Rechercher : les grands cerfs
Michael Farris Smith : Nulle part sur la terre
Michael Farris Smith, né dans le Mississipi, est nouvelliste et romancier. Titulaire d'un doctorat de l'University of Southern Mississippi il a été professeur associé d'anglais au département de langues, littérature et philosophie à la Mississippi University for Women à Columbus. Il vit à Oxford (Mississippi) avec sa femme et ses deux filles. Nulle part sur la terre, son deuxième roman, vient de paraître.
Après onze années, Russel sort de prison ayant purgé sa peine et retourne à McComb sa ville natale dans le Mississipi à la frontière avec la Louisiane. Ailleurs, Maben, une femme seule avec une fillette, marche le long des routes, sans ressources et fuyant un danger qui rôde. Elle aussi revient à McComb où elle a vécu autrefois. L’un comme l’autre vont devoir affronter un présent plein de dangers et revivre un passé douloureux.
Je ne vais surtout pas entrer plus loin dans les détails de l’intrigue car ce serait aller contre la volonté de l’auteur. Toute la force de ce roman résidant dans sa construction et l’écriture de Michael Farris Smith. Appâté autant qu’épaté, le lecteur est constamment dans l’attente. Qu’est-ce qui s’est passé pour que cette femme et cette gamine errent ainsi sur les routes ? Pourquoi Russel a-t-il écopé de onze ans de tôle, quel genre de crime a-t-il commis ? Pourquoi à peine descendu du car le déposant à McComb se fait-il dérouiller par deux types bien décidés à se venger ? Tels sont les premiers appâts de ce récit.
Quant à l’épate, c’est l’écriture. Une longueur de phrase donnant un rythme envoutant et captivant, immédiatement perceptible dès les premières pages. Nombreux sont les romans qui se ressemblent dans les grandes lignes de leurs scénarios – particulièrement ce genre de romans américains -, les décors, le pick-up qui roule de nuit avec les canettes de bières à portée de main, les hommes rudes et bagarreurs, les femmes qui subissent etc. J’ai lu des piles de bouquins de ce type, pourtant malgré leur analogie apparente, il y en a de bons et il y en a de mauvais, toute la différence résidant dans l’écriture ; et là avec Michael Farris Smith nous sommes dans la seconde catégorie, celle des très bons romans et peut-être même des grands écrivains si d’autres livres viennent confirmer cette hypothèse.
Si le lecteur est pris par la technique de l’écrivain, il succombe aussi au charme des personnages. Tous sont attachants et paradoxe, ce sont leurs faiblesses ou leurs défauts qui attirent notre sympathie ou du moins notre compréhension. Pour donner un exemple, c’est le genre de bouquin où les méchants peuvent pleurer, « Il pleurait comme un homme qui a perdu la foi et il n’essaya pas d’empêcher les larmes de couler… »
Le Bien, le Mal ne sont que des mots dont on voudrait facilement qualifier les gens, pourtant il ne tient qu’à un rien de tomber dans une case ou l’autre. Russel et Maben ne le savent que trop bien, poursuivis par un fatum qui n’a que de sales tours dans son sac. Et pour ceux qui ont fait le mal, la repentance les absout-elle de leurs crimes ?
Un très beau roman car extrêmement touchant.
« Il éprouvait souvent une grande sérénité lorsqu’il roulait sur les chemins de l’arrière-pays au plus profond de la nuit : les routes désertes, ce sentiment d’être séparé de tout ce qui vivait là-bas dans les lumières de la ville. Mais cette sérénité pouvait tout aussi bien se briser et s’éparpiller dans les recoins les plus sombres de la campagne quand il était soudain submergé par les pensées haineuses qui l’habitaient – l’épouse qu’il n’avait plus, et le fils qu’il ne pouvait pas voir, et la femme qui était la sienne aujourd’hui, et les hommes qui fricotaient avec elle, et les morts qui ne reviendraient jamais, et les vivants qui reviendraient toujours. Et alors il enrageait contre l’objet le plus saillant de sa haine, et il regardait dans le rétroviseur et cet objet était là et lui rendait son regard… »
Michael Farris Smith Nulle part sur la terre Editions Sonatine – 362 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty
11/09/2017 | Lien permanent | Commentaires (2)
Jim Harrison : Sorcier
Jim Harrison (1937-2016), de son vrai nom James Harrison, est un écrivain américain. Il a publié plus de 25 livres, dont les renommés Légendes d'automne, Dalva, La Route du retour, De Marquette à Vera Cruz… Membre de l'Académie américaine des Arts et des Lettres, Jim Harrison a remporté la bourse Guggenheim et a déjà été traduit dans 25 langues. Roman, Sorcier date de 1981.
Quelle ne fut pas ma surprise en épluchant distraitement la bibliographie de Jim Harrison, un de ses romans m’avait échappé. Intolérable. Le temps de retrouver un accès aisé en librairie et cet impair fut réglé.
Johnny Lundgren, baptisé Sorcier quand il était scout, est un cadre au chômage. Il vit dans le Michigan avec sa femme Diana (« un des plus parfaits derrière de la Création »), accessoirement infirmière urgentiste, et son clébard – un peu braque – Hudley (« Dès sa puberté, Hudley s’était pris d’une passion purement sexuelle pour les poubelles »). Décidé à changer de vie, il accepte un job du Dr Rabun, une relation professionnelle de sa femme : détective pour dénicher les preuves qu’on l’arnaque ! Ce qui va l’entrainer des forêts du Nord aux plages de Floride…
Amateurs de polars calmez-vous, si l’intrigue du roman en suit vaguement la trame, elle est trop simplette pour séduire les accros à ce genre de littérature. Jim Harrison ne fait même pas l’effort de nous faire croire qu’il a écrit un polar, on voit bien que ce n’est qu’une comédie satirique, dans laquelle il va pouvoir caser ses priorités bien connues des lecteurs du Grand Jim, à savoir la bouffe et la baise. Ici un chat est un chat, on ne tourne pas autour du pot, ou pour y tremper un doigt.
Sorcier est un personnage attachant malgré ses excès et ses contradictions et difficile pour le lecteur de ne pas y voir une sorte d’alias de l’écrivain (tel qu’il se voit ou se rêve ?) se débattant avec ses fantômes. Toujours partant pour une partie de jambes en l’air avec sa femme – qui ne crache pas dessus non plus, d’ailleurs. Et quand Diana n’est pas à portée de mains, une autre fait autant l’affaire. Et là, première contradiction, si Sorcier a toujours une bonne excuse pour tromper sa douce, il n’accepte pas l’inverse !
Entre deux séances de golo-golo, il mange, ou pense à manger, ou fait la cuisine (à l’ail !). Réussissant le tour de force de mêler le gourmet et le glouton car il s’empiffre carrément et on ne peut que conseiller au lecteur de prévoir une boîte d’Alka-Seltzer à proximité sous peine d’indigestion. Autre contradiction puisque notre héros affirme « la bouffe et la baise ne font pas bon ménage ». On pourrait citer d’autres traits de caractères comme sa grande gueule alors qu’il a peur d’un tas de trucs, trop longs à énumérer…
Je n’ai rien dit de l’intrigue, ça n’en vaut pas la peine, là n’est pas le propos de l’écrivain. Par contre les amateurs de l’auteur se réjouiront, le bouquin se déguste comme une paillardise bien lubrique. En cerise sur ce gâteau, le décalage extravagant entre sa date d’écriture (1981), hier donc, et aujourd’hui où il serait impossible de sortir un tel bouquin tant il est macho en diable, à faire hurler les féministes et les gays, sans oublier les végans et autres qui chipotent dans leurs assiettes.
Merci Big Jim pour ce bon moment de lecture très drôle et devenue subversive avec le temps…
« Les gens qui ont vu Delivrance ne savent certainement pas que le Grand Nord abrite des monstres à visage humain encore plus dangereux que leurs homologues sudistes. La moindre bourgade possède son colosse complètement débile qu’on surnomme généralement « Minet ». Ce sont des types capables d’engloutir quinze hamburgers, cinq poulets rôtis, une caisse de bière et qui n’hésitent jamais à fendre le crâne d’un étranger de passage. Heureusement, l’apparition encore récente de la marijuana dans ces contrées reculées contribuait à calmer la férocité de ces voyous. Il était amusant d’imaginer que, dans dix ans, ils pousseraient le jeu jusqu’à porter des cheveux longs et à embrasser les causes écologiques. Mais, pour le moment, on n’en était pas encore là et il importait de prendre le large. »
Jim Harrison Sorcier 10-18 – 296 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Serge Lentz
02/07/2020 | Lien permanent | Commentaires (2)
Philip Roth : L’Ecrivain fantôme
Philip Milton Roth (1933-2018) est un écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans. L’un des plus grands écrivains de son siècle. L’Ecrivain fantôme, précédemment traduit sous le titre de L'Ecrivain des ombres, est le premier tome du cycle Nathan Zuckerman. Il est inclus dans la trilogie Zuckerman enchaîné (L’Ecrivain fantôme (1981) – Zuckerman délivré (1982) – La Leçon d’anatomie (1985) – augmentée d’une conclusion L’Orgie de Prague (1987))
Nous sommes en 1956, Nathan Zuckerman (un double de Roth sans être un clone pour autant) un jeune écrivain en devenir est invité chez son idole littéraire, E.I. Lonoff. Un séjour d’une journée et une nuit. Une aubaine inespérée car l’écrivain, retiré de toute vie mondaine vit en quasi ermite avec sa femme Hope, dans le Massachusetts. Les deux hommes parlent littérature et de « la folie de l’art » selon la formule d’henry James, Hope invisible s’affaire ailleurs dans la maison, mais il y a une autre personne ici, Amy Bellette, une jeune étudiante de Lonoff qui lui sert de secrétaire. A peine vue, immédiatement séduit, Nathan commence à fantasmer sur cette mignonne…
Le roman est court mais il est riche, proposant un jeu de miroirs extrêmement bien construit.
Nathan est en froid avec sa famille depuis qu’il a écrit et publié une nouvelle évoquant un problème familial qui selon son père, porterait tort aux Juifs et pourrait fournir des arguments aux « goy qui nous toisaient déjà avec assez de mépris gratuit et qui ne seraient que trop ravis de nous traiter de youpins en raison de ce que j’avais écrit à l’intention du monde entier sur de sordides conflits d’intérêts entre juifs. » Venu chez Lonoff, assoiffé de reconnaissance, il pense voir en lui une sorte de père spirituel.
La présence d’Amy chamboule un peu ses vues et ses projets car au cours d’une scène mémorable d’un grand comique – la nuit grimpé sur une pile de livres posés sur le bureau du Grand Ecrivain, Nathan surprend une conversation entre son idole et Amy dans sa chambre, située juste au-dessus. Là, les bribes de mots chuchotés laissent libre-cours à la réalité comme aux fantasmes. Amy est-elle la maîtresse de Lonoff ? Mais plus extraordinaire encore, la jeune femme pourrait être Anne Frank l’ancienne recluse d’Amsterdam…. !
Liens familiaux fictifs : Lonoff père spirituel de Nathan, Amy « fille » de Lonoff, Amy qui voudrait épouser Lonoff alors que Nathan voudrait épouser Amy, Amy qui se prend pour Anne Frank, et in fine, Hope qui poussera une gueulante et menacera de quitter le foyer ! Réalité et fiction se mêlent, le matériau idéal pour tout écrivain et Nathan de s’interroger « Mais que sais-je, en vérité, à part ce que je peux imaginer ? »
« Le matin où le journal était apparu aux éventaires, j’avais bien dû lire cinquante fois les paragraphes consacrés à « N. Zuckerman ». Je m’étais efforcé de m’atteler à ma machine pour les six heures de travail que je m’imposais mais sans résultat ; je reprenais la revue et contemplais ma photo toutes les cinq minutes. Je ne sais pas trop quelles révélations j’attendais de cet article – l’orientation de mon avenir, sans doute, les titres de mes dix premiers livres – mais je me souviens que cette photographie d’un jeune écrivain pénétré et sérieux jouant si doucement avec un petit chat et vivant, était-il précisé, dans un vieil immeuble sans ascenseur de quatre étages au Village avec une jeune ballerine, risquait d’inspirer à un certain nombre de femmes grisantes l’envie de prendre la place de celle-ci. »
Philip Roth L’Ecrivain fantôme (Zuckerman enchaîné) Folio – 154 pages –
Traduit de l’anglais par Henri Robillot
20/07/2020 | Lien permanent | Commentaires (2)
Gabrielle Wittkop : Les Héritages
Gabrielle Wittkop née Gabrielle Ménardeau (1920-2002), est une femme de lettres française et traductrice. Elle est l'auteure d'une littérature dérangeante, macabre, bien souvent au-delà de toute morale. Son style, ainsi que ses centres d'intérêt (thanatos, sexe, identité de genre, étrangeté) apparentent son œuvre à celles du Marquis de Sade, de Villiers de L'Isle Adam, de Lautréamont ou d'Edgar Allan Poe. Elle rencontre dans le Paris sous occupation nazie un déserteur allemand homosexuel du nom de Justus Wittkop, âgé de vingt ans de plus qu'elle. Ils se marient à la fin de la guerre, union qu'elle qualifiera d'« alliance intellectuelle », elle-même affichant à diverses reprises son homosexualité. Le couple s'installe en Allemagne où Gabrielle Wittkop vivra jusqu'à sa mort d’un probable suicide ( ?) atteinte d’un cancer au poumon. Les Héritages, roman inédit, vient de paraître.
En 1895, Célestin Mercier fait construire une villa – Séléné - en bord de Marne et finit par s’y pendre ! La maison désormais hantée, connaitra plusieurs propriétaires et de multiples locataires durant un siècle, jusqu’en 1995, date à laquelle elle sera détruite, devenue insalubre, mais laissant place à un vaste terrain riche en profit immobilier.
Le roman est assez mince, pourtant Gabrielle Wittkop réussit à en faire une sorte de mini « comédie humaine » en y casant une ribambelle de personnages – dont beaucoup vont mourir - de toutes les catégories sociales qui traverseront le siècle et ses remous. Pour ne citer que quelques figures par ordre d’entrée en scène, vous y trouverez un amateur de roulette russe, une artiste qui peint ses visions, un inspecteur de police accordéoniste frustré, un couple homosexuel avec un corbeau, un pharmacien exhibitionniste, un égyptologue britannique, le rat Astérix etc.
Pour les époques et donc l’Histoire, la Grande guerre, la Seconde avec l’Occupation et une famille Juive cachée dans le sous-sol, les années Sida. L’écrivaine n’oublie pas les amours homosexuelles, le féminisme et un chouya de fantastique mineur avec le « petit sac de moleskine noire » qui apparaît et disparaît tout du long du roman, vestige du pendu d’origine.
Tout ceci vous semble disparate ou hétéroclite, sachez pourtant que l’intérêt principal de ce bouquin réside dans son écriture. Un style extrêmement personnel, qui marie quelque chose du style XIXème avec des phrases alambiquées mais ciselées, un vocabulaire recherché, mêlé à un ton très moderne qui n’exclut pas l’humour (« Joachim Soupé ferma définitivement ses yeux de cygne, à l’âge de quatre-vingt-sept ans, se disant peut-être qu’il partait pour le ciel, puisque là les potes iront. »)
J’ai trouvé ce livre particulièrement intrigant. Si pour vous la lecture va au-delà de la simple histoire/intrigue d’un roman, goûtez cette écrivaine à la saveur originale ; quant à moi, je me promets d’en reprendre une lampée avec un ouvrage plus corsé puisque aux dires de sa biographie elle a écrit des romans plus musclés ( ?).
« Comme tout chasseur, Jacques Grenier haïssait les chats dont il ne pouvait souffrir la concurrence. (…) Aussi, quand au volant de sa grosse Mercedes il apercevait quelque chat courant le long de la route ou la traversant, donnait-il du gaz et, dirigeant adroitement la voiture, allait-il écraser l’infâme, ce dont il tirait une immense satisfaction. Or un soir qu’ayant aperçu un grand chat roux dans la lueur des phares il fonçait sur lui, un camion venant en sens inverse emboutit frontalement la Mercedes de Jacques Grenier. On l’en retira à la cuiller, après une mort beaucoup trop prompte, cependant que le grand chat roux était déjà retourné sans encombres à ses chasses, rare exemple d’une immanente justice. »
Gabrielle Wittkop Les Héritages Christian Bourgois Editeur – 170 pages –
19/11/2020 | Lien permanent | Commentaires (6)
François Garde : Marcher à Kerguelen
François Garde, né en 1959 au Cannet, est un écrivain et haut fonctionnaire français. Sorti en 1984 de l'ENA il est nommé de 1991 à 1993 Secrétaire général adjoint de la Nouvelle-Calédonie. Entre mai 2000 et décembre 2004, François Garde est administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises à la Réunion. Marcher à Kerguelen paru en 2018 vient d’être réédité en poche.
C’est grâce à son mandat d’administrateur des Terres australes et antarctiques que François Garde découvre les îles Kerguelen, archipel français dans le sud de l'océan Indien, l'un des cinq districts des Terres australes et antarctiques françaises situé à plus de 3 250 kilomètres de La Réunion, terre habitée la plus proche. Il se promet d’y revenir un jour, à titre personnel pour en faire la traversée pédestre, rêve qu’il réalisera plusieurs années plus tard et dont il fait le récit dans cet ouvrage.
Tout d’abord constituer une équipe restreinte d’amis chacun spécialiste dans son genre : Mika, guide professionnel sera le chef d’expédition, Bertrand ancien officier de marine, grand connaisseur du climat et du terrain local, sera le photographe, et Fred, ancien hivernant sur l’île, est le médecin de la troupe. L’expédition durera vingt-cinq jours dans des conditions particulièrement rudes, aussi doivent-ils ne se charger qu’au minimum et se répartir le tout, vingt-cinq kilos dans chaque sac quand même, et par exemple ils prennent une tente pour trois alors qu’ils sont quatre… Ils connaissent le terrain, ils savent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur, aucun secours rapide n’est envisageable.
Le décor posé qu’en est-il du récit ?
Personnellement ça m’a laissé assez froid, c’est le cas de le dire ici ! Le paysage minéral est d’une grande tristesse, la faune se sont les oiseaux marins, les manchots et les éléphants de mer, la flore des lichens variés et même ce peu, ils n’ont guère loisir de l’admirer car le périple se fait dans le froid, la pluie et la neige, le brouillard et un vent à rendre dingue (« son bruit, ses gifles, ses caprices, son haleine glacée »).
Je comprends très bien que tous les goûts soient dans la nature et que ce genre d’endroit puisse avoir son charme. En faisant un effort je peux convenir que certains se lancent dans ce type d’aventure pour défier les lois du physique. Je ne conteste donc pas le plaisir de ces marcheurs, mais pour celui du lecteur de ce récit, on repassera. Rien ne m’a fait envie, rien ne m’a étonné ou inquiété, je n’y ai même rien appris de mémorable sur les lieux ou sur la nature humaine. Oui c’est fort bien écrit mais pour moi ça reste une lecture sans grand intérêt d’autant que des récits de ce genre et dans différents coins du globe j’en ai lu un paquet…
« Etrange idée tout de même qu’un livre tout entier consacré à la marche. Il repose sur une illusion, voire un mensonge. Qui peut croire que chaque ligne a été écrite pendant l’effort, dans la spontanéité du mouvement et le vagabondage de l’esprit ? A l’évidence, si j’écris pendant que je marche, je tombe. De même qu’un livre traitant de l’amour n’est pas écrit au fond d’un lit, dans la tiédeur des corps enchevêtrés, de même celui-ci n’a pas été rédigé au fil des pas. Rien ne serait plus hypocrite que de laisser croire à la chronique d’un exploit. »
François Garde Marcher à Kerguelen Folio – 283 pages –
Peut-être que ce fichier audio pourrait vous mettre dans de meilleures conditions ? C’est ICI.
03/05/2021 | Lien permanent | Commentaires (4)
Javier Cercas : Terra Alta
Javier Cercas Mena, né en 1962 à Ibahernando, dans la province de Cáceres, est un écrivain et traducteur espagnol. Il est également chroniqueur du journal El País. Terra Alta, son nouveau roman, vient de paraître.
Melchor, policier ayant acquis une certaine célébrité à Barcelone après avoir abattu quatre terroristes islamiques, s’est éloigné des projecteurs des médias dans un petit poste de police au sud de la Catalogne, en Terra Alta. A peine arrivé, il doit enquêter sur un horrible assassinat, les époux Adell ont été tués et torturés. Le mort Adell (et là, les sots s’y sont mis pour voir l’astuce !) était propriétaire d’une cartonnerie d’envergure internationale qui faisait vivre toute la région.
Un polar très bien écrit mais qui m’a longtemps laissé penser que j’en sortirais déçu tant il est vrai que je me demandais si je lisais un polar ou un roman de belle littérature, comme si – à tort – il n’était pas possible de marier les deux concepts, ce que réussit fort bien à faire Javier Cercas.
Le roman procède par flash-backs ce qui nous permet de découvrir la personnalité de Melchor. Fils d’un père inconnu et élevé par une mère prostituée, il connait la petite délinquance et la prison, puis après l’assassinat sordide de sa mère décide de faire les études lui permettant d’entrer dans la police où il va tenter, à ses heures perdues, de retrouver les coupables. Muté dans une petite ville en Terra Alta, il va y connaître l’amour avec Olga, la bibliothécaire qui lui donnera une fille, mais aussi le plus grand des chagrins…
Ces différents épisodes s’intercalent dans le cours de l’enquête sur le décès des époux Adell ; enquête qui avance lentement, tellement même que devant l’absence de résultats probants, le dossier est classé par la hiérarchie de Melchor. Qui ne l’accepte pas et la continue en loucedé à ses risques et périls. La résolution finale de l’affaire trouvera ses origines dans l’Histoire, celle de la bataille de l’Ebre, le plus vaste des combats qui furent livrés durant la guerre d'Espagne entre les forces républicaines et les insurgés nationalistes. Elle se déroula dans la basse vallée de l'Ebre en 1938 et ce fut la dernière grande offensive des républicains, mais elle se solda par un échec tactique et stratégique qui précipita la fin de la guerre.
Le roman est très bien écrit et c’est son principal attrait ; les références littéraires sont nombreuses, Melchor est un grand admirateur des Misérables de Victor Hugo, les personnages de Jean Valjean et surtout Javert le fascinent, il appellera même sa fille Cosette. L’enquête est décrite avec beaucoup de minutie et de précisions ce qui m’avait un peu lassé (?) avant que je ne prenne conscience de la portée morale ou philosophique du bouquin : ce qui court entre les lignes c’est la constatation que « les faux méchants sont les véritables gentils (…) et donc que les faux gentils ce sont les vrais méchants » ainsi que cette interrogation, doit-on condamner un homme qui se fait justice lui-même quand sa cause est juste ?
Un très bon roman illustrant le fameux adage, le malheur des uns (les personnages du livre) fait le bonheur des autres (les lecteurs) !
« La vérité, c’est qu’on vit assez bien ici, continua le caporal. On gagne même un peu plus. Evidemment, on n’est pas moins pauvres pour autant, surtout dans ma situation, avec deux filles à la fac. C’est là que tu te rends compte de ce que ça veut dire, être flic dans ce pays. A quel point on nous traite mal, comment on nous piétine. Ah ça, oui, quand ça chauffe, ils ont besoin de nous pour qu’on assure leur protection, et nous on va risquer notre peau pour eux. En attendant, on est considérés comme de la vermine, on est payés une misère, on nous humilie, et si c’était possible on nous cacherait quelque part, parce qu’on fait honte. Bon sang, ça me dégoûte. Quand je pense à tout ça, je n’ai plus envie d’être flic, tu vois. Bref, en tout cas, ici, en Terra Alta, tu vivras mieux qu’à Barcelone, surtout si tu vis seul. »
Javier Cercas Terra Alta Actes Sud – 307 pages –
Traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon
03/06/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
Geoff Dyer : Ici pour aller ailleurs
Geoff Dyer, né en 1958 à Cheltenham, est un écrivain britannique. Enfant d'un père tôlier et d'une cantinière en milieu scolaire, il obtient une bourse pour étudier l'anglais au Corpus Christi College de l'Université d'Oxford. Une fois ses études terminées, il part pour l'Amérique où il devient conservateur en chef chez Saatchi Art de Los Angeles. Ici pour aller ailleurs, paru cet automne, est un recueil d’articles pour divers magazines remaniés pour l’occasion.
Un peu moins d’un dizaine de textes de voyages, mais pas dans le sens traditionnel où les voyages vous font rêver ou frémir, l’auteur adopte une approche plus intellectuelle – néanmoins très abordable par tous – faite d’interrogations du genre « où allons-nous ? » et son corollaire « où n’allons-nous pas ? », sur le temps qui passe etc.
Ces récits sont sérieux pour certains, plein d’humour pour d’autres, les deux à la fois souvent. Les voyages vont nous mener à Pékin et la visite de la Cité interdite avec une jeune guide qui va faire battre le cœur de l’Anglais ; dans la ligne souriante encore, cette escapade au Nord de la Norvège où il fait un froid de gueux pour que sa femme puisse voir une aurore boréale. Là nous avons l’angle classique des récits de voyages.
Plus pointu, ce séjour en Polynésie pour le centenaire de la mort de Gauguin, ce qui nous vaut un portrait cocasse du peintre émoustillé par les vahinés : « Et tout en cherchant à comprendre ce qui se passait dans leur tête, il ne dédaignait pas de leur mettre la main dans la culotte, ce que les autres colons jugèrent d’un œil sévère et possiblement envieux. » Ca se complexifie avec des visites de lieux pour y admirer du land-art : Spiral Jetty (« Jetée en spirale ») est une œuvre de Land art réalisée par le sculpteur américain Robert Smithson au bord du Grand Lac Salé en avril 1970, ou encore The Lightning Field créée en 1977 par Walter De Maria et installée au Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis.
Peut-être préférerez-vous visiter la maison de Theodor Adorno, le philosophe allemand, à Los Angeles. A moins que ce ne soient les Watts Towers dans cette même ville. Si tout l’ouvrage ne mégote pas avec les références culturelles littéraires, cinématographiques voire photographiques, ces deux récits font appel à ses profondes connaissances du jazz. Il y aborde entre autre, un point qui m’a particulièrement intéressé car commun à ma propre expérience (moi dans le registre du rock), comment des photos de pochettes d’albums de disques peuvent nous inciter à aller voir sur place ces lieux…
Le livre est très bien écrit, intelligent mais bourré de cet humour british impayable ; on suit Geoff Dyer avec curiosité, étonné par son regard original sur les choses et les lieux, son caractère « discutable » (souvent prêt à critiquer) ou même peu charitable (quand il abandonne un autostoppeur dans une station service et s’en félicite ! A sa décharge, il avait une excuse ( ?) et vous la découvrirez dans un texte limite angoissant, voir pour ceux qui connaissent « Riders On The Storm » des Doors).
Attentes contrariées et espoirs déçus, interrogations existentielles, tentatives pour comprendre ce qu’un lieu donné signifie et pourquoi nous nous y rendons, telles sont les grandes lignes de cet ouvrage original ne manquant pas d’intérêt.
« Il faisait jour quand l’avion décolla et nuit quand il atterrit, quelques heures plus tard, à Longyearbyen. Même si nous avions décollé à l’heure où nous avions atterri, il aurait déjà fait nuit à Longyearbyen. Nous aurions pu y atterrir à n’importe quel moment au cours des six semaines précédentes et il aurait toujours fait nuit noire, et il aurait fait tout aussi froid, plus froid que dans n’importe quel endroit où j’avais jamais mis les pieds, plus froid et plus noir que dans n’importe quel endroit où quiconque ayant pour deux sous de jugeote ne mettrait jamais les pieds. Nous venions tout juste de sortir de l’avion et nous dirigions vers le terminal quand Jessica exprima très exactement ce que j’étais en train de penser : « Pourquoi est-ce qu’on est venu dans ce trou du diable Vauvert ? » »
Geoff Dyer Ici pour aller ailleurs Editions du sous-sol – 215 pages –
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Pierre Demarty
« Sur la pochette de Brown Rice [album de Don Cherry], les tours [les Watts Towers] semblaient faites du plus austère métal, mais chaque flèche, chaque filament, chaque vrille était en réalité recouverte de béton, festonnée de babioles de couleurs scintillantes, de bouts de verre émeraude et bleu, de morceaux de faïence. »
25/01/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
Luke Healy : Americana
Luke Healy, né à Dublin en 1991, est un auteur de BD irlandais. Americana, qui vient de paraître, est un roman graphique, une expression assez floue désignant ici, l’enfant bâtard né de l’union d’un roman avec une BD, c'est-à-dire de petites pages de texte habilement mariées avec des planches de dessins.
L’auteur, enfant de la "génération immigration" pour cause de crise économique en 2008, nous plonge à travers son histoire personnelle et familiale, dans l'histoire de l'Irlande et ses différentes vagues d'émigrations forcées, sur plusieurs générations. Lui-même, imprégné de la culture de ce pays par les films et les romans, a séjourné plusieurs fois aux Etats-Unis pour ses études et trouver du travail, mais quand le visa de sa carte de séjour arrivait à terme, triste retour à la case départ à Dublin.
En 2016, notre héros se lance dans un projet insensé pour fous furieux, se faire le Pacific Crest Trail (PCT). Un sentier de grande randonnée de l'ouest des Etats-Unis qui court de la frontière mexicaine à la frontière canadienne sur près de 4 240 km. Il parcourt la plus grande partie de la Sierra Nevada et de la chaîne des Cascades (Cascade Range). Le Pacific Crest Trail est situé à 200 km de l'océan Pacifique, parallèle à celui-ci. Son point le plus haut culmine à 4 000 mètres d'altitude, au col Forester, dans la Sierra Nevada. Conçu en 1968 lors de la création du National Trails System par le Congrès américain (il en existe huit en 2008), ce titre lui fut attribué car il traverse de nombreux (25) parcs naturels. Il a été officiellement terminé en 1993 et c’est l'un des trois plus longs et célèbres sentiers américains.
Cinq mois de marche, avec un lourd sac à dos, à travers des déserts où l’on crève de chaud, escaladant des cols de montagnes où il neige, dans des forêts profondes, traversant des rivières etc. Nombreux sont ceux qui se risquent sur ces sentiers, beaucoup abandonnent rapidement, les autres avancent comme ils peuvent, seuls ou par petits groupes qui s’étirent, se cassent puis se regroupent plus loin. Luke en bave, le corps souffre, l’esprit souffre, puis lentement la machine humaine s’habitue à ce rythme.
Le périple est pleins d’anecdotes souriantes, de rencontres avec les autres trekkeurs, des petits trucs imposés par cette vie (transporter ses excréments dans un sac jusqu’à ce qu’on trouve une poubelle, pour éviter que les animaux ne les déterrent si on les laisse sur place…). Le marcheur ne se la pète pas, bien au contraire, souvent il se sent coupable, de faire du tourisme là où les migrants mexicains risquent leur vie, ou bien d’être dépanné par d’autres randonneurs… Les émotions sont aussi du voyage, quand Luke apprend que son grand-père est mourant, doit-il abandonner ou rentrer en Irlande ? Quand la fatigue et la souffrance sont trop fortes, peut-il rendre les armes ?
Un « pèlerinage » en forme d’exorcisme, l’homme abandonne ses rêves d’enfant sur cette Amérique fantasmée dont il esquisse quelques dessous pas toujours reluisants. Un bien beau bouquin.
« Quand je suis retourné en Irlande, je ne connaissait pratiquement plus personne. Tous les mecs de mon âge étaient partis. Ils avaient migré aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Australie, en France ou au Japon… Pour les journaux, on était la « génération immigration », la nouvelle génération sacrifiée, celle de la crise financière de 2008. Impossible de trouver un job à Dublin. Le chômage des jeunes dépassait les 20%. La plupart d’entre eux n’avait pas d’autre choix que de partir. Jusqu’à mon départ pour le PCT, j’ai moi-même postulé à plus d’une centaine d’offres et je n’ai obtenu qu’un seul entretien. Sans décrocher le poste au bout du compte. Les employeurs étaient submergés de candidats surqualifiés. Dans un cinéma, on m’a sorti que je n’étais pas assez diplômé pour vendre tickets et popcorn… Par rapport à mes concurrents directs, du moins. »
Luke Healy Americana (Où comment j’ai renoncé à mon rêve américain) Casterman – 332 pages –
Traduction de l’anglais par Basile Béguerie
14/01/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
Léon Bloy : La Femme pauvre
Léon Bloy (1846 – 1917), est un romancier et essayiste français, polémiste célèbre. Sans trop entrer dans le détail de sa biographie, juste cet épisode marquant qui donne une bonne idée du personnage : En 1877 il perd ses parents, effectue une retraite à la Grande Trappe de Soligny, la première d'une série de vaines tentatives de vie monastique, et rencontre Anne-Marie Roulé, prostituée occasionnelle, qu'il recueille, et convertit, en 1878. Rapidement, la passion que vivent Bloy et la jeune femme se meut en une aventure mystique, accompagnée de visions, de pressentiments apocalyptiques et d'une misère absolue puisque Bloy a démissionné de son poste à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Son roman La femme pauvre date de 1897.
Le roman se déroule en grande partie à Paris, débutant en 1879 et courant sur une petite dizaine d’années. Clotilde, l’héroïne du livre, vit avec sa mère et le concubin de celle-ci, tous deux ont connu des jours meilleurs mais aujourd’hui c’est la grande misère et son cortège d’alcoolisme, de violence et autres misérables conditions de vie dans un taudis infâme. Quand le hasard lui fait rencontrer Gacougnol, artiste peintre, Clotilde pense être sortie de sa triste condition ; il l’engage comme modèle puis la prend sous son aile amicale et chaste comme dame de compagnie, faisant son éducation intellectuelle et l’éloignant de ses parents ignobles. Mais le destin n’en aura pas fini avec Clotilde quand son protecteur sera assassiné par son beau-père et qu’elle se retrouvera sans le sou…
Si vous n’avez jamais lu cet auteur, sachez que c’est une expérience qui peut être tentée mais qu’elle n’est pas donnée à tous.
Tout d’abord il s’agit d’un roman datant d’un autre siècle, il faut donc s’attendre à être plus ou moins déstabilisé par la mentalité des personnages, le style de l’écriture mais je suppose que la majorité d’entre vous connaissez cette situation. Sauf que là, l’écrivain c’est Léon Bloy et ça fait une grosse différence avec ce que vous pouvez imaginer.
D’emblée le lecteur est plongé (noyé ?) dans une écriture asphyxiante au vocabulaire luxuriant de mots rares, spécialisés, régionaux… ; d’images fortes (« … le chiendent d’une séditieuse moustache qu’il eût été préférable d’utiliser pour l’étrillage des roussins galeux ») ; de vacheries (« … méprisé par les gazouillards de la Comédie Française et les liquidateurs de diphtongues du Conservatoire… ») ; de tournure de phrases extravagantes sur un ton de déclamation souvent. A ce stade de l’affaire, soit vous vous émerveillez devant cette avalanche, cette logorrhée sans fin, soit vous pliez bagage. Les plus courageux devront affronter une autre épreuve et ce n’est pas la moindre, tout le roman baigne dans la religiosité et une recherche d’absolu qui aujourd’hui plus qu’hier déjà, alourdit le roman, clôture de barbelés qui en éloignera de potentiels lecteurs.
Car qu’en est-il exactement du roman ? Clotilde rebondit avec Leopold, l’épouse et accouche d’un petit ; la cécité atteint son époux qui doit se reconvertir, retour à la case misère. Je vous épargne toutes les horreurs que devra endurer le couple, la mort qui frappe à la porte deux fois et notre héroïne désormais seule à jamais et dans le plus complet dénuement mais qui trouve enfin le bonheur dans cette situation de pauvreté extrême, sauvée par sa foi qui la rapproche un peu plus de son Dieu.
Un roman costaud qui se mérite, donc pas pour tout le monde. Je ne dirai pas que je me suis régalé, ni le contraire d’ailleurs mais l’expérience est très intéressante.
« Il se rappelait un geste, rien qu’un geste. Le soir qui avait précédé la catastrophe, au moment où il allait monter dans sa chambre, l’enfant s’était détourné de sa mère et avait tendu vers lui une de ses mains pour le caresser à son ordinaire. Mais Clotilde, qui n’était parvenue qu’à peine à faire prendre le sein au petit malade et qui craignait une distraction, avait éloigné d’un signe de tête son pauvre mari que le souvenir de ce geste puéril, de cette dernière caresse perdue, torturait maintenant d’une manière affreuse. Car l’âme humaine est un gong de douleur où le moindre choc détermine des vibrations qui grandissent, des ondulations indéfiniment épouvantables… »
Léon Bloy La Femme pauvre Les Editions du Cénacle – 310 pages –
Vous pouvez lire ce roman ICI
23/07/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
Jules Verne : De la Terre à la Lune
Jules Verne (Jules-Gabriel Verne de son nom exact), né en 1828 à Nantes et mort en 1905 à Amiens, est un écrivain français dont les livres sont, pour la plus grande partie, constituée de romans d'aventures utilisant les progrès scientifiques propres au XIXe siècle. En 1863 paraît chez l'éditeur Pierre-Jules Hetzel son premier roman, Cinq semaines en ballon, qui connaît un très grand succès y compris à l'étranger. Jules Verne nous a légué une œuvre immense, plusieurs dizaines de romans dont quelques chefs-d’œuvre comme Vingt mille lieues sous les mers (1870) pour n’en citer qu’un et mon préféré. Populaire dans le monde entier, il vient au deuxième rang des auteurs les plus traduits en langue étrangère après Agatha Christie. De la Terre à la Lune date de 1865.
Peu de temps après la fin de la guerre de Sécession, le Gun Club de Baltimore (un club d'artilleurs), se désole de son manque d’activité. Pour y remédier, son président Impey Barbicane propose d’envoyer un boulet de canon sur la Lune. Un défi technologique et scientifique qui devrait remobiliser ses troupes. L’affaire fait grand bruit dans le monde entier et quand un Français, Michel Ardan, propose de fabriquer un boulet creux dans lequel il s’installerait pour aller sur la Lune, c’est la folie qui s’empare de tous…
Ce bouquin est tombé dans mes mains par hasard mais aussi fort opportunément car il allait m’aider à régler un problème définitivement : j’allais le relire cinquante ans après une première lecture (donc, une fois avant que l’homme ne marche réellement sur la Lune et une fois après) et avec cet œil autre, conforter ou non le souvenir que j’en gardais, à savoir un roman particulièrement ennuyeux ! Autant aller directement au but, si Jules Verne a écrit plusieurs romans magnifiques, il n’est pas interdit de dire qu’il en a pondu de moins bons, et celui-ci en fait partie.
Je concède qu’avoir eu cette idée de voyage dans l’espace était révolutionnaire et que lire ce roman à l’époque devait faire se lever au ciel les yeux des lecteurs ; j’ajouterai aussi que les talents de vulgarisateur de Verne pour les connaissances scientifiques de son public sont ici exploités à fond (pour ne pas dire lourdement). Ce n’est pas rien, mais c’est aussi hélas tout.
La première moitié du bouquin se résume à de longues explications scientifiques sur la faisabilité du projet et c’est d’un ennui mortel. De plus, le roman se déroulant aux Etats-Unis, Verne colle à son sujet en utilisant de nombreux anglicismes et surtout le système métrique local, ce qui nous vaut des distances en miles pas immédiatement évocatrices pour moi. L’âge n’aidant pas à conserver une fraicheur d’esprit, certains passages m’ont semblé grotesques, comme l’aménagement intérieur du boulet qui finalement accueillera trois hommes et deux chiens pour son voyage.
Pour terminer sur une bonne note, j’ai néanmoins apprécié la fin du livre, assez réussie pour mon goût.
« Mais il ne suffisait pas d’aller, il fallait voir en route. Rien ne fut plus facile. En effet, sous le capitonnage se trouvaient quatre hublots de verre lenticulaire d’une forte épaisseur, deux percés dans la paroi circulaire de projectile, un troisième à sa partie inférieure et un quatrième dans son chapeau conique. Les voyageurs seraient donc à même d’observer, pendant, leur parcours, la Terre qu’ils abandonnaient, la Lune dont ils s’approchaient et les espaces constellés du ciel. Seulement, ces hublots étaient protégés contre les chocs du départ par des plaques solidement encastrées, qu’il était facile de rejeter au-dehors en dévissant des écrous intérieurs. De cette façon, l’air contenu dans le projectile ne pouvait pas s’échapper, et les observations devenaient possibles. »
Jules Verne De la Terre à la Lune Folio – 217 pages –
27/04/2018 | Lien permanent | Commentaires (2)