01/09/2017
Friedrich Dürrenmatt : La Panne
Friedrich Dürrenmatt (1921-1990) est un écrivain, auteur de roman policier, dramaturge et peintre suisse de langue allemande. Petit-fils d'Ulrich Dürrenmatt, célèbre satiriste, poète et politicien bernois, Friedrich Dürrenmatt hérite de son esprit provocateur qui caractérisera ses travaux ultérieurs. Après une adolescence mouvementée il poursuit ses études à l'université de Berne. Il y étudie la littérature allemande et l'histoire de l'art, mais aussi les sciences de la nature. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à 24 ans, il écrit sa première pièce de théâtre, Les Fous de Dieu, qui provoque un scandale après sa première, le 19 avril 1947, ce qui le rend célèbre bien au-delà des frontières suisses. Au cours des années suivantes, il lutte pour gagner sa vie comme écrivain et pour surmonter un diabète handicapant. Il se met à écrire des nouvelles, des romans policiers, et des pièces radiophoniques pour subsister, mais il n'a jamais renoncé à écrire des pièces de théâtre. Dramaturge mondialement reconnu, il est également peintre : « l'écriture est sa profession, et la peinture sa passion ». Son roman, La Panne, date de 1958 pour l’édition française.
Alfred Traps, un représentant de commerce, tombe en panne de voiture dans un village. Obligé de passer la nuit là et l’auberge étant complète, il est hébergé par un juge à la retraite et invité à partager le dîner avec ses amis eux aussi anciens hommes de loi. Ces repas, copieux ( !) sont prétextes à un jeu, simuler un procès et ce soir, c’est Traps qui sera l’accusé sans que personne ne sache encore de quoi il serait coupable.
Court roman ou longue nouvelle, qu’importe puisque voici un excellent petit bouquin ! Très drôle tout du long, jusqu’à la chute qui l’est beaucoup moins, obligeant ainsi le lecteur à prendre un temps de réflexion sur ce qu’il vient de lire. Une construction réussie en somme.
Le roman est un huis-clos. Une poignée de notables autour d’une table richement garnie, « Un menu comme on en servait autrefois, du temps que les hommes n’avaient pas peur de manger », chacun endossant un rôle, avocat de la défense, juge, procureur et même l’ancien bourreau est de la partie. On mange, on boit, les questions à l’adresse de Traps se succèdent, lequel prend tout cela à la rigolade malgré les conseils de son avocat d’un soir. Puis, un début d’intrigue commence à sourdre, Traps a débuté dans le métier par la petite porte mais aujourd’hui il a fait fortune et circule dans une grosse voiture luxueuse, une promotion obtenue grâce au décès de son supérieur, mort d’une crise cardiaque. Pour nos valeureux hommes de loi, il y a là un terreau fertile à exploiter et ils vont s’en charger car « derrière chaque action peut se cacher un crime et derrière chaque individu un assassin. »
D’autant que l’accusé parlant à tort et à travers, ouvre la porte aux quiproquos induits par le langage propre ou figuré. Traps accumule les preuves contre lui-même par ses propos irréfléchis, bien qu’innocents en vérité, mais qui prennent un autre écho dans le contexte d’un procès. Au fur et à mesure que le « procès » avance, l’attitude de l’accusé va évoluer, la rigolade d’abord et longtemps puis à l’écoute du scénario développé par l’accusation, il va se découvrir autre qu’il n’est, « je commence à me comprendre moi-même, comme si j’étais en train de faire la connaissance de celui que je suis… » en arrivant au point de revendiquer le crime dont on l’accuse, avec une sorte de joie secrète à découvrir quel genre d’homme il serait et la gloire qu’il en retire.
Entre le polar et le roman philosophique, ce bouquin est jubilatoire jusqu’à la chute qui elle, est d’un autre registre. Une lecture chaudement recommandée.
« Le procureur n’était lui-même pas loin des larmes quand il reprit, la voix mouillée : « Sa meilleure soirée, affirme notre noble ami. Voilà ce que j’appelle une parole, messieurs, un mot inoubliable, une parole touchante ! Qu’il vous souvienne du temps que nous avons passé au service de l’Etat, à accomplir une tâche rébarbative. Ah ! ce n’était pas en ami que se trouvait devant nous l’accusé, c’était en ennemi ! Et celui que nous pouvons enfin aujourd’hui serrer sur notre cœur, il nous fallait alors le repousser, rejeter… Sur mon cœur, cher ami ! » Quittant sa place après ces mots, le procureur se jeta sur Traps pour l’embrasser tumultueusement. »
Friedrich Dürrenmatt La Panne Le Livre de Poche – 124 pages –
Traduit de l’allemand par Armel Guerne
07:42 Publié dans Etrangers | Tags : friedrich dürrenmatt | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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