement l'avènement du quatrième Reich. Latham ignore qu'il a été démasqué et récupère une liste des principaux membres du groupe qui a été falsifiée par les néonazis qui y font figurer des membres influents des plus gouvernements américain, anglais et français. Quand Latham est abattu sous les yeux de son frère Drew, lui aussi agent secret, celui-ci décide d'endosser l'identité de son frère afin de faire croire aux néonazis qu'ils se sont trompés de cible. Il peut compter sur le soutien de rares collègues et d'une femme dont il devient l'amant, Karin, employée aux Renseignements à Paris. Drew découvre petit à petit la tentaculaire organisation nazie et parvient à semer la panique parmi ses membres grâce à un jeu de cache-cache et d'intox. Il s’avérera finalement que le nouveau Führer n'est autre que le mari de Karin, que tous croyaient mort. Dans la scène finale, les agents américains découvrent dans un château français des bords de Loire, un homme très âgé et vénéré par les néonazis, Adolph Hitler lui-même !

Je connaissais l’écrivain de réputation, mais je ne l’avais jamais lu, jusqu’à ce que je trouve ce roman dans une brocante. Paru en 1995, le roman Les veilleurs de l’Apocalypse avait tout pour me plaire, dans ce genre de littérature. Une histoire d’espionnage où les méchants sont incarnés par une bande de néonazis, un sujet qui fait toujours recette et qui par un curieux hasard fait écho aux récents évènements en Allemagne où un trio de néonazis a commis plusieurs crimes en dix ans contre des immigrés, sans être inquiété par la police jusqu’à ces dernières semaines. Scandale outre-Rhin et branle-bas de combat pour tenter de lier ces crimes au parti d’extrême droite du NPD.

Bref, j’étais prêt à me régaler de ce thriller contenant tous les ingrédients du genre et les premières pages semblaient conforter mon a priori. Hélas, j’ai bien vite déchanté. D’accord, l’intrigue est intéressante, mais tout le reste est lamentable ! J’en suis encore interloqué. Comment un écrivain aussi connu, peut-il écrire aussi mal ? Entre les digressions sans intérêt, les précisions qui rallongent gratuitement le texte et essoufflent le lecteur (plus de 600 pages !) et surtout, des dialogues au-dessous de tout. C’est surtout ça qui m’a dégoutté de la lecture de ce roman, sautant certaines pages je l’avoue. Si les discussions entre nazis sont plausibles, dès que les alliés (Américains, Français et Anglais) se parlent entre eux, c’est une vrai catastrophe ; alors qu’ils sont dans des scènes d’action brutale, certains s’exclament « mon cher », « ma chère », ou bien rallongent leur tirade par des traits d’humour ( ?) niais et ridicules, en tout cas complètement hors contexte. Bien entendu, il est possible que le traducteur porte une part de la responsabilité de cette horreur, mais il est d’autres indices qui me laissent penser que l’auteur est seul en cause, comme les scènes ridicules entre Drew et sa maîtresse Karin, des situations godiches etc.  

Je m’attendais à un bouquin sans ambition littéraire, mais capable de me faire passer un bon moment de lecture, en fait ce fut presque un calvaire pour en venir à bout ! J’ai fait des recherches sur Internet, il semblerait que ce roman soit l’un de ses meilleurs… En tout cas pour moi la cause est entendue, Robert Ludlum ne vaut pas tripette.

« - Quoi ? s’écria Latham, qui s’apprêtait à frapper au visage avec la crosse de l’arme le pauvre Frac qui se tordait de douleur. – Si vous voulez bien m’écouter… gémit le policier. Vous ne devez jamais ouvrir votre porte, sans être certain que c’est l’un de nous… - Vous avez dit que vous étiez de la DST ! lança Drew, en se relevant. A ma connaissance, il n’y a qu’un service de ce nom ! – Justement, monsieur, reprit Frac en jetant un regard compatissant à son collègue qui grimaçait de douleur. Le directeur vous a remis une liste de codes d’identification qui changent toutes les deux heures. Vous deviez demander celui qui correspond à cet espace de temps. – Des codes ? Quels codes ? – Tu ne les a pas regardés, mon chéri, glissa Karin, dans l’encadrement de la porte, une feuille àla main. Tum’as donné ce papier en disant que tu les lirais plus tard. – Ah bon !... »  

 

 

Ludlum images.jpgRobert Ludlum  Les veilleurs de l’Apocalypse  Pocket

 

 

 

 

 

 

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15/10/2012 | Lien permanent

Blandine Butelle : Voyez passer les orphelins

Quand j’ai ouvert ce blog, j’y ai inséré toutes mes critiques littéraires écrites depuis cinq ans, or je viens de m’apercevoir que j’avais oublié cette jeune auteure. Qu’elle me pardonne cet oubli impardonnable que je me hâte de rectifier, d’autant qu’il s’avère que son bouquin datant de 2011 est très bon. J’ai donc repris ma critique de l’époque :

 

Butelle Livre.jpgBlandine Butelle vient de m’envoyer par email son bouquin : « Je me permets de vous envoyer un exemplaire numérique de mon recueil de nouvelles "Voyez passer les orphelins" paru aux éditions Dédicaces. J'espère que vous en ferez bonne lecture. » Une fois la surprise passée et après avoir mis de côté la flatterie d’amour propre qui m’élit digne de cette lecture, je me suis attaqué à ce qui ressemblait fort au début d’un épisode de la série Mission Impossible « Cette mission si vous l’acceptez… »

Avant de me plonger dans le bouquin j’ai cherché à en savoir plus sur l’auteure. Le livre est déposé légalement à Québec (Canada), mais à le lire je n’y trouve nulle trace tangible incitant à penser que Blandine nous vienne de la Belle Province. Sur Internet j’ai trouvé trace d’un second ouvrage Quatre murs et un toit qui vient de paraître chez le même éditeur et je conseille d’aller faire un tour sur leur site si une envie d’édition vous trotte en tête. J’ai abandonné mes recherches ici, car après tout, seul le texte m’importait.

C’est d’ailleurs ce texte qui va me révéler que Blandine Butelle est amatrice de musique, déjà le titre de son livre Voyez passer les orphelins est évidemment tiré d’une chanson de Jean-Luc Lahaye (Les boutons dorés), dans une nouvelle elle écrit « nous avons creusé un peu plus notre surdité précoce à coups de riffs de guitare et de grunt pour ne pas entendre ses gémissements pour une fois plaintifs » le grunt étant une technique vocale qui donne à la voix un effet caverneux (Exemple : la version de Summertime Blues par les Who), tandis que le dernier texte nommé Waterloo fait référence au groupe Abba. 

Recueil de trois nouvelles, Voyez passer les orphelins évoque bien sûr des orphelins mais n’allez pas penser que nous sommes dans du Dickens, larme à l’œil et sanglots retenus, d’ailleurs pour reprendre une réflexion d’un personnage « Maintenant qu’il y pensait, il n’était pas sûr d’avoir déjà lu Dickens… ». Si le fond n’est pas gai, s’il y a de nombreux morts « on en était à douze meurtres en un peu moins de deux ans » constate l’un des personnages de Waterloo la dernière nouvelle, la forme nous entraîne plutôt vers l’humour noir et les vacheries froides.

Trois histoires de familles. Les filles de Padraic ont perdu leur mère beaucoup trop tôt mais, contrairement à leur père, elles ont échappé à l’orphelinat et maintenant qu’une des sœurs est décédée elles le cachent à leur père. Dans Les Torchons, Ondine elle, a espéré toute son enfance être débarrassée de son encombrante famille mais les choses ne se sont pas déroulées comme elle l’imaginait. La nouvelle la plus longue et la plus épouvantable, Famille Groseille en plus sordide. Enfin dans Waterloo, il y a Adèle qui aura une façon bien particulière de se soigner de sa triste enfance…

Blandine Butelle réussit par un habile tour de passe-passe stylistique à nous fourguer trois polars, sans intrigue policière ! En ne conservant que les ressorts psychologiques des acteurs et les cadavres pour que le lecteur ait un minimum à ronger – si j’ose écrire – mais en se débarrassant des poncifs éculés, inspecteurs, enquêtes etc. l’auteur nous intéresse d’autant plus à ses histoires. L’attention ne tombe jamais car la construction est soignée, des paragraphes courts, une alternance de points de vue selon les personnages (Les Torchons), ou bien des flash-back pour nous dérouter un peu. Les nouvelles ne sont jamais situées géographiquement, mais inconsciemment Les Torchons et Waterloo, les plus noires, je les ai imaginées dans un département du Nord de la France.

Un bon bouquin assurément.

 

 

« Une chanson en espagnol s’échappait encore de la radio. Le soleil se levait, le ciel était parfaitement dégagé. Une belle journée s’annonçait. Victor était allongé, les yeux ouverts. À quelques mètres de là, Mary sortait du brouillard. Elle devait se lever, elle le savait. Mais son corps pesait une tonne. Elle jeta un coup d’oeil versla gauche. Oscar était là. Sa poitrine se soulevait doucement. Cela fit si étrangement plaisir à Mary qu’elle ne put s’empêcher de sourire. Elle l’observa encore un instant, pour se donner du courage. Elle prit alors une profonde inspiration pour hurler à l’aide. Un à l’aide absolument inutile, le corps éjecté de Victor sur le macadam attirerait suffisamment l’attention des bonnes volontés qui se présenteraient. Dès la fin de ce cri, son corps s’affaissa sur le siège auto. Faire le moindre mouvement lui parut alors impossible. La chanson en espagnol, doucement, s’éloignait. » 

 

Butelle Blandine.jpgBlandine Butelle  Voyez passer les orphelins  Editions Dédicaces

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18/02/2013 | Lien permanent

David Lodge : Nouvelles du paradis

Lodge David Livre.jpgDavid Lodge (David John Lodge) est né en 1935 à Brockley dans le sud de Londres. Universitaire spécialiste de littérature et écrivain britannique, en 1987 il abandonne l'université, avec le titre de Professeur honoraire, afin de se consacrer entièrement à l'écriture. Son roman Nouvelles du paradis est paru en France en 1992.

Tante Ursula, sœur de Jack Walsh, se meurt d’un cancer à Honolulu. Exclue de la famille sur un malentendu depuis de très longues années, à l’heure de sa mort elle réclame la présence de son frère à ses côtés. Bernard, 44 ans, ex-pasteur ayant perdu la foi, va tenter de rapprocher son père, vieil homme bougon, d’Ursula.

L’expédition va s’avérer complexe. Jack n’a jamais pris l’avion et n’a pas l’intention de commencer à son âge avant de céder aux pressions de son fils. Le voyage en avion dure onze heures avec une escale à Los Angeles, David Lodge s’offre alors tout loisir pour nous donner de longs passages jubilatoires sur le tourisme et les touristes. Nous nous reconnaissons tous à travers ces passagers en partance pour le bout du monde pris en charge par une agence de voyage, dans les aéroports, à bord de l’avion longue-distance, à l’arrivée avec le décalage horaire et de température.

L’aventure ne fait que commencer, puisque Jack à peine arrivé à Hawaï, se fait renverser par une voiture qui l’envoie à l’hôpital avec un os cassé pour le reste du séjour. A partir de là, Bernard va faire la navette entre le lit de son père et celui de sa tante, tout en trouvant le temps néanmoins de se retrouver embringué à son corps défendant dans une love affair avec Yolande, la conductrice ayant écrasé son père ! 

Le roman est dense, car au-delà des péripéties narratives, il aborde des sujets graves et profonds mais toujours avec le ton légèrement ironique ou pince sans rire qu’on connaît chez l’écrivain.

Outre les personnages déjà cités, nous ferons connaissance avec les autres touristes de l’agence de voyage. Leurs joies et leurs peines, leurs motivations, leurs réactions face à la nouveauté quand on voyage à l’étranger, là encore David Lodge s’ouvre un champ de réflexions et de constatations qui amusent le lecteur. Tout ce beau monde se croise et se recroise dans Honolulu, que ce soit sur la plage ou dans les bars des hôtels ou bien sur le bord des piscines où s’agglutinent les touristes gogos, caméscope dégainé en permanence pour ne rien rater.

La famille Walsh, bien qu’ordinaire, permet à l’auteur d’entrer au cœur de son projet et d’être plus profond dans son propos. Bernard, l’ancien prêtre, est prétexte à de longues pages très intéressantes sur la religion catholique et la théologie. Le parcours du fils l’ayant condamné à la chasteté jusque là, sa rencontre avec Yolande va faire sauter les bouchons en tout genre et si l’on rit beaucoup, au fond transpire la tristesse de ces longues années de vie gâchée. De même, la rencontre enfin arrangée entre Ursula et Jack va apaiser une douleur qui les complexait tous deux depuis leur petite enfance et leur avait pourri leur vie d’adulte. Tess, la sœur de Bernard, arrivée in-extrémis à Honolulu va finalement renouer des liens tendres avec son frère. Et le roman s’achève sur une note d’espoir, Bernard et Yolande vont plus ou moins s’engager (mais je vous laisse découvrir comment) vers une vie de couple. Si Bernard a perdu la foi, il a peut-être découvert le paradis…

David Lodge aborde dans ce roman des thèmes qui lui sont chers, comme la religion catholique (voir son roman Thérapie), la sexualité (quasiment un mode d’emploi tendre et hilarant quand Yolande déniaise Bernard), les relations familiales à base de conflits nés de non-dits. Mais toujours, chez Lodge, cette volonté de parler des choses tristes, comme la mort et le deuil, sur un ton qui n’amène pas les larmes mais la réflexion douce amère. Ces Nouvelles du paradis, ne sont peut-être pas son meilleur roman, mais elles valent largement qu’on s’y intéresse.

 

«  La piscine, comme le sait Roger Sheldrake avec toutes les recherches qu’il a faites, n’est pas vraiment prévue pour le bain. Elle est petite et sa forme irrégulière interdit de nager longtemps droit devant soi ; en fait, il est impossible de faire quelques brasses sans se cogner aux bords ou rencontrer un autre baigneur. La piscine a été conçue en réalité pour que les gens viennent s’asseoir ou s’allonger tout autour et commander des boissons. Les clients, ainsi condamnés à de courtes baignades, finissent par avoir très chaud et très soif, et ils commandent beaucoup de boissons qu’on leur apporte avec des cacahuètes salées gracieusement offertes par la direction pour qu’ils aient encore plus soif et commandent d’autres boisons. »

 

 

Lodge David.jpgDavid Lodge  Nouvelles du paradis  Rivages poche

 

 

 

 

 

 

 

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15/12/2012 | Lien permanent

Paul Morand : Bouddha vivant

paul morandNé à Paris en 1888, Paul Morand commence en 1913 une carrière de diplomate qui le conduira aux quatre coins du monde. Révoqué après la seconde guerre mondiale pour proximité avec le régime de Vichy, il est rétabli dans ses fonctions d'ambassadeur en 1953 et mis à la retraite des Affaires étrangères en 1955. Elu à l'Académie française en 1968 il décède à Paris en 1976. Considéré comme l’un des pères du « style moderne » en littérature, il s'est imposé comme l'un des grands écrivains français du siècle dernier.

Bouddha vivant, date de 1927 et s’inscrit dans un cycle de quatre volumes (Chronique du XXe siècle) consacré aux races et continents avec L’Europe galante (Europe), Magie noire (Afrique) et Champions du monde (Amérique).

Certains font un rapprochement entre ce livre et les Lettres Persanes de Montesquieu, ça me semble plus un étalage de culture qu’autre chose ; sauf à accepter qu’un étranger « exotique » plongé dans notre société suffise à satisfaire à cette comparaison.

Le prince Jâli, fils du roi de Karastra, royaume fictif devant beaucoup au Siam, s’enfuit de son pays pour découvrir le monde et l’Occident. C’est à Londres qu’il connait l’illumination bouddhique mais les Anglais ne comprenant pas son message philosophique, il part pour Paris, rencontre Rosemary une jeune et riche héritière américaine qu’il rejoindra bien plus tard à New York avant d’échouer à San Francisco d’où il embarquera pour retourner dans son pays et succéder à son père décédé.

Un roman finalement assez étonnant car il casse les règles narratives auxquelles nous sommes habitués – mais je ne pense pas que ce soit réellement volontaire de la part de l’écrivain, plutôt et pour une part, un manque d’envergure quand Morand s’attaque au roman, alors qu’il semble plus doué pour la nouvelle. Etonnant donc, car dans une longue première partie il n’est question que de Renaud d’Ecouen, un jeune Français amoureux de mécanique devenu chauffeur de la Bugatti du prince Jâli depuis deux ans. Et tout porterait à croire que c’est lui le héros du roman, mais non ! D’ailleurs, il mourra et basta, ciao ! Heu…. ? Quant à la liaison entre Rosemary et le prince, elle tournera en eau de boudin, sans larmes ni regrets.

Ceci dit, le roman n’est pas mauvais, outre l’écriture de Morand toujours agréable à lire, on y retrouve des idées chères à l’écrivain, le monde occidental est toujours pressé (« Pourquoi allons nous si vite, demandait-il, puisque nous ne nous rendons nulle part ? »), avide de posséder (« Une chose vaut, à nos yeux, lorsqu’elle appartient à autrui ») et le constat critique de notre société déjà très moderne (« le silence de la retraite est brisé par le téléphone et par la radio grâce à laquelle la publicité vient à domicile vous asséner ses coups de poing en pleine figure » Nous sommes en 1927… !)

Un monde complètement étranger à la quête spirituelle de Jâli (Bien plus tard ce sera la même problématique pour le mouvement hippie ; le monde est donc fait de cycles qui vont et reviennent) qui va se débarrasser de toutes ses richesses matérielles pour ne se consacrer qu’à la recherche de son moi profond et tenter d’atteindre le nirvana et l’extinction du désir. Il devra pour cela affronter le regard et les réflexions des autres, le racisme en Amérique qui le séparera de Rosemary, se faire humble auprès d’un horloger chinois dans le Chinatown de Frisco et in fine, boucler la boucle en revenant au pays endosser le costume du roi, ses richesses et son pouvoir total. A-t-il trahi son idéal, s’est-il renié ? Seul l’avenir le sait.

 

« Voilà pourquoi l’Orient n’est plus sage, - fit Renaud en riant. – C’en est fini de la patience asiatique. La vitesse dévorera toute la terre comme elle a dévoré l’Occident. Des chars aux berlines, des automobiles à l’avion, l’on dirait que, plus elle va, plus l’humanité cherche à s’alléger et à quitter le sol. (…) Les machines sont des esclaves nécessaires, mais qu’on aurait dû surveiller de très près ; le principe en est excellent puisqu’il s’agit, grâce à elles, de travailler moins ; mais on le fausse, car l’on s’en sert aussitôt pour produire davantage. »

 

paul morandPaul Morand  Bouddha vivant  Gallimard Pléiade – 126 pages –

 

 

 

 

 

Ce volume de la Pléiade consacré aux romans de l’écrivain, contient également et entre autres, les titres suivants : Lewis et Irène, L’Homme pressé et Les extravagants.

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27/01/2017 | Lien permanent

Friedrich Dürrenmatt : La Panne

Friedrich Dürrenmatt Friedrich Dürrenmatt (1921-1990) est un écrivain, auteur de roman policier, dramaturge et peintre suisse de langue allemande. Petit-fils d'Ulrich Dürrenmatt, célèbre satiriste, poète et politicien bernois, Friedrich Dürrenmatt hérite de son esprit provocateur qui caractérisera ses travaux ultérieurs. Après une adolescence mouvementée il poursuit ses études à l'université de Berne. Il y étudie la littérature allemande et l'histoire de l'art, mais aussi les sciences de la nature. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à 24 ans, il écrit sa première pièce de théâtre, Les Fous de Dieu, qui provoque un scandale après sa première, le 19 avril 1947, ce qui le rend célèbre bien au-delà des frontières suisses. Au cours des années suivantes, il lutte pour gagner sa vie comme écrivain et pour surmonter un diabète handicapant. Il se met à écrire des nouvelles, des romans policiers, et des pièces radiophoniques pour subsister, mais il n'a jamais renoncé à écrire des pièces de théâtre. Dramaturge mondialement reconnu, il est également peintre : « l'écriture est sa profession, et la peinture sa passion ». Son roman, La Panne, date de 1958 pour l’édition française.

Alfred Traps, un représentant de commerce, tombe en panne de voiture dans un village. Obligé de passer la nuit là et l’auberge étant complète, il est hébergé par un juge à la retraite et invité à partager le dîner avec ses amis eux aussi anciens hommes de loi. Ces repas, copieux ( !) sont prétextes à un jeu, simuler un procès et ce soir, c’est Traps qui sera l’accusé sans que personne ne sache encore de quoi il serait coupable.

Court roman ou longue nouvelle, qu’importe puisque voici un excellent petit bouquin ! Très drôle tout du long, jusqu’à la chute qui l’est beaucoup moins, obligeant ainsi le lecteur à prendre un temps de réflexion sur ce qu’il vient de lire. Une construction réussie en somme.

Le roman est un huis-clos. Une poignée de notables autour d’une table richement garnie, « Un menu comme on en servait autrefois, du temps que les hommes n’avaient pas peur de manger », chacun endossant un rôle, avocat de la défense, juge, procureur et même l’ancien bourreau est de la partie. On mange, on boit, les questions à l’adresse de Traps se succèdent, lequel prend tout cela à la rigolade malgré les conseils de son avocat d’un soir. Puis, un début d’intrigue commence à sourdre, Traps a débuté dans le métier par la petite porte mais aujourd’hui il a fait fortune et circule dans une grosse voiture luxueuse, une promotion obtenue grâce au décès de son supérieur, mort d’une crise cardiaque. Pour nos valeureux hommes de loi, il y a là un terreau fertile à exploiter et ils vont s’en charger car « derrière chaque action peut se cacher un crime et derrière chaque individu un assassin. »

D’autant que l’accusé parlant à tort et à travers, ouvre la porte aux quiproquos induits par le langage propre ou figuré. Traps accumule les preuves contre lui-même par ses propos irréfléchis, bien qu’innocents en vérité, mais qui prennent un autre écho dans le contexte d’un procès. Au fur et à mesure que le « procès » avance, l’attitude de l’accusé va évoluer, la rigolade d’abord et longtemps puis à l’écoute du scénario développé par l’accusation, il va se découvrir autre qu’il n’est, « je commence à me comprendre moi-même, comme si j’étais en train de faire la connaissance de celui que je suis… » en arrivant au point de revendiquer le crime dont on l’accuse, avec une sorte de joie secrète à découvrir quel genre d’homme il serait et la gloire qu’il en retire.

Entre le polar et le roman philosophique, ce bouquin est jubilatoire jusqu’à la chute qui elle, est d’un autre registre. Une lecture chaudement recommandée. 

 

« Le procureur n’était lui-même pas loin des larmes quand il reprit, la voix mouillée : « Sa meilleure soirée, affirme notre noble ami. Voilà ce que j’appelle une parole, messieurs, un mot inoubliable, une parole touchante ! Qu’il vous souvienne du temps que nous avons passé au service de l’Etat, à accomplir une tâche rébarbative. Ah ! ce n’était pas en ami que se trouvait devant nous l’accusé, c’était en ennemi ! Et celui que nous pouvons enfin aujourd’hui serrer sur notre cœur, il nous fallait alors le repousser, rejeter… Sur mon cœur, cher ami ! » Quittant sa place après ces mots, le procureur se jeta sur Traps pour l’embrasser tumultueusement. »

 

 

Friedrich Dürrenmatt Friedrich Dürrenmatt  La Panne   Le Livre de Poche – 124 pages –

Traduit de l’allemand par Armel Guerne 

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01/09/2017 | Lien permanent

Josyane Savigneau : Avec Philip Roth

josyane savigneau, philip rothJosyane Savigneau, née en 1951 à Châtellerault, est une écrivaine et journaliste française. Entrée au journal Le Monde en 1977 elle sera responsable du Monde des Livres, le supplément hebdomadaire du journal, de 1991 à 2005. Elle est l'auteur de plusieurs livres, dont deux biographies, de Marguerite Yourcenar et de Carson McCullers, et d'un livre autobiographique, Point de côté. Son dernier ouvrage, Avec Philip Roth, est paru l’an dernier.

Josyane Savigneau est une grande admiratrice de l’écrivain américain Philip Roth et ce bouquin, finalement assez mince, revient sur ses rencontres avec lui et tente de nous donner des clés pour entrer dans le monde selon Roth. Un univers qui s’est clos en 2012 quand l’écrivain, né en 1933, a déclaré ne plus jamais écrire. L’ouvrage ne s’adresse pas à ceux qui n’ont jamais lu Roth – c’est mon sentiment et d’ailleurs certainement pas le but de l’auteure – par contre, si comme moi vous le connaissez un peu (j’ai lu une dizaine de romans, le tiers de son œuvre) et prenez plaisir à le lire, vous en ressortirez avide de le lire encore plus, ou mieux de le relire au vu des renseignements/analyses proposés par Josyane Savigneau.

Tout débute en 1992 et la première interview de Roth accordée à Josyane Savigneau. Ca ne se passe pas vraiment bien, « … il regarde sans arrêt sa montre (…) il refuse certaine questions (…) il attend que mes larmes coulent sur mes joues pour me proposer un verre d’eau. » Plus tard les choses s’arrangeront et les deux auront maintes occasions de se revoir chaque année. L’ouvrage n’est pas une biographie au sens propre mais évidemment des éléments biographiques sont abordés ou révélés pour mieux cerner l’homme et son œuvre, les deux piliers de cet ouvrage. Et ce n’est pas une mince affaire !

D’ailleurs on a le sentiment en refermant ce livre que Roth reste toujours, d’une certaine manière, un étranger pour Savigneau. Malgré sa parfaite connaissance de ses romans, ses multiples entretiens avec lui ou ceux qui le connaissent, on constate qu’il est très difficile de lui tirer les vers du nez en interview et combien de fois doit-elle avouer « je suis restée sur ma faim » ou « j’aurais voulu encore en savoir davantage ». Et nous donc ! C’est aussi le point agaçant du bouquin : la groupie qui n’ose pousser son avantage, sachant que contrarier le Maître lui barrerait à jamais la possibilité de lui baiser les pieds à l’avenir. Avouer ses fautes pour être à moitié pardonnée ? Inversement et paradoxalement, que Roth conserve une part de mystère m’enchante particulièrement, quand tout est trop expliqué, la saveur disparait.

Le livre revient principalement sur l’œuvre de l’américain et ses bouquins sont présentés sous l’éclairage des avis critiques de la journaliste ou de commentaires de l’écrivain lui-même. C’est réellement passionnant (Comment est né Nathan Zuckerman, par exemple) et mieux on connait ses livres, plus on en tire de profit, d’où l’envie déclenchée de les relire. Les propos de l’écrivain s’élargissent aussi au rôle du roman, son avis sévère sur les best-sellers ou sur les lecteurs et critiques littéraires d’aujourd’hui, au travail de l’écrivain…

Le bouquin ne tait pas les reproches que font à Roth ceux qui ne l’aiment pas. Sa misogynie - critique balayée par Savigneau (« Le manque d’humour de beaucoup de femmes ne les aident pas à lire Roth. ») mais qui ne devraient pas renouer le contact entre les unes et l’autre - ou qu’il soit un mauvais juif, ce qui inclut parler de sexe dans ses romans.

Un livre qui m’a beaucoup intéressé, malgré quelques défauts : des répétitions, la construction générale qui nous fait revenir sur des ouvrages ou des points déjà abordés plusieurs fois, la position de Savigneau - misérable fourmi - par rapport à Roth - dieu tout puissant. Mais je ne sais pas à quel public il s’adresse. Si vous n’avez jamais lu Philip Roth, il est trot tôt pour l’ouvrir ; si vous ne l’aimez pas, je ne suis pas certain du tout qu’il vous fasse changer d’avis ; si vous êtes un grand connaisseur de l’écrivain américain, il vous semblera certainement trop court, dans tous les sens du terme ; ne restent donc que les gens comme moi, amateurs de Roth sans être assez calés pour en faire une analyse pointue. Je ne vais donc pas me plaindre que Josyane Savigneau ait écrit un livre pour moi !

 

« Un vieil homme… il avait cinquante-neuf ans. Et était bel homme, comme on le dit encore parfois. Mais j’étais convaincue que je ne le verrais pas vieillir. Je lirais ses livres, qui eux ne vieillissent pas. Je ne le reverrais pas. Je n’ai pas tenu parole, loin de là ; toutefois, il a fallu un certain temps et quelques autres péripéties pour que je change d’avis et ne m’en tienne pas à mes lectures et à ma défense de son œuvre dans Le Monde, en dépit de ce qu’il venait de me dire sur les journaux : « La presse ? Soyons réalistes. Sur trente articles, vingt-cinq n’ont rien à voir avec une quelconque critique. Les cinq autres sont seulement convenables, qu’ils disent, ou non, du bien du livre. Je pense que tous les écrivains, partout, peuvent faire la même analyse, et que la critique a, partout, à peu près la même fonction : l’histoire de la critique journalistique n’est guère brillante, où que ce soit, n’est-ce pas ? » »  

 

josyane savigneau, philip rothJosyane Savigneau  Avec Philip Roth   Gallimard – 218 pages –

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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11/04/2015 | Lien permanent

Howard Fast : La Dernière frontière

howard fast, Howard Fast (1914-2003) est un romancier et scénariste américain. Il a également signé des romans policiers sous le pseudonyme de E.V. Cunningham. Howard Fast s'intéresse très tôt à la pensée de Karl Marx et devient membre d'une association d'écrivains proche du Parti communiste américain. Un voyage dans le Sud des Etats-Unis lui permet de constater la grande pauvreté résultant de la Grande Dépression et lui confirme le bien-fondé de son engagement politique. En 1974, Howard Fast s'installe en Californie où il collabore avec le milieu de la télévision par l'écriture de scénarios et vivra de sa plume jusqu'à sa mort en 2003. Passionné par l'histoire américaine, il utilisera ce matériau dans de nombreux romans dont La Dernière Frontière qui sera publié en 1941.

1878. Les Cheyennes sont chassés des Grandes Plaines et parqués en Territoire indien, aujourd’hui l'Oklahoma. Sur ces terres hostiles où règnent poussière et chaleur torride, les Cheyennes assistent à l'extinction programmée de leur peuple. Jusqu'à ce que trois cents d'entre eux, hommes, femmes, enfants, menés par leur vieux chef Little Wolf, décident de s'enfuir pour retrouver leur terre sacrée des Black Hills dans le Wyoming. Un périple fou, de près de mille-six-cents kilomètres durant plusieurs mois, de l’Oklahoma en passant par le Kansas et le Nebraska, du soleil de plomb aux températures polaires, avec à leurs trousses douze-milles hommes de l’armée et de la milice civile…

Roman, mais récit tiré d’une histoire bien réelle, issue de sources avérées, ce bouquin - ce très grand livre - est depuis bien longtemps devenu un classique de la « question Indienne » : L'arrivée des Européens en Amérique du Nord à partir du XVIème siècle provoqua d'importantes conséquences sur les Amérindiens. Leur nombre s'effondra à cause des maladies, des guerres et des mauvais traitements, leur mode de vie et leur culture subirent des mutations. Avec l'avancée de la Frontière (la ligne marquant la zone limite de l'implantation des populations d'origine européenne dans le contexte de la conquête de l'Ouest, c’est l'un des concepts historiques majeurs des Etats-Unis) et la colonisation des Blancs américains, ils perdirent la majorité de leur territoire, furent contraints d'intégrer des réserves. J’ai lu beaucoup de livres, romans ou non, sur le sort dramatique des peuples Amérindiens, celui-ci est l’un des meilleurs d’autant qu’il bénéficie, par rapport à d’autres, de son antériorité, un temps où il n’était pas de bon ton de la ramener sur ce sujet.

Que dire à ceux qui ne l’ont pas encore lu pour qu’ils s’y précipitent ? Sur la forme, on peut parler de western : une poignée d’Indiens quitte sa réserve sans autorisation, déclarant clairement qu’ils préfèrent retourner sur la terre de leurs ancêtres à leurs risques et périls, plutôt que crever en silence, de chaleur et de faim, ici en Oklahoma. L’armée envoie quelques hommes pour les rattraper, n’y arrive pas, gonfle ses effectifs, toujours en vain. Escarmouches, morts, climat épouvantable, squelettes ambulants, la tribu persévère dans sa remontée vers le Nord et la troupe des armées n’y peut rien. La force ridiculisée par la ruse opiniâtre de ceux qui n’ont rien à perdre, ceux qui sont déjà quasi morts.

Howard Fast ne laisse guère de place à la sentimentalité, l’extraordinaire puissance de sa prose simple suffit pour terrasser le lecteur. On sent que l’écrivain s’attache à raconter les faits, la vérité crue et insoutenable. Les dialogues sont la seule part romancée de l’affaire. Mêmes les tourments psychologiques des hommes en bleu semblent justes et réels. Tous les officiers ne réagissent pas de la même façon face à la situation, pour certains « un bon Indien est un Indien mort », pour d’autres la cruauté de la poursuite les trouble : d’un côté leur uniforme leur dicte de faire respecter la loi et les règlements mais de l’autre, ils ont bien conscience que les Indiens agissent pour une juste cause…

On a parlé de la forme, quant au fond, il y est question de liberté ou d’esclavage, de mourir libre ou de vivre sous le joug et dans quelles conditions atroces. Et plus largement, d’aborder ce débat intemporel, le sort réservé aux minorités, « pourquoi un groupe minoritaire dans notre République ne peut-il légalement occuper le pays qu’il a habité pendant des siècles ? »

Un roman qui prend aux tripes et laisse le lecteur k.o. les larmes aux yeux, je n’ai pas honte de l’avouer.  

 

« Le vieux chef laissa lentement retomber ses mains. Son visage couleur de terre se creusa d’un sourire mi de pitié, mi de regret. Nu jusqu’à la ceinture, sans armes, il se présentait à cheval devant l’impartial jugement de l’Histoire. Il appartenait au passé, à un passé mort qui ne revivrait jamais plus, et il le savait. Deux siècles de guerres cruelles et sanguinaires entre Peaux-Rouges et Blancs atteignaient, semblait-il, leur point culminant dans ce face-à-face des deux antagonistes : le capitaine Murray, vêtu de la poussiéreuse tenue bleue, et le vieux chef cheyenne, à demi nu. Pourtant Murray n’éprouvait rien d’autre qu’une sombre colère – colère qui englobait sa propre personne, Little Wolf, ses hommes et toutes les forces qui l’avaient conduit pendant ces deux jours de poursuite folle. »

 

 

howard fast, Howard Fast  La Dernière frontière   Gallmeister Totem – 269 pages-

Traduit de l’américain par Catherine de Palaminy

 

 

 

 

 

On trouve une photo du chef Little Wolf en page 52 du magnifique ouvrage Pieds nus sur la terre sacrée de T.C. McLuan (textes) et Edward S. Curtis (photos) paru chez Denoël (1974). Un autre livre incontournable sur ce sujet.howard fast,

Et pour information : «  Little Wolf deviendra plus tard un scout pour l'armée américaine sous le général Nelson Miles. Il est impliqué dans une discussion mouvementée sur une de ses filles, qui aboutit à la mort de Starving Elk. Prétendument, Little Wolf était intoxiqué quand il le tua au Poste de Commerce d'Eugenie Lamphere le 12 décembre 1880. Little Wolf entame alors un exil volontaire à la suite de ce déshonneur. Il finit sa vie à la réserve des Cheyennes du Nord où il meurt en 1904. George Bird Grinnell, un ami proche et ethnographe qui a documenté la vie de Little Wolf, a dit de lui qu'il était « le plus grand Indien qu'il ait jamais connu » ».

 

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Jérôme Ferrari : Le Sermon sur la chute de Rome

Jérôme FerrariJérôme Ferrari, né en 1968 à Paris, est écrivain et traducteur. Il a fait une partie de ses études à la Sorbonne, où il obtint la licence de philosophie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses parents sont originaires de Fozzano et de Sartène, et il a lui-même vécu en Corse et enseigné la philosophie au lycée de Porto-Vecchio, puis enseigné au lycée international Alexandre-Dumas d'Alger, au lycée Fesch Ajaccio et au lycée français Louis Massignon d'Abou Dabi. Depuis la rentrée 2015, il enseigne la philosophie en hypokhâgne, à Bastia. Jérôme Ferrari a obtenu le prix Goncourt 2012 pour son livre Le Sermon sur la chute de Rome.

Matthieu et Libero, amis d'enfance, décident d'abandonner leurs études de philosophie pour reprendre le bar mis en gérance dans leur village familial corse. En fait, Matthieu n’y venait que pour les vacances tandis que Libero, fils d'une famille sarde émigrée, y a grandi avant de monter à Paris. Leur idée, faire de ce modeste troquet, « le meilleur des mondes possibles » selon l’enseignement de Leibniz. Du rêve à la réalité il y a un fossé, qu’ils ne franchiront pas. 

Si je devais qualifier ce roman d’un seul mot, je dirais « étourdissant » car il est fatigant autant qu’éblouissant, selon les deux sens donnés au mot par Le Grand Robert. Il est fatigant à suivre car les personnages sont multiples, liés les uns aux autres par des liens familiaux ou pas, agissant à des époques différentes et l’on passe de l’une à l’autre abruptement, les lieux eux-mêmes nous menant de la Corse à Paris, de l’Afrique à l’Indochine. Mais il est aussi éblouissant, car l’écrivain dirige son affaire avec une maestria peu commune. 

Parmi les acteurs de ce drame, car il s’agit d’une histoire dramatique, nous avons le grand-père Marcel qui devenu veuf confie son fils Jacques à sa sœur pour qu’elle l’élève avec Claudie, sa propre fille. Plus tard ces deux cousins se marieront ensembles, malgré les hurlements dans la famille, et auront deux enfants, Matthieu et Aurélie, laquelle en tant qu’archéologue sera chargée de fouilles à Annaba, en Algérie, sur les vestiges chrétiens datant d'Augustin. Augustin, fil rouge de ce roman, donnant par des extraits de ses sermons le titre de chacun des chapitres du livre. J’ai dit histoire dramatique : la mort de Jacques va empoisonner les relations entre Matthieu et sa sœur quand le fils n’ira pas à Paris assister aux derniers instants de son père. Puis une bagarre dans le bar se soldera par un mort qui enterrera définitivement le projet limonadier.

Le bouquin se lit à plusieurs niveaux. Une simplette histoire de bistro en décrépitude repris par deux gars se pensant assez malins pour relancer l’affaire et y parvenant durant un temps avant l’effondrement final. En toile de fond nous avons la décolonisation, la fin de l’Empire colonial français qui fait écho au fil rouge du roman, à savoir Le Sermon sur la chute de Rome, discours prononcé par Augustin en l’an 410, après l'annonce du sac de Rome par Alaric Ier annonçant la chute de l'Empire romain. Dans les deux cas nous avons le même thème, la mort des idéaux.   

Impossible de clore ce billet sans m’attarder sur l’écriture. J’ai rarement lu un livre aussi époustouflant par son style. Des phrases très longues qui donnent le tournis par leurs digressions et détails gratuits au point d’en hypnotiser le lecteur, bercé par le rythme parfaitement maitrisé de cette enfilade de mots qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Du très grand art. Si le propos général du livre n’est pas franchement marrant, l’auteur se permet néanmoins d’être parfois très drôle (« … il fit vers la fin de l’été la double acquisition d’une veste en cuir vieilli et d’une tondeuse à barbe ce qui, pour un regard averti, ne pouvait bien entendu signifier que le pire. »), à moins qu’il ne vous glace avec des images saisissantes (« quand il leva les yeux vers Marcel, des vers jaillirent de ses paupières pour couler le long de ses joues comme des larmes. »)

Un roman difficile et qui donne le vertige mais pour le plus grand bien du lecteur.

 

« Elle n’avait rien contre les patrons de bar, les sandwiches et les serveuses, et n’aurait pas porté de jugement sur les choix de Matthieu si elle les avait crus sincères et réfléchis mais elle ne pouvait supporter ni la comédie, ni le reniement, et Matthieu se comportait comme s’il lui fallait s’amputer de son passé, il parlait avec un accent forcé qui n’avait jamais été le sien, un accent d’autant plus ridicule qu’il lui arrivait de le perdre u détour d’une phrase avant de se raviser en rougissant et de reprendre le cours de sa grotesque dramaturgie identitaire d’où la moindre pensée, la plus petite manifestation de l’esprit étaient exclues comme des éléments dangereux. Et Libero lui-même, qu’Aurélie avait toujours considéré comme un garçon fin et intelligent, semblait résolu à suivre le même chemin… »

 

 

Jérôme FerrariJérôme Ferrari  Le Sermon sur la chute de Rome  Actes Sud – 202 pages -

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Patrice van Eersel : L’Aventure d’Actuel telle que je l’ai vécue

Patrice van Eersel, Jean-Pierre Bizot, Michel-Antoine Burnier, Patrick Rambaud, Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet, Patrick Zerbib, Jean Rouzaud, Jean-Paul Ribes, André Gluksmann, Jack Kerouac, Alan Watts, Michel Foucault, Timothy Leary,  Patrice van Eersel est un journaliste et écrivain français, né en 1949 à Safi au Maroc, où il a vécu jusqu'à l'âge de 17 ans. Diplômé de l'Institut d’Etudes Politiques de Paris et du Centre de formation des journalistes de Paris, il a participé au lancement de Libération (1973-74), avant de rejoindre l'équipe d'Actuel, dont il fut l’un des grands reporters et chroniqueurs scientifiques (1974-1992). Depuis 1992, il est rédacteur en chef du magazine Nouvelles Clés — devenu Clés en 2010 — et dirige la collection homonyme chez Albin Michel.

L’Aventure d’Actuel telle que je l’ai vécue, livre sorti en 2017, revient comme son titre l’indique sur l’extraordinaire histoire de ce magazine qui marqua toute une génération de lecteurs dont je fis partie. Autant dire que ce billet n’est pas vraiment objectif – mais aucun de mes billets ne l’est non plus, puisqu’ils reflètent tous mon avis personnel !

Comment chroniquer un tel pavé ? Car au-delà du titre, il ressort de sa lecture une construction sur quatre axes, de dimensions diverses : l’histoire d’Actuel bien entendu mais aussi la naissance du quotidien Libération (avril 1973) qui constituent l’essentiel de la carrière journalistique de Patrice van Eersel d’où un angle autobiographique lié à ses propres reportages et enquêtes à travers le monde. Enfin et ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage, un hommage évident à Jean-François Bizot (1944-2007) le génial créateur d’Actuel.

Alors Actuel, c’était quoi se demandent les jeunes lecteurs qui devinent que les larmes me montent aux yeux quand j’écris ce mot magique ? Autour de Bizot, une poignée de fous dont je ne citerai que ceux dont les contributions m’ont le plus marqué : Michel-Antoine Burnier, Patrick Rambaud (qui écrivait sous le pseudo d’Hyma La Hyène), Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet, Patrick Zerbib, Jean Rouzaud, Jean-Paul Ribes, décidés à offrir aux lecteurs une presse d’un genre nouveau, le « nouveau journalisme » ou ce que les américains commençaient à appeler le « gonzo journalism », avec des papiers couvrant des sujets aussi divers que les mouvements sociaux et libertaires (les ouvriers en grève chez LIP), la philosophie (André Gluksmann), l’écologie naissante, et toute la sphère culturelle au sens large, ou comme on le disait à l’époque, la culture underground ou contre-culture. Le maître-mot étant liberté et non bizness…

Je ne peux pas vous en dire plus car en fait, à lire cet ouvrage aujourd’hui, c’est pour moi comme une relecture complète d’une époque, principalement des années 70 et 80, aussi bien sociale que politique, en France comme à l’étranger, l’époque de ma jeunesse et des grands chambardements dans le monde. C’est d’ailleurs assez étrange, dans ces années-là je voyais le monde avec des lunettes me montrant le futur, mais aujourd’hui à lire ce bouquin je dois bien reconnaitre qu’il s’agit du monde d’hier, celui du siècle dernier ! Saisissant.

Pour revenir à Actuel, disons qu’il y a eu la première période et ma préférée, centrée sur la contreculture (1970-1975) terminée sur un auto-sabordage puis une seconde formule entre 1979-1995, axée sur les grands reportages, pour résumer brièvement. Avec aussi en 1981, la création de Radio Nova…

Si le bouquin ne s’adresse pas à tous les publics - trop typé -, les gens de mon âge s’en régaleront, soit à titre personnel comme un retour sur leurs jeunes années (nostalgie, nostalgie), soit comme un document à valeur historique sur l’époque. Par ailleurs ça se lit vite et bien. Par contre, j’avoue y avoir vu des longueurs quand l’auteur revient sur certains de ses reportages et l’un des derniers chapitres, sur le parcours de van Eersel lié aux théories New Age et aux extraterrestres m’a laissé dubitatif… pour le dire gentiment.      

 

« En trois mois et trois numéros, je suis définitivement mordu. Les journalistes qui font cet Actuel traitent de toutes mes fascinations de jeune homme de 22 ans de l’an de grâce 1971 : la vie en communauté (on en rêve tous, très peu le font), la liberté sexuelle (yes please, yes !), la route vers l’Inde (pas pour moi, qui découvre à peine la France, mais toute ma génération parle de s’y rendre, à pied, en bus, à cheval), Jack Kerouac (l’idole), l’herbe (la colombienne de 1971 est hyper-forte), le pacifisme (en ce temps-là nous sommes tous des objecteurs, des antimilitaristes, des réformés et soutiens de famille en puissance), (…) Alan Watts (…) Herbert Marcuse (…) Timothy Leary (…) Michel Foucault… »

 

Patrice van Eersel, Jean-Pierre Bizot, Michel-Antoine Burnier, Patrick Rambaud, Jean-Pierre Lentin, Léon Mercadet, Patrick Zerbib, Jean Rouzaud, Jean-Paul Ribes, André Gluksmann, Jack Kerouac, Alan Watts, Michel Foucault, Timothy Leary,  Patrice van Eersel  L’Aventure d’Actuel telle que je l’ai vécue  Albin Michel – 501 pages –

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05/06/2018 | Lien permanent

Michel Houellebecq : Anéantir

michel houellebecqMichel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l’éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire, son cinquième roman. Anéantir, son nouveau roman vient de paraître.

Le roman débute à la fin de 2026, le président de la république (Macron ? jamais cité) achève son second mandat et les prétendants au poste commencent à s’agiter. Des attentats frappent le monde, initiés par un groupe inconnu de tous les services du renseignement et vont jusqu’à publier sur le Web une vidéo montrant la décapitation très réaliste du ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Juge (lui, officiellement inspiré de Bruno Le Maire). Le ministre est en pleine séparation avec son épouse et son principal collaborateur, Paul Raison, apprend que son père vient de faire un AVC et se retrouve dans le coma.

Un démarrage en fanfare donc, qui mêle le thriller et la (presque) fiction politique, mais deux axes qui vont assez rapidement devenir secondaires car là n’est pas le sujet du nouveau bouquin de l’écrivain. Ces deux thèmes ne servant qu’à planter l’ambiance générale, le terreau dans lequel vont pousser deux autres sujets assez étonnants sous la plume de Houellebecq, l’amour et ce qui y ressemble et la compassion, ainsi qu’un troisième plus évident la mort.

Paul Raison le personnage principal du roman doit affronter une vie privée complexe et douloureuse, sa femme Prudence et lui ne vivent plus qu’en cohabitation et son père sorti du coma, est paralysé dans son fauteuil, incapable de parler, dans sa maison près de Lyon. Cécile, la sœur de Paul et Aurélien son frère, prennent part à la nouvelle organisation de vie du père, chacun avec son conjoint. De son côté, le père de Prudence n’est plus qu’un mort-vivant depuis le décès de son épouse. Les couples et par-delà, les familles, éclatent, la machine familiale déraille…

Sur plus de sept-cents pages, les évènements se succèdent sans rapport obligatoirement les uns avec les autres, ponctués des rêves faits par Paul. Le récit panache le mystère (avec les terroristes dont on ne se saura jamais rien), l’action (l’exfiltration du père de Paul de son EPAHD), l’émotion (avec ces couples en fin de cycle, par exemple), le tout sur ce qui est classique chez l’auteur, une esquisse grandiose de la France et du monde sur le plan socio-économique. Des gens connus traversent le récit, qu’ils soient nommés ou juste silhouettés (et pour ceux-ci, le petit jeu consiste à les reconnaitre). Les personnages féminins sont très forts, Cécile qui s’appuie sur sa foi chrétienne pour surmonter les épreuves et prendre en main l’intendance, et plus tard Prudence qui elle aussi, sur des croyances d’un autre type, renversera le cours pris par son couple. En vérité, il n’y a qu’un seul acteur réellement négatif, Indy, la femme d’Aurélien, une journaliste sans scrupules.

Le livre se lit à une vitesse folle car l’écriture est fluide, le rythme rapide. Je crois savoir que certains lui reprocheraient (entre autres ) de ne pas avoir de style, pour ma part j’identifie immédiatement une page écrite par l’écrivain : écriture fluide donc, extrêmement précise et documentée, presque clinique/analytique parfois avec le développement de réflexions historiques, philosophiques, religieuses, littéraires etc. appuyées sur des références pointues et moi j’aime ça ces références qui m’obligent à vérifier si c’est du pipeau ou non (et ce n’en est jamais, comme ici avec John Zerzan, Maximine Portaz etc.).

Un roman magnifique (?), construit sur des thèmes chers à l’auteur mais dont les plus belles pages – et oui, nous ne sommes pas loin du lyrisme parfois, lyrisme à la Houellebecq si je peux dire – sont celles qui traitent de l’amour, soit parce que les couples se défont, soit parce que d’autres ou les mêmes se (re)forment, dans la description des relations père/fils, et les larmes n’étaient pas loin quand la mort est évoquée, celle de parents condamnés et devenus légumes (le sort des vieux et de l’euthanasie est évoqué aussi), ou encore plus émouvant quand à la fin du livre, le cancer fera son entrée dramatique.

J’ai essayé de vous en dire le moins possible mais ce qu’il faut que vous sachiez, c’est qu’avec ce nouveau livre, Michel Houellebecq prend certainement un tournant très important qu’on pressentait venir. Alors si vous n’avez jamais ouvert l’un de ses livres (pour une raison ou une autre) avec celui-ci, c’est le moment ou jamais car moins clivant, moins brutal ou suspect que d’autres. Je suis prêt à prendre le pari qu’on en reparlera à l’automne, pour les remises de prix…

Un roman à ne pas rater.

 

 

« Etait-il responsable de ce monde ? Dans une certaine mesure oui, il appartenait à l’appareil d’Etat, pourtant il n’aimait pas ce monde. Et Bruno, il le savait, se serait lui aussi senti mal à l’aise avec ces burgers de création, ces espaces zen où l’on pouvait se faire masser les cervicales le temps du trajet en écoutant des chants d’oiseaux, cet étrange étiquetage des bagages « pour raisons de sécurité », enfin avec la tournure générale que les choses avaient prise, avec cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d’une normalité fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. »

 

 

michel houellebecqMichel Houellebecq   Anéantir   Flammarion – 730 pages –

 

Le livre est un gros pavé dont on note immédiatement que le titre et les noms de l’auteur et de l’éditeur son en lettres minuscules ; la couverture est dans un gros carton rigide, il y a une tranchefile et un signet en tissu rouge, pour nous offrir une bien belle édition. Par ailleurs, les caractères d’imprimerie sont assez grands, ce qui accélère la lecture, mais la raison est plus prosaïque, la vue de Michel Houellebecq baisse et il a du mal à lire quand c’est écrit trop petit ! (Le Monde du 7/01/2022)

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