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J.C. Carrière et Umberto Eco : N’espérez pas vous débarrasser des livres
Jean-Claude Carrière, né en 1931 dans l'Hérault, est un conteur, écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène, et occasionnellement acteur français. Umberto Eco, né en 1932 dans le Piémont, est un universitaire, érudit et romancier italien. Reconnu pour ses nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l’esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie, il est surtout connu du grand public pour ses romans. N’espérez pas vous débarrasser des livres, paru en 2009, est le verbatim d’entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac, lui-même écrivain, journaliste et essayiste français.
On s’en doute, on parle ici principalement de livres et de bibliothèques. Origines des livres, incunables, livres rares, bibliophilie, bibliothèques mythiques et perdues, papyrus mais aussi e-books, avenir du livre, la palette de la discussion est large. D’autant plus qu’elle débouche vers des considérations philosophiques ou religieuses, à travers les temps et les âges. Le livre n’est pas très long mais il regorge d’enseignements et de réflexions tirés aussi bien de textes obscurs que de littérature très populaire et ce n’est rien dire que d’affirmer que Jean-Claude Carrière et Umberto Eco nous subjuguent par leur érudition. Et c’est là, le point fort de cet essai, même si parfois (ou souvent) des références m’étaient étrangères, elles sont dites sans pédanterie, nos deux débatteurs pouvant passer avec une facilité déconcertante de Gracian, l’écrivain jésuite espagnol (1601-1658) travaillant à son Oraculo manual y arte de prudencia au Voleur de bicyclette le film de Victorio De Sica, dans un grand écart excessivement jouissif pour le lecteur.
Voici quelques sujets abordés dans cet essai : la paradoxale éphémérité des supports dits durables (CD, CD-Rom…), le rôle d’Internet, quelle place pour la mémoire humaine face à celle de nos ordinateurs, qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre « On ne nait pas chef-d’œuvre, on le devient », notre connaissance du passé est souvent due à des crétins, la censure, tous ces livres que nous ne lirons jamais, comment classer sa bibliothèque et qu’en faire après notre mort… Le genre de livre où j’ai beaucoup souligné et coché des passages pour y revenir plus facilement plus tard.
On s’instruit dans la bonne humeur et même par le rire quand notre duo nous rappelle quelques cinglés de la littérature : « N’oubliez pas Edgar Bérillon, membre de l’Institut, qui en 1915 écrit que les Allemands défèquent en plus grosse quantité que les Français. C’est même au volume de leurs excréments qu’on reconnait qu’ils sont passés ici ou là. » Le lecteur se voit aussi impliqué directement quand il lit : « Il m’arrive de me rendre dans une pièce où j’ai des livres et de simplement les regarder, sans en toucher un. Je reçois quelque chose que je ne saurais dire. C’est intrigant et en même temps rassurant. »
Un livre précieux et donc indispensable pour tous ceux qui aiment les livres.
« Le grand collectionneur brésilien José Mindlin m’a montré une édition des Misérables publiée à Rio, en portugais, en 1862, c'est-à-dire l’année même de la publication du livre en France. Deux mois seulement après Paris ! Pendant que Victor Hugo écrivait, Hetzel, son éditeur, envoyait le livre, chapitre après chapitre, aux éditeurs étrangers. Autrement dit, la diffusion de l’œuvre était à peu près celle de ces best-sellers aujourd’hui proposés dans plusieurs pays et en plusieurs langues simultanément. Il est parfois utile de relativiser nos prétendues prouesses techniques. Dans le cas de Victor Hugo, les choses allaient plus vite qu’aujourd’hui. »
Jean-Claude Carrière / Umberto Eco N’espérez pas vous débarrasser des livres Le Livre de Poche - 282 pages –
04/03/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Bergsveinn Birgisson : La Lettre à Helga
Bergsveinn Birgisson est né en 1971. Titulaire d’un doctorat en littérature médiévale scandinave, il porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l’Islande.
Arrivé au crépuscule de son existence, Bjarni le narrateur, se décide à écrire une longue lettre à Helga, celle qui fut le seul grand amour de sa vie mais qu’il ne sut retenir. Bjarni, vieillard de quatre-vingt dix ans, se souvient de tout. D’Unnur, sa femme décédée après cinq ans de souffrances suite à une opération intime qui ruina leur vie de couple ; d’Helga, mariée avec deux enfants, à laquelle il voua un amour profond et réciproque, et du cas de conscience qui mit un terme à leur bonheur envisageable : Helga enceinte de Bjarni, ne voyant que deux solutions, soient fuir loin des ragots vers Reykjavik la grande ville, pour y refaire leurs vies, soit se séparer définitivement et rester au village, elle avec son mari, lui avec ses regrets.
Le roman est très court mais il est très riche en réflexions et idées diverses. Les souvenirs du narrateur le ramènent aux années mille-neuf-cent-trente à soixante et à l’évolution subie par la société islandaise, l’occasion d’évoquer des traditions locales ou des pratiques de pêche et d’élevage. Ces us et coutumes induisent des comportements et des raisonnements qui éclairent les attitudes de Bjarni, comment abandonner sa terre, une propriété dans sa famille depuis neuf générations ? Mais comment vivre aussi, dans un bled où les commérages allaient déjà bon train sur Bjarni et Helga, avant même qu’il ne se passe réellement quelque chose entre eux ?
Bjarni reste attaché aux valeurs ancestrales, sans pour autant être passéiste. C’est une figure locale très impliquée dans la vie de la communauté, il est contrôleur du fourrage, s’occupe de la bibliothèque, bricole pour les uns et les autres, tout en s’occupant de son élevage de moutons. Homme simple et de bon sens, la Nature est tout pour lui.
Le roman est empreint d’une sensualité forte - « Une fois, peu après la fin de l’hiver, je me suis réveillé debout dans le pré, en caleçon long pour tout appareil, et avec une de ces érections ! » - où les seins d’Helga ont une place prépondérante, ce qui ne l’empêche pas en bon paysan de faire le rapprochement avec les mamelles de ses brebis. Birgisson sait aussi se faire poète, et s’il s’agit d’une poésie rustique, elle est sincère. Sans oublier une pointe d’humour comme lorsque vous découvrirez le sort réservé au corps défunt de l’épouse d’un autochtone.
Quand Bjarni achève sa lettre, avec une petite surprise ( ?) pour le lecteur, il ne peut que constater amèrement qu’il est « un bonhomme qui a préféré croupir dans son trou plutôt que suivre l’amour. »
Un très bon roman.
« Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. Arracher l’armature et le carton protégeant le moteur pour découvrir cette merveille éclatante qui allait changer la vie. Tu vois comme ma pensée rase les mottes, chère Helga : te comparer, toi, jeune et nue… à un tracteur ! C’est faire injure à ta beauté que de te mettre sur le même plan que les choses d’ici-bas ; Mais… pour ce qui était de faire l’amour, tu n’étais pas à la remorque. »
Bergsveinn Birgisson La Lettre à Helga Zulma – 131 pages –
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson
21/11/2014 | Lien permanent
La librairie Brentano’s
Brentano’s est une librairie parisienne, située au 37 avenue de l’Opéra, sur le trottoir de gauche en montant vers le palais Garnier. Fondée en 1895, c’est l’une des plus anciennes libraires anglophones de Paris.
L’histoire de Brentano’s commence à New York en 1853, lorsqu’un jeune immigré autrichien, August Brentano, ouvre un kiosque à journaux face à un grand hôtel de Broadway. S’apercevant que certains clients de l’hôtel parient avidement sur les courses hippiques en Grande-Bretagne, August Brentano se met à importer des journaux britanniques. Il ouvre une première librairie en 1860, puis s’installe en 1870 à Union Square, où il attire une clientèle de notables à l’affût de livres et de périodiques introuvables ailleurs. Il est alors rejoint par plusieurs membres de sa famille, dont un neveu, Arthur Brentano, qui fonde la librairie parisienne en 1895. De nouvelles branches sont créées aux États-Unis jusqu’à ce que, atteinte par la Grande Dépression, l’affaire sombre en 1933. Rachetée par un trust, la chaîne de librairies retrouve la prospérité en vendant des best-sellers.
En 1940, au tout début de l’Occupation, la librairie parisienne est réquisitionnée par la Wehrmacht, qui la transforme en atelier photographique au service de ses troupes. Lorsque le fils du fondateur, Arthur Brentano junior, revient en France après la Libération, il retrouve environ un tiers du stock de livres que le concierge de la librairie avait mis à l’abri. Une clientèle européenne, très friande de livres techniques en cette période d’après-guerre, fait redémarrer les affaires. La librairie se modernise et se diversifie, étoffe ses rayons de livres français et organise des événements culturels. Désormais indépendante, la maison mère ayant été rachetée par le groupe Borders aux États-Unis, elle était toujours fréquentée par les expatriés anglo-saxons ainsi que par une clientèle à la fois française et internationale.
À la fin des années 1970, Brentano’s était la seule librairie parisienne où l’on pouvait acheter les premières revues américaines consacrées à la micro-informatique. C’est aussi là que je pouvais feuilleter de très beaux ouvrages de photos consacrés aux musiciens de rock, trouver leurs biographies ou bien m’en mettre plein les mirettes, devant les jaquettes rutilantes des romans en éditions américaines, couleurs criardes, dorées ou argentées.
En juin 2009, à la suite d’un conflit de sept mois avec la BNP, propriétaire des murs, la librairie, incapable de faire face à la flambée des loyers pratiqués avenue de l’Opéra, est mise en liquidation judiciaire, puis fermée. Trois ou quatre mois plus tard, rachetée par l’homme d’affaire iranien Farock Sharifi, spécialisé dans la papeterie, la boutique après travaux, rouvre ses portes avec une offre plus diversifiée. Hélas, pour les amateurs de livres, la partie librairie est réduite (60m2 sur les 200m2 de la boutique) laissant plus de place à la papeterie, la carterie ou l’encadrement de tableaux. Quand je passe devant les vitrines de la librairie aujourd’hui, plus rien ne m’incite à y entrer. Tant pis ?
Photo : Le Bouquineur Sources : Wikipedia – Le Figaro -
30/11/2014 | Lien permanent | Commentaires (1)
Gaya Guérian : L’Arménienne
Gaya Guérian est née en 1939 à Paris. Très vite, durant son enfance, elle apprend que sa famille est d’origine arménienne. Azad, sa mère, et Achrène, sa grand-mère, ont survécu au génocide de 1915. Aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard, Gaya Guéridan s’est attelée à mettre noir sur blanc sa tragédie familiale afin que sa descendance n’en ignore rien et que le monde n’oublie pas. Un récit intime, un témoignage de plus pour nous dire l’Histoire. Entamée en 2004, après le décès de sa mère, la rédaction de ce récit nous donne ce livre qui vient de paraître.
Rappel des faits emprunté à Wikipédia : « Le génocide arménien a été perpétré d'avril 1915 à juillet 1916, voire 1923, au cours duquel les deux tiers des Arméniens qui vivent alors sur le territoire actuel de la Turquie périssent du fait de déportations, famines et massacres de grande ampleur. Il est planifié et exécuté par le parti au pouvoir à l'époque, le Comité Union et Progrès (CUP), plus connu sous le nom de « Jeunes-Turcs », composé en particulier du triumvirat d'officiers Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha, qui dirige l'Empire ottoman alors engagé dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Empires centraux. Il coûte la vie à environ un million deux cent mille Arméniens d'Anatolie et d'Arménie occidentale. »
Je ne vais pas entrer dans les détails de ce récit dont vous imaginez bien les grandes lignes ; les massacres, « Il y a eu les massacres à la fin du siècle dernier, puis l’hécatombe de 1915, puis les purges soviétiques, puis la traque ethnique turc, puis… Décidément, serons-nous jamais en paix ? », l’exode par la Grèce puis l’arrivée en France à Marseille avant de remonter vers la région parisienne. La Seconde Guerre Mondiale et les persécutions des Juifs, parallèle douloureux pour ceux-là mêmes qui avaient échappé à des massacres. Mais pour les vivants, la vie reprend toujours ses droits – c’est l’un des enseignements de ce texte et le sous-titre du bouquin – des enfants vont naître, faire du français leur langue principale, s’intégrer dans la société…
Gaya Guérian dit les faits en phrases courtes et qui claquent comme le fouet, sans trop s’attarder sur les horreurs, mais comment les taire si l’on veut les dénoncer ? Dieu merci, le récit n’est pas fait que de pleurs, il y a aussi la vie – quelconque, celle des gens comme vous ou moi – et des rencontres avec de futurs illustres (Charles Aznavour, Johnny Hallyday et d’autres)pour apporter une touche de gaité à ce récit très émouvant.
« Comment nous, les enfants du génocide arménien, avons-nous survécu au poids du passé ? Je suis née avec la perception de ce massacre, j’ai grandi avec le sentiment d’être une rescapée, je suis devenue adulte avec le besoin d’une identité de plus en plus forte. Toute ma vie, j’ai su, d’abord confusément, ensuite de plus en plus précisément, que le passé ne serait jamais une table rase, qu’il me tomberait sur les épaules, de toute sa densité, un jour. Je me suis construit une vie normale dans un héritage anormal. Les cadavres d’hier pèsent sur le dos des vivants d’aujourd’hui. Chaque geste banal, dans ces circonstances, est un geste exceptionnel. »
Gaya Guérian L’Arménienne L’indestructible fil de la vie XO Editions – 267 pages –
04/12/2015 | Lien permanent
Roger Grenier : Le Palais des livres
Roger Grenier, né en 1919 à Caen dans le Calvados, est un écrivain, journaliste et homme de radio français. Pendant la guerre, Roger Grenier suit les cours de Gaston Bachelard à la Sorbonne avant de participer en 1944 à la libération de Paris. Il est ensuite engagé par Albert Camus dans l'équipe de Combat, puis à France-Soir. Journaliste, il suivra de près les procès de la Libération auxquels il consacrera son premier essai en 1949 sous le titre Le Rôle d'accusé. Homme de radio, scénariste pour la télévision et le cinéma, membre du comité de lecture des éditions Gallimard depuis novembre 1963, il reçoit le Grand prix de littérature de l'Académie française en 1985 pour l'ensemble de son œuvre qui compte aujourd’hui une trentaine d'ouvrages, romans, essais et nouvelles.
Le présent livre, publié initialement en 2011, est un essai sur la littérature, composé de neuf textes parus précédemment pour certains, dans différentes revues. Neuf angles différents pour nous parler des livres mais surtout de leurs auteurs, pour entrer dans la peau de l’écrivain, ce qui le motive. Roger Grenier s’appuie sur mille et une références littéraires, titres d’ouvrages, citations, écrivains, cet étalage de culture impressionne tout en restant très accessible à tous.
Il sera donc question ici : du rôle des faits divers dans l’inspiration des écrivains, de l’amour (« Donc, à quelques exceptions près, la grande affaire du roman, c’est l’amour. »), de ce genre littéraire qu’on appelle « la nouvelle » (« elle prend son essor, dans un pays et à une époque donnés, lorsqu’il existe une presse et des revues capables de faire vivre les auteurs. »), des œuvres posthumes, inachevées ou abandonnées, ou encore du besoin d’écrire, des motivations diverses des écrivains dont l’une effraie un peu, « Mais on écrit le plus souvent parce que l’on est trop seul »…
Deux textes m’ont particulièrement frappé, « S’en aller », qui aborde le problème du suicide et du droit de se contredire, toujours avec citations ou écrivains en références ; et « Vie privée », où Grenier s’interroge, « Est-ce que connaitre la vie privée d’un auteur est important pour comprendre son œuvre ? » tout en abordant aussi la technique d’écriture avec l’emploi du « Je », ou bien le rôle de la mémoire…
Tout cela m’a passionné et si (seule petite critique) le premier texte m’a paru légèrement complexe à lire, ne vous laissez pas impressionner, cet essai extrêmement intéressant – pour ceux qui aiment entrer dans la cuisine des écrivains – tout autant que cultivé, est d’un abord très aisé. Le genre de petit bouquin indispensable pour tous les amoureux des livres, des lectures et fatalement des écrivains. Un livre dans lequel on souligne beaucoup de passages pour mieux y revenir plus tard, comme ce « … le paradoxe fondamental du roman demeure. Il est une fiction, un récit mensonger qui nous permet de rechercher et de découvrir la vérité des hommes et du monde. »
« La durée de la vie humaine, qui ne cesse d’augmenter, est plus longue que celle de l’amour. Plus longue que celle de l’amitié, des goûts littéraires, musicaux, artistiques. J’ai éprouvé de grandes passions pour des auteurs qui aujourd’hui ne m’intéressent guère. Ou bien mes préoccupations ont changé et ne sont plus celles qu’ils exprimaient. Ou bien j’ai fait le tour de ces écrivains et je n’ai plus de plaisir à les fréquenter. Ou bien trop de gens se sont mis à les aimer et cela a gâté l’amitié un peu exclusive que j’avais pour eux (ce qui n’est pas un beau sentiment). Ou bien encore ma frivolité m’a ôté le courage de retourner les lire, et je ne les vénère plus que de loin. Sans parler des dieux de notre enfance. L’âge mûr nous fait découvrir que nous avions adoré des idoles creuses. »
Roger Grenier Le Palais des livres Folio – 195 pages -
15/07/2016 | Lien permanent | Commentaires (2)
Alan Bennett : La Dame à la camionnette
Alan Bennett est un romancier, dramaturge, acteur, scénariste et réalisateur britannique né en 1934 à Leeds. Diplômé d'Oxford, le jeune homme se voue dans un premier temps à une carrière d'historien du Moyen Âge avant d’embrasser celle d’auteur pour la télévision britannique et l’avoir commencée en tant que comédien. En 1968, il publie sa première pièce et le succès est immédiat. Son récit, La Dame à la camionnette qui date de 1999, vient d’être réédité en collection de poche.
Le bouquin traite un fait divers réellement arrivé à Alan Bennett, livré ici sous la forme d’un journal dans lequel il en relate les points les plus notables qui s’étalent entre 1971 et 1989. « … au cours de l’été 1971 cela faisait déjà plusieurs mois que Miss Shepherd et sa camionnette stationnaient de manière permanente en face de chez moi, à Camden Town », un quartier de Londres. Qui est cette femme d’un certain âge déjà, excentrique, « une jupe orange, confectionnée à partir de trois ou quatre grands torchons ; une veste satinée à rayures bleues ; un foulard vert ; et une visière bleue surmontée d’une casquette kaki où figure un portrait de Rambo et un badge orné d’une tête de mort », un peu crade aussi, il faut le reconnaitre, « à l’arrière de la camionnette (…) des débris de mouchoirs en papier bizarrement froissés et visiblement imprégnés de merde. » Au fil des années qui passent, la camionnette va finir par être installée dans le jardin de l’écrivain qui lui rend de menus services de-ci, de-là.
Miss Shepherd n’est pas vraiment sympathique et si l’on peut louer le dévouement et l’empathie de Bennett pour cette sans-logis, on s’étonne qu’il accepte son gourbi dans son jardin, au grand dam de ses invités. Les questions qu’on se posait sur la dame seront en partie éclaircies après son décès en 1989.
Si le sujet est excellent, j’en ai trouvé le traitement un peu court, dans tous les sens du terme. Moi qui privilégie le court au trop long, d’habitude, là je révise ce principe. Alan Bennett est un habile peintre de mœurs mais ça manque de volume et d’ampleur pour être excellent. Il y avait la matière, un parallèle entre le Londres bourgeois et ses exclus sous l’ère Thatcher mais l’écrivain nous laisse sur notre faim. Au final, un petit bouquin sympa, sans plus.
« Octobre 1980. Miss S. s’est mis en tête d’acquérir une caravane et celle qu’elle avait repérée dans Exchange and Mart, « avec de jolis rideaux et trois couchettes », vient de lui passer sous le nez. (…) J’avais d’ailleurs l’intention de proposer mes services à Mrs Thatcher pour l’aider à résorber la crise. Je ne lui demanderais pas un centime, étant donné que j’ai une allocation, ça ne lui coûterait donc pas grand-chose. Mais elle pourrait me gratifier d’un petit avantage en nature, de temps à autre. Une caravane, par exemple. Je voulais lui écrire mais elle est à l’étranger pour l’instant. Je sais bien ce dont le pays a besoin. Cela tient en un mot : la Justice. »
Alan Bennett La Dame à la camionnette Folio - 109 pages –
Traduit de l’anglais par Pierre Ménard
25/06/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Robert W. Chambers : Le Roi en jaune
Robert Williams Chambers (1865-1933) est un écrivain américain, célèbre à son époque comme auteur de romans-feuilletons et de best-sellers, et reconnu aujourd'hui comme un des grands noms de la nouvelle fantastique, notamment pour son recueil Le Roi en jaune. Né dans une riche famille de l'Etat de New York (père médecin, frère avocat), après des études artistiques à New York puis, de 1886 à 1892, à l'Académie Julian à Paris, il travaille comme illustrateur pour quelques grands hebdomadaires (Life, Vogue…) et commence à écrire. En 1933, alors qu'il a publié plus de 90 livres, il décède quelques jours après une opération chirurgicale. Le Roi en jaune, recueil de nouvelles publié en 1895, vient d’être réédité.
Le recueil contient dix nouvelles et quand j’ai refermé le bouquin, j’en suis ressorti dérouté et même un peu déçu d’une certaine manière. Non par les textes eux-mêmes, mais par la construction de l’ouvrage fait de deux parties tellement distinctes que je ne comprends pas leur réunification dans un seul livre.
Les quatre premières nouvelles ont un lien commun, Le Roi en jaune, et sont du domaine du fantastique effrayant, ce genre qui devra ses lettres de noblesse à H.P. Lovecraft, admirateur de Chambers. Le Roi en jaune, au centre de ces textes, est un livre maudit qui rend fous tous ceux qui le lisent, les entrainant dans un monde obscure et parallèle, se référant à la très antique cité de Carcosa (empruntée par Chambers à Ambrose Bierce). Ces nouvelles, Le Restaurateur de réputations, Le Masque, Le Signe jaune, La Cour du Dragon, sont extrêmement réussies et fortes. Elles forment un tout de grande qualité, on en voudrait plus encore.
La cinquième nouvelle, La Demoiselle d'Ys, reste dans le domaine fantastique, celui comme son nom l’indique des légendes bretonnes avec ses marais et ses brumes. Le reste du recueil n’a plus rien d’étrange ou de fantastique, relevant plutôt de la romance et des histoires d’amour se déroulant à Paris dans le Quartier latin, avec les artistes peintres et leurs modèles. C’est cette distorsion entre les deux thèmes ou les deux parties de ce recueil que je regrette.
Pour autant, cela n’enlève rien au talent de l’écrivain et si la seconde partie m’a décontenancé et moins intéressé, j’ai apprécié son écriture très précise et concise, il nous balade dans le centre de Paris comme si nous y étions, pas avare sur le nom des rues et la nouvelle, La Rue du premier obus, nous plonge dans la capitale assiégée par les prussiens durant la Guerre de 1870.
La présente édition offre en plus des nouvelles de Robert W. Chambers, la courte nouvelle d’Ambrose Bierce où est citée la maléfique ville de Cardosa et un texte permettant de faire le lien entre Le Roi en Jaune et la série télévisée True Detective qui s’en inspire.
« Alors je l’entendis se déplacer à pas feutrés dans le hall. Et il fut à la porte, et les serrures se décomposèrent à son contact. Et il entra. Mes yeux écarquillés tentaient de percer les ténèbres, mais quand il entra dans la pièce, je ne vis rien. C’est seulement quand je le sentis m’envelopper de son étreinte froide et molle que je me mis à hurler et à me débattre furieusement, mais mes mains étaient sans force et il arracha la broche d’onyx de ma veste et me frappa en plein visage. Alors que je tombais, j’entendis Tessie crier faiblement et son âme s’envola, et tout en tombant je regrettai de ne pas la suivre, car je savais que le Roi en jaune avait ouvert son manteau déchiré et qu’il n’y avait rien d’autre à faire qu’à implorer Dieu. »
Robert W. Chambers Le Roi en jaune Le Livre de Poche - 381 pages –
Nouvelles traductions de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Thill
22/05/2015 | Lien permanent
David Vann : Aquarium
David Vann, né en 1966 sur l'Île Adak en Alaska, est un écrivain américain. En France, la publication de Sukkwan Island en 2010 rencontre un fort succès critique autant que public ce qui lui vaut le prix Médicis étranger. Il partage désormais son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l'Europe. Son nouveau roman, le cinquième, Aquarium, vient de paraître.
Caitlin, douze ans, habite avec sa mère Sheri - célibataire et sans famille - dans un modeste appartement d’une banlieue de Seattle. Afin d’échapper à la solitude de sa vie quotidienne, chaque jour, après l’école, elle court à l’aquarium pour se plonger dans les profondeurs du monde marin qui la fascine. Là, elle rencontre un vieil homme qui semble partager sa passion pour les poissons et devient peu à peu son confident. Mais la vie de Caitlin bascule le jour où sa mère découvre cette amitié et lui révèle le terrible secret qui les lie toutes deux à cet homme.
Je ne révèlerai pas un grand secret en disant que cet homme est le père de Sheri, c'est-à-dire son grand-père. Que l’enfant soit surprise, on le comprend, mais le lecteur qui lui connait David Vann ne pouvait pas imaginer un de ses romans sans une famille et qui plus est, une famille explosée ou psychologiquement déjantée. Nous avons donc un bouquin qui débute dans la lignée des précédents opus de l’écrivain, une tragédie familiale, ici le père haï par sa fille pour les avoir abandonnées, elle quand elle était encore ado et sa mère mourante, revient auprès d’elle pour tenter de réparer ses torts. Mais, à la différence de ses autres livres, le nouveau Vann, car il y a un nouvel écrivain nommé David Vann - (« C'est le premier roman dans lequel il n'y aucun personnage qui vient de ma famille. C'est aussi mon premier roman qui n'est pas une tragédie.") - opte pour une happy end qui semble tirée d’un conte de fées ou d’une comédie. Le lecteur en reste perplexe car en plus, le bon et le moins bon se côtoient.
Le bon : ce sont les longs passages se déroulant dans l’aquarium, très poétiques, où les différentes espèces de poissons rares décrites par Caitlin semblent des métaphores sur sa vie, c’est aussi cet aquarium, bocal sécurisant pour l’enfant ; les premières rencontres entre la fillette et le vieil homme sont très belles de même que les scènes entre Caitlin et son amie Shalini découvrant les amours enfantines. Vann restant quand même toujours Vann, il y a aussi des passages réussis mais atroces d’horreur quand Sheri raconte à sa fille, la vie qu’elle a dû mener pour s’occuper seule de sa mère à l’agonie (Emouvant « œuf de sang »).
Le moins bon : les dialogues ne m’ont pas toujours paru très bien torchés (par exemple entre Sheri et les flics) et surtout, si les situations sont le plus souvent dramatiques, les mots ne l’expriment pas toujours aussi bien qu’on pourrait le souhaiter, ce qui fait que l’ensemble manque du souffle qui fait les grands romans. Et puis cette tendance de l’écrivain à en faire souvent un peu trop (Sheri obligeant Caitlin à jouer son calvaire d’aide-soignante de sa mère).
Pour conclure, le roman n’est pas mauvais mais il n’atteint pas complètement son but. A demi réussi donc. Quant à ce nouvel écrivain David Vann se profilant ici… Hum ! Hum ! A suivre ?
« Le vieil homme se tourna alors vers moi, s’agenouilla, un geste qui paru douloureux. Il prit mes mains dans les siennes. Une peau froide et humide, rêche. Ecoute, dit-il. Tu commences juste. Tu as une longue vie qui t’attend. Moi, il ne m’en reste qu’un peu. D’autres hommes se mettront à genoux devant toi, plus tard, ils t’offriront leur vie, mais je t’offre davantage. Offrir la fin d’une vie, c’est bien plus, et mes raisons sont bien plus pures. Je t’aime plus qu’aucun homme ne t’aimera jamais. J’essayai de retirer mes mains, mais il tint bon. Il y aura des périodes difficiles. Déroutantes. Tu ne seras pas contente. Mais souviens-toi juste que je t’aime et que je ferai n’importe quoi pour toi, à partir d’aujourd’hui. »
David Vann Aquarium Gallmeister – 271 pages –
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
A noter que le texte est parsemé de petits dessins en noir et blanc, correspondant aux poissons cités dans le récit.
« C’est mon poisson préféré, dis-je en chuchotant toujours. Je demande à tout le monde quel est leur poisson préféré, et j’espère à chaque fois qu’ils répondront le poisson-fantôme. » (p.36)
13/10/2016 | Lien permanent | Commentaires (6)
Charles Dickens : Histoires de fantômes
Charles John Huffam Dickens (1812-1870) est considéré comme le plus grand romancier de l'époque victorienne. Dès ses premiers écrits, il est devenu immensément célèbre, sa popularité ne cessant de croître au fil de ses publications. L'expérience marquante de son enfance, que certains considèrent comme la clef de son génie, a été, peu avant l'incarcération de son père pour dettes, son embauche à douze ans chez Warren où il a collé des étiquettes sur des pots de cirage pendant plus d'une année. Bien qu'il soit retourné presque trois ans à l'école, son éducation est restée sommaire et sa grande culture est essentiellement due à ses efforts personnels. Il a composé quinze romans majeurs, cinq livres de moindre envergure, des centaines de nouvelles et d'articles portant sur des sujets littéraires ou de société. Sa passion pour le théâtre l'a poussé à écrire et mettre en scène des pièces, jouer la comédie et faire des lectures publiques de ses œuvres qui, lors de tournées souvent harassantes, sont vite devenues extrêmement populaires en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Histoires de fantômes est un recueil de dix nouvelles écrites entre 1840 et 1866. La présente édition vient tout juste de paraître dans une nouvelle traduction complétée d’un important dossier de notes et notices très instructives.
Je ne vais pas entrer dans le détail de chacun de ces textes mais sachez que vous y trouverez des revenants, des esprits-frappeurs, des prémonitions dramatiques qui se réaliseront, des cadavres enterrés qui confondent leurs meurtriers, des rats diaboliques, bref toute la panoplie des effets d’épouvante qui réjouissent le lecteur amateur du genre. Et quand c’est écrit avec le talent de Dickens comment ne pas succomber. Je préciserai quand même que tous les textes ne sont pas du même niveau pour mon goût personnel.
Fantômes de Noël permet à l’auteur de nous proposer une étude sur les différentes sortes de fantômes, avec Esprits frappeurs authentiques de manier le comique absurde (« Question : Vous vous appelez Pâté de porc ? Réponse : Oui. Question : Et… est-ce que vous ne seriez pas par hasard… du pâté de porc ? Réponse : Si ») et l’humour gras (« Une étrange sensation intestinale, proche du lâcher de pigeons, s’empara de l’écrivain. ») car l’auteur écrit au second degré, genre pastiche. Dickens n’oublie pas de glisser dans certaines nouvelles des observations sociales ou des considérations sur la cause féministe (La Maison hantée) et le lecteur familier des romans victoriens gothiques se réjouira de retrouver ce type de décors, « …une demeure fort ancienne, pleine d’immenses cheminées où les bûches flambent sur de vieux chenets. Pendus aux lambris de chêne habillant les murs, de sinistres portraits (associés, pour certains, à de sinistres légendes…) nous surveillent d’un air méfiant. »
J’ai beaucoup aimé ce petit bouquin dans lequel on piochera, selon son humeur, telle ou telle histoire pour délicieusement frissonner avant d’aller se coucher.
« Effleurant le bras du juré assis juste à côté de moi, je lui demandai à voix basse : « Auriez-vous l’obligeance de compter les jurés présents ? » Il eut l’air surpris par ma demande mais tourna la tête et se mit à compter : « Mais… » fit-il brusquement, « nous sommes trei… Non, c’est impossible… Mais non, nous sommes douze. » Selon mes décomptes ce jour-là, nous étions toujours le bon nombre pris un à un, mais lorsque l’on recomptait l’ensemble des présents, il y en avait toujours un de plus. Aucune vision, aucune apparition ne permettait d’expliquer cela, mais le pressentiment montait en moi que l’apparition allait à coup sûr se présenter. » [Le procès pour meurtre]
Charles Dickens Histoires de fantômes Folio – 264 pages –
Traduction nouvelle et édition d’Isabelle Gadoin
19/10/2016 | Lien permanent
François Mauriac : Le Baiser au lépreux
François Mauriac (1885-1970), lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952) a été décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958. Sixième roman dans l’œuvre de l’écrivain, Le Baiser au lépreux (1922) est son premier succès littéraire, tant auprès du public que de la critique.
Jean Péloueyre, jeune homme très laid et donc fort complexé, fuit les femmes ayant perdu tout espoir d’en séduire une. Un jour son père, vieux veuf hypocondriaque, lui annonce qu’une initiative du curé du village va lui permettre d’épouser Noémi d’Artiailh, jeune fille gentiment tournée. Surprise et étonnement. Très vite après leur union, Jean très amoureux de Noémi, constate que sa présence physique n’inspire que répulsion à sa jeune épouse, lui gâchant sa santé. Par amour, il s’impose de rester le moins souvent à la maison en allant chasser toute la journée puis, toujours sur une idée du curé, il part à Paris pour faire des recherches bibliographiques dans le cadre d’un travail d’histoire locale resté en suspens depuis longtemps…
Jean aime Noémi, Noémi aimerait être agréable à son époux mais c’est au-dessus de ses forces, « En vain voulut-elle réagir contre cette répulsion de sa chair ». Toujours par amour, Jean va se sacrifier, au sens propre du terme ; d’abord en s’éloignant de son épouse mais constatant à son retour que Noémi dépérit à nouveau, il va se « suicider » inconsciemment ( ?) en veillant un ami mourant contagieux. Sa veuve, après un deuil de trois ans, se tournera délibérément vers la religion, ignorant la chaude attention que lui portait le jeune médecin en charge de son mari.
J’ai trouvé cette vieille édition du livre, dans une brocante. Elle sent le papier jauni par les ans, cette odeur enivrante des bouquins abandonnés et ça va parfaitement avec ce roman. Une écriture datée pour des personnages d’un autre temps, mais attention, si les attitudes des uns et des autres nous semblent passéistes, les sentiments humains eux sont intemporels. Derrière les mots, entre les lignes, le roman est chargé d’une lourde puissance érotique – écrit aujourd’hui, il donnerait des suées. Ce Jean, complexé et fuyant les femmes, c’est une version de l’écrivain homosexuel refoulé. Noémi, elle, ne sait rien des plaisirs du corps et ce n’est pas son livre de messe qui « l’aurait éclairée sur cette secrète exigence en elle », sensation inconnue qu’elle ressent quand elle croise le jeune docteur. Scène torride autant que chaste quand Jean sur son lit de mort, à demi conscient, voit le toubib s’approcher au plus de près de Noémi….
Le sexe mais aussi la cupidité, le mariage est arrangé pour éviter que la fortune du père ne tombe dans les mains d’une branche familiale par alliance, tout cela orchestré par le curé grand ordonnateur des destinées terrestres et au-delà.
« Après de timides essais, Noémi voulut bien aider à la digestion de son beau-père par une lecture à haute voix. Elle était inlassable, ne s’arrêtait plus, faisait semblant de ne pas s’apercevoir que M. Jérôme préludait au sommeil par un petit souffle régulier. Une heure sonnait – une heure de moins à trembler de dégoût dans la ténèbre de la chambre nuptiale, à épier les mouvements de l’affreux corps étendu contre le sien et qui, par pitié pour elle, feindrait de dormir. Parfois le contact d’une jambe la réveillait ; alors elle se coulait tout entière entre le mur et le lit ; ou un léger attouchement la faisait tressaillir : l’autre, la croyant endormie, osait une caresse furtive. C’était au tour de Noémi de prendre l’aspect du sommeil, de peur que Jean Péloueyre fût tenté d’aller plus avant. »
François Mauriac Le Baiser au lépreux Le Livre de Poche – 178 pages –
07/12/2018 | Lien permanent