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Claudie Hunzinger : Les Grands cerfs

claudie hunzingerClaudie Hunzinger, née en 1940 à Colmar dans le Haut-Rhin, est une artiste plasticienne et une romancière. Après des études classiques à Colmar, de 1960 à 1963 elle suit des études supérieures au Lycée Claude-Bernard à Paris, pour le professorat de dessin. Un premier roman remarqué en 1973 (Bambois, la vie verte) suivi de nombreux autres dont celui-ci qui vient de paraître.

Pamina, habite une ferme isolée dans le massif vosgien avec son compagnon Nils. Elle sait qu’elle est entourée par un clan de cerfs évoluant dans le secteur mais ils lui sont restés invisibles jusqu’à ce que Léo, un photographe animalier, construise dans les parages une cabane d’affût et qu’il lui propose de les guetter avec lui. Dès lors sa vie va changer, les cerfs deviennent une obsession pour elle….

J’avais découvert Claudie Hunzinger à l’époque de son premier roman avant d’y revenir bien plus tard avec La Survivance. Dans ce nouveau roman, rien n’a vraiment changé pour les grandes lignes : une maison perdue en pleine nature vosgienne, une narratrice aujourd’hui nommée Pamina - qu’on imagine facilement sous les traits de l’auteure - vivant en couple mais où chacun vaque à ses occupations dans son coin ; Pamina qui se propose d’écrire un livre sur la vie qu’elle mène en pleine nature et sur les cerfs qu’elle va étudier : mise en abîme.

Il est donc beaucoup question des cerfs et si le sort de ces superbes bêtes ne vous passionne pas beaucoup, vous risquez de vous ennuyer un peu. Moi-même, seule l’écriture de Claudie Hunzinger m’autorise, de temps en temps, à revenir la lire, pour le reste…

Roman écologiste et ode à la nature par une écrivaine marquée politiquement par ce que je résumerais sommairement comme « l’esprit de mai 68 », c'est-à-dire une sorte de gentil anarchisme (« Le véritable art, c’est la révolution ») mâtiné de la tentation du Larzac : « je rêvais d’un autre monde » chantait Téléphone, loin des hommes et du monde, les uns conduisant l’autre à sa perte inéluctable comme l’avait prédit René Dumont en son temps (« Nous étions au courant. René Dumont était dans notre sac à dos. »). Pamina va se retrouver déchirée entre son amour immodéré pour ces bêtes et d’un autre côté par les chasseurs et la régulation des hardes par l’ONF qui l’horripilent.

Le livre se partage entre pages magnifiques sur l’environnement, les conditions météo évoluant avec les saisons, la folle quête des cerfs en pleine nuit par tous les temps ; les références littéraires ou plus largement culturelles, abondent. Ces passages sont merveilleux, leur lecture panse les bleus de l’âme avec un effet relaxant comme une poignée d’Euphytose. Mais il y a aussi, des séquences bien ennuyeuses sur ces jolies bestioles… ce qui amène cette question sans réponse : « Comment fait-on quand on veut écrire le roman du réel, aujourd’hui ? »

Un livre où chacun trouvera sa vérité, en fonction de ce qu’il veut en dégager en priorité.

 

« A peine arrivés, je m’en souviens parfaitement, nous nous étions placés sous la protection des arbres. Nous en avions beaucoup ajouté. Nils avait un carnet où il notait ses plantations. On avait commencé par là. Par les arbres et les arbustes. Parce qu’il ne s’agissait pas seulement de se barrer dans les montagnes, mais aussi de ne pas se faire rattraper par les poursuivants. Depuis, ces arbres et ces arbustes ont si bien poussé qu’aujourd’hui les satellites de Google Earth n’arrivent plus à transpercer leur canopée. Nous y laissant hors contrôle, libres, en compagnie des poètes, dont les taoïstes chinois, mes préférés. Toujours ivres. Et de leurs livres, beaucoup d livres. Et des lièvres. »

 

 

claudie hunzingerClaudie Hunzinger   Les Grands cerfs   Grasset – 191 pages -

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Franz Bartelt : Hôtel du Grand Cerf

Franz BarteltFranz Bartelt, né en 1949, est un romancier, nouvelliste, poète, dramaturge et feuilletoniste français. C’est à partir de 1995 qu’il connaît la consécration avec la publication de ses romans, bien reçus par la critique et dont certains sont sélectionnés pour des prix littéraires : Les Fiancés du paradis (1995), La Chasse au grand singe (1996), Le Costume (1998), Les Bottes rouges (2000), Le Grand Bercail (2002) et Terrine Rimbaud (2004). A ce jour, une quarantaine d’ouvrages à son actif dont cet Hôtel du Grand Cerf daté de 2017.

Reugny, un village des Ardennes belges. Jeff Rousselet, douanier à la retraite, vient d’être assassiné et l’inspecteur Vertigo Kulbertus est chargé de l’affaire. De son côté, Nicolas Tèque, journaliste, enquête à la demande d’un producteur de cinéma en vue d’un éventuel documentaire, sur le décès suspect d’une actrice en 1960, il y a une quarantaine d’années, noyée dans sa baignoire, dans sa chambre de l’hôtel du Grand Cerf à Reugny. Deux enquêtes sans rapport apparent, deux hommes bien différents, et des cadavres qui vont se mettre à pleuvoir dans un si petit bled…

Un excellent polar sous le signe de l’humour !

Comme d’habitude je n’entre pas dans le détail de l’intrigue et encore moins de son dénouement, dont nous dirons qu’il est complexe/tarabiscoté, vous choisirez car de toute manière, ce n’est pas le plus important. Ce qu’il faut retenir et ce qui va vous inciter à lire ce polar, c’est l’écriture et le ton, car c’est franchement très amusant et fort bien écrit.

Les personnages du roman sont très nombreux, les liens entre les uns et les autres plus serrés qu’on ne le croit au départ et les deux enquêtes vont se relier comme on s’en doute. A la manœuvre, Vertigo Kulbertus, une figure de flic inoubliable, à quelques jours de la retraite : « L’inspecteur Vertigo Kulbertus constituait à lui seul, du moins en volume, la moitié  des effectifs de la police belge » car le malheureux est obèse, gravement obèse, se nourrissant de frites et fricadelles à chaque repas, avec plusieurs litres de bière (sans mousse !), mais le gars est malin, « Il cachait son jeu sous des manières loufoques », n’hésitant pas à troubler un suspect en l’interrogeant de but en blanc sur ses hémorroïdes !

Humour (« Ils poireauteront, bien sûr. Mais n’est-ce pas la vocation des gens qui savent ce qu’est un potager ? », quelques passages flirtant avec du Michel Audiard, jolies formules (« Un assassin sans alibi, c’est un pompier sans échelle » ou bien encore « La bulle de champagne, c’est du vide avec du vin autour »), digressions divertissantes grâce à cette belle écriture tirant le lecteur jusqu’à ce dénouement parfaitement immoral mais très jouissif.

Bref, j’en redemande.

 

« Ma méthode, avait expliqué le policier, c’est de ne pas avoir de méthode. Ce que je veux, c’est mettre ce village sens dessus dessous. Que personne n’y comprenne plus rien. Qu’on ne sache plus qui cherche qui, qui a tué, qui n’a pas tué. Je mets tout le monde dans le même sac. Je créé la panique. (…) Ils me prennent pour un dingue. Mais quelque chose en eux les somme de se méfier de moi. (…) Parce qu’ils savent qui a tué Rousselet. Ils le savent. Et ils savent pourquoi. »

 

 

Franz BarteltFranz Bartelt   Hôtel du Grand Cerf   Points  - 354 pages –

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Le grand désherbage

L’idée mûrissait en moi depuis longtemps, procrastination repoussant d’année en année l’inéluctable. Et puis cet article lu dans Le Monde (daté du 31/12/2020 pour ceux qui aiment la précision) est venu mettre un nom sur mon malaise : je devais faire de la place dans ma bibliothèque, ce que dans le monde des bibliothécaires français on appelle un « désherbage ». Désherber il fallait, désherber j’allais faire.

Tremblement de la glotte, déglutition difficile, j’ai enrobé du regard les rayonnages débordant de livres, serrés les uns contres les autres, en double couche, à l’horizontal pour boucher l’espace entre le haut des livres et l’étagère du dessus : « Mes chéris, papa va devoir se séparer de certains d’entre vous. Oh ! Je vous aime tous, mais l’appartement est trop petit pour tout le monde. Vous me comprenez ? » Ces lâches n’ont rien répondu, me laissant solitaire devant mon cas de conscience.

Jusqu’alors, faire ce ménage n’était qu’une idée en l’air, désormais j’avais la volonté de m’y atteler et les questions et problèmes sont immédiatement apparus :

A qui donner mes livres ? Une évidence, ces ouvrages se devaient d’avoir une seconde vie, d’être lus par d’autres. Ma bibliothèque municipale n’accepte pas les dons – ce que je n’ai jamais très bien compris, peut-être en raison de lois ou règlements ? – mais ils m’ont donné les coordonnées d’une association littéraire locale qui accepte ces livres, les revend lors de sa braderie annuelle, les fonds récoltés servant à organiser des conférences et autres activités littéraires.

J’avais une adresse, restait le problème logistique. Quand je parle de don de livres, il ne s’agit pas de quelques exemplaires remplissant un carton, mais de plus d’un millier de romans ! Vous êtes assez familiers de ces objets pour en mesurer le volume et pire encore, le poids ! Pour des raisons personnelles, je n’avais pas la possibilité de me déplacer, il fallait que le receveur vienne chez moi avec ses propres cartons et s’occupe de la manutention entre mon quatrième étage et son véhicule. Obstacle levé, l’association acceptait cette condition. Par contre il leur fallait une liste préalable de mes bouquins.

Ce n’était pas un vrai problème, juste un boulot supplémentaire. Depuis plusieurs décades, je gère mes lectures dans un fichier Excel : tous les livres y sont consignés, ceux que je conserve, ceux que j’emprunte à la bibliothèque, ceux que j’ai lus mais déposés dans des boites à livres. Un système de couleurs identifiant chaque cas. Restait à extraire ceux que j’envisageais de donner lors de ce désherbage, puis l’opération terminée, réintégrer cette liste dans mon fichier originel en transvasant ces livres possédés en livres donnés.

Enfin, je me suis attaqué concrètement au délestage. J’ai sorti un à un les exclus de mes rayonnages, pour les empiler au sol en tristes tas, dans l’attente de l’arrivée de leur nouveau propriétaire. Une extraction riche en émotions car dans beaucoup de ces livres, de petites fiches où j’avais pris des notes et des articles de journaux ont été retirés de leurs pages. Feuillets jaunis par l’usure du temps, souvenirs ravivés. A la vue et au toucher de ces bouquins j’ai aussi modifié mes choix de conserver ou donner, ce qui m’a obligé à revoir mon ficher Excel.

J’ai profité de l’occasion pour nettoyer mes étagères, ce n’était pas un luxe, la poussière témoignait que mes crus étaient bien vieux pour certains. Une cure d’amaigrissement pour ma bibliothèque et une nouvelle vie pour moi, la dernière partie, celle où l’âge nous dicte qu’il est temps de se séparer du superflu.

En théorie, les livres à conserver étaient clairs dans mon esprit, mais en pratique l’affaire l’a moins été. Alors, qu’ai-je conservé, qu’ai-je donné ? Pour ne pas vous retenir plus longtemps, ça fera l’objet de mon billet du week-end prochain… si vous le voulez bien, évidemment !

 

Ma bibliothèque avant le grand désherbage :

211023 Bibliothèque Avant.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La même, après :

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Jim Harrison : Grand Maître

Grand maitre 49849454_10396689.jpgJim Harrison, de son vrai nom James Harrison, est un écrivain américain, né le 11 décembre 1937 à Grayling dans le Michigan aux États-Unis. Ses premiers romans datent du début des années 70 et Grand Maître est son dernier ouvrage qui vient de paraître.

L’inspecteur Simon Sunderson se prépare à prendre sa retraite mais avant de rendre son arme et son insigne à la police du Michigan, il se lance dans la traque d’un guru pédophile se faisant appeler Grand Maître par les membres de sa secte. Son enquête le mènera de son Michigan chéri jusqu’en Arizona et dans le Nebraska. Flic à l’ancienne peu amateur des technologies modernes, il se fera aider par sa jeune voisine adolescente, Mona, une férue d’informatique nippée gothique.

Voici le résumé rapide de l’intrigue mais Jim Harrison nous a prévenu dès le sous-titre de son bouquin, il s’agit d’un « faux roman policier ». Certes, du strict point de vue « polar » on a déjà lu mieux, mais l’auteur est trop modeste, même sous cet angle son roman tiendrait la route s’il avait étoffé l’enquête de Sunderson.

Mais ce n’était pas son propos, l’intrigue n’est qu’un prétexte pour nous livrer sa vision de l’Amérique et les critiques pleuvent. Les effets de la mondialisation, la toute puissance de l’argent, les rapports enfants/parents y compris quand les enfants sont devenus adultes ; sont aussi abordés les grandes questions sur la vie et la fameuse trilogie sexe, religion, argent. L’écrivain sait y faire, ses réflexions et critiques sont habilement glissées dans le texte et le gros Jim n’est pas lourd, son écriture reste légère.   

Jim Harrison reste fidèle à ses obsessions. Les femmes et le sexe, que ce soit son ex-femme Diane, Lucy une bourgeoise de rencontre, ou bien Melissa l’infirmière mexicaine, voire Carla une jeunette prise sur un tas de bois ou Mona qu’il reluque par sa fenêtre, le vieux Pan ne se refuse jamais une séance de zizi-pan-pan. A ce propos j’ai trouvé son approche du sexe plus digeste que dans son livre précédent Les jeux de la nuit. Après les femmes, il y a aussi les excès d’alcool, de Tabasco et de condiments combinés avec une alimentation terriblement calorique et grasse qui ruinent la santé de Sunderson et il ne faut pas être très malin pour deviner que Harrison sait très bien de quoi il parle.

Tous ces excès sciemment commis par les héros des livres de Jim Harrison, peuvent être vus comme le reflet d’un lent suicide de l’écrivain lui-même, un homme qui a beaucoup vécu et vu, las peut-être de ce monde qui ne lui ressemble plus. Ce qui laisse toujours un goût tragique derrière la truculence de ses derniers opus. Heureusement, il reste des plaisirs plus sages tels que la pêche à la truite et son amour immodéré pour la nature en général. 

Ce Grand Maître s’avère un bon livre de Jim Harrison, un de plus, dirai-je.

 

« Une partie de lui-même avait deviné que c’était une espionne, mais la partie la plus forte de son esprit préféra l’ignorer, guidée par la vanité et l’anneau biologique qui lui perçait le nez, jusqu’à l’inévitable chute à plat ventre. Un camé de l’amour et un obsédé du cul, quelque chose de ce genre. Quelle absurdité ! En sombrant dans le sommeil, il entendit le hurlement des coyotes dans le canyon se muer en cris excités, ce qui signifiait qu’ils allaient bientôt tuer leu proie. Il pensa que dans son cas le jeu de la sexualité touchait sans doute à sa fin, mais ça n’avait jamais été vraiment un jeu, plutôt une intrusion mortelle. »

 

HARRISON 66b8ca72-b68e-11df-a563-ef3372fd67d0.jpgJim Harrison  Grand Maître  Flammarion

 

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09/10/2012 | Lien permanent

Céline Minard : Le Grand Jeu

céline minardCéline Minard, née à Rouen en 1969, est un écrivain français. Après avoir étudié la philosophie elle se lance dans l’écriture. On lui doit déjà plusieurs romans comme le très remarqué Faillir être flingué (2013). Son tout dernier opus, Le Grand jeu, vient de paraître.

La narratrice, une jeune femme dont on ne saura jamais rien, pas même le nom, s’est installée dans un refuge construit tout spécialement pour elle en matériaux dernier cri, dans un massif montagneux non identifié (les Pyrénées ou les Apennins peut-être, puisqu’il y a des isards ? Mais on s’en fiche !). Seule au monde en mode survie, quoique bien équipée. Grosse activité physique entre la découverte du territoire qu’elle s’est approprié, escalades et alpinisme, et mise en chantier de son potager ou coupe de bois. Eventuellement elle joue aussi du violoncelle et rédige son journal. Jusqu’au jour où, désagréable surprise, elle s’aperçoit qu’une autre ermite partage son domaine de jeu…

Cette retraite choisie a un but, se découvrir elle-même et au-delà, trouver sa place dans l’univers et le monde. La narratrice est énergique, douée pour ainsi dire de toutes les aptitudes (jardinage, alpinisme, bricolage de haut niveau…) on sent qu’elle mène son monde à la baguette, tout est prévu, calculé, envisagé. Rien ne peut lui échapper et on a l’impression que sa quête spirituelle va être rondement menée, comme une formalité, même si elle impose d’en passer par des épreuves.

L’écriture de Céline Minard colle à l’image de son héroïne, énergique ; mais aussi épurée, dotée d’un vocabulaire particulièrement précis. Cette première partie du roman est presque trop clinique, voire froide, comme un rapport d’expédition scientifique dont on commence à se lasser. Entre en scène alors, le second personnage. L’écrivain la joue maintenant intrigante, mystérieuse presqu’inquiétante et relance le bouquin. Sauf que le lecteur commence à perdre pied, on ne comprend plus très bien ce qui se passe et dans les faits et dans l’exploration spirituelle qui tourne en un méli-mélo de New Age/Bouddhisme zen dont on n’est même pas certain que ce ne soit pas une invention intellectuelle délirante résultant d’un retour d’acide ! (« Cette eau était bien meilleure que tout le LSD que j’ai absorbé dans ma vie »)

Si j’ajoute que le texte est truffé d’aphorismes – à moins que le terme koan soit mieux adapté ici - qui sonnent souvent creux (« Quelle limite y a-t-il à la durée du présent ? », « Est-ce que se gouverner soi-même, c’est nécessairement gouverner les autres ? »), quand j’ai refermé le livre, j’étais plus que dubitatif sur ce que je devais en penser : était-ce un roman intelligent ou bien un roman rusé fait d’un blabla joliment agencé ? A cette heure, je m’interroge encore.

 

«  Est-ce que tout le monde dans la famille veut tellement la place de l’autre qu’il veut la place même de l’autre ? Est-ce qu’on est bête à ce point ? Est-ce que je ne sais pas moi, par moi seule, par observation et déduction, que j’appartiens au groupe humanité au même titre que les autres hommes ? Est-ce que c’est l’autre qui le sait pour moi et qui me le dit ? Est-ce que c’est en son pouvoir, uniquement en son pouvoir ? Est-ce qu’on doit m’accueillir ? Est-ce qu’on apprivoise le nourrisson avant de dresser l’enfant ? »

 

 

céline minardCéline Minard  Le Grand Jeu  Rivages – 190 pages

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Pascal Garnier : Le Grand Loin

Garnier Livre.jpgPascal Garnier est un écrivain français né en 1949 à Paris et mort en 2010 à Cornas (Ardèche). Après une vie d'errance et de petits boulots, et un passage éclair par le rock 'n' roll, il  décide à 35 ans de se lancer dans l'écriture. Son œuvre abondante et multiforme comprend des romans noirs comme des ouvrages de littérature d'enfance et de jeunesse. Le Grand Loin dernier roman de l’écrivain, paru peu de temps avant son décès.

« Père placide et d’humeur conciliante, voilà Marc parti vers le sud avec sa fille Anne qu’il vient d’enlever à son hôpital psychiatrique pour le week-end. Mais la petite escapade tourne bientôt à la cavale. Anne ne veut plus rentrer, surtout pas à l’asile. Elle veut aller loin, très loin, le plus loin possible. Constellée d’incendies bizarres et semée de cadavres, la drôle d’équipée se transforme vite en un hallucinant road-movie. »

J’avais déjà dit beaucoup de bien de Pascal Garnier lors de mon billet sur son roman posthume Cartons et je vais me répéter ici encore. Je me suis régalé de tout. De l’objet d’abord, on jurerait que les romans de l’écrivain sont exclusivement conçus pour les éditions Zulma, petit format d’une élégance sans ostentation, idéal écrin pour les textes courts, eux-mêmes emprunts de l’écriture délicate de Pascal Garnier.

Roman court donc. Vous savez comme je peste devant les gros pavés épuisants à lire, Garnier nous prouve a contrario que l’épaisseur ne fait pas la qualité, inutile de vous dire comme je jubile in petto. Peu de personnages, outre Marc, la soixantaine sympathique et sa fille de trente-six ans, pas de nature très aimable, sortie de l’hôpital psychiatrique, nous croiserons très vite Chloé sa femme, Edith son ex et mère d’Anne ainsi que le chat Boudu, un gros pépère embarqué dans l’expédition. Quant à « l’hallucinant road-movie » évoqué par l’éditeur, ne vous emballez pas ! Ca ressemble plus à un départ en vacances passant du Touquet à Agen et Cahors qu’à un périple sur la Route 66. Sauf qu’il y a dans le récit, un léger décalage troublant avec la réalité, des gens meurent et pas de leur belle mort, une statuette africaine peut-être maléfique est-elle la cause de l’infection du doigt de Marc ?

Marc, Anne et les autres sont des personnages tout à fait ordinaires, nos voisins, de vagues relations peut-être. Lui est à un tournant de sa vie, l’âge où l’on doit choisir entre vivre le reste de sa vie avec des regrets, ou bien se lancer – dernière chance – dans la réalisation de son rêve. Elle, condamnée à la réclusion perpétuelle en milieu hospitalier, voit aussi l’occasion de jouir d’une liberté qui lui semblait interdite. Avec des mots simples et des phrases courtes, Pascal Garnier réussit ce tour de force, nous entraîner dans ce voyage banal mais parsemé de faits extravagants, tout en nous faisant réfléchir sur le sens de la vie. Intelligent et limpide.

Je n’ai pas fini de revenir vers Pascal Garnier…

 

« Il avait hurlé : « Pas comme moi ! », tout comme il avait lancé : « Moi aussi, je connais Agen ! » durant ce dîner, deux mois plus tôt, pour exister, juste un instant : « Pas comme moi ! » Mais qu’est-ce qui le différenciait tant des autres ? Eh bien justement, c’est qu’ils étaient des autres et que lui était lui, seul et unique Marc Lecas et que si lui, Marc Lecas, venait à disparaître, les autres, tous les autres, s’évanouiraient avec lui car leur existence ne dépendait que de la sienne. »

 

Garnier.jpgPascal Garnier  Le Grand Loin  Zulma  - 158 pages –

 

 

 

 

L’écrivain dédie son roman à Samuel Hall. Samuel Hall est une chanson d'Alain Bashung parue sur l'album Fantaisie militaire. Elle a été écrite et composée par Rodolphe Burger et Olivier Cadiot. Elle s'inspire d'une vieille chanson country intitulée Sam Hall. La version originale daterait de 1850, mais elle a tellement évolué au fil du temps qu'il est impossible d'en fixer la création définitive. La version la plus connue est celle de Johnny Cash, enregistrée en 1965 pour son album Sings the Ballads of the True West.

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Poche ou grand format ?

La question du jour est particulièrement simple, préférez-vous lire un roman édité dans un grand format ou bien sa version en livre de poche ? Pour répondre au mieux à cette interrogation, il faut examiner les avantages et les inconvénients des deux propositions.

Le grand format c’est pour les nouveautés et le poche pour les rééditions. Une affirmation qui n’est pas toujours vraie mais que nous prendrons comme telle pour faciliter la conversation. Si vous tenez à lire un bouquin dès sa parution, le grand format s’impose. Pour moi, c’est même son seul intérêt, car qui dit grand format dit prix plus élevé (quand on achète ses livres évidemment) et encombrement maximum qui nuit aux bibliothèques déjà bien garnies.

Ce fameux format peut être aussi bien encombrant pendant la lecture. Le poids du livre s’en ressent, on a besoin de ses deux mains pour le maintenir en place et tourner les pages, dans certains cas (les gros pavés) la lecture devient une épreuve physique ! Pour en finir sur une bonne note avec ces G.F., souvent ils ont de la gueule et leur dos bien lisible facilite le survol du regard de vos rayonnages pour les retrouver.

Le format livre de poche lui, c’est presque totalement l’inverse. Des prix abordables, peu encombrants et très pratiques à manier lors de la lecture. Le seul défaut qu’on pouvait leur trouver autrefois a presque complètement disparu aujourd’hui, les collections de poche sont devenues très belles. Le côté péjoratif de la catégorie (poche) n’a plus de raison d’être. Désormais les jaquettes sont soignées, la qualité du papier améliorée, la police de caractères et la mise en page n’ont rien à envier à leurs ainés. Personnellement j’adore la collection L’Imaginaire (Gallimard) où tout me séduit, bien entendu il y le fond d’écrivains mais la forme de ces livres très élégants ne dépare en rien ma bibliothèque, bref j’adore !

Pour moi la réponse à la question initiale est simple, si je tiens à la nouveauté j’opte pour le grand format, sinon la version de poche s’impose.

Et vous ?

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Zadie Smith : Grand Union

zadie smithZadie Smith, née en 1975 dans une banlieue du nord-ouest de Londres, est une écrivaine britannique, fille d'un père anglais et d'une mère jamaïcaine qui émigre en Angleterre en 1969. Ses parents divorcent alors qu'elle est encore adolescente et à l'âge de 14 ans, change son prénom de Sadie en Zadie. Elle étudie la littérature anglaise à l'université de Cambridge.

Grand Union, un recueil de nouvelles paru en 2021, vient d’être réédité en poche. Dix-neuf textes se déroulant dans des lieux différents, New York, Londres… à des époques elles-mêmes différentes, le plus souvent de nos jours mais aussi en 1959 ou carrément dans le futur.

Et finalement un bouquin dont je ne sais pas quoi penser. J’aime l’écriture bien rythmée, le texte qui court sous mes yeux, le style qu’on pourrait qualifier de banal car sans fioritures ou cet excès de trucs et machins que certains utilisent pour prouver qu’ils écrivent bien.

Par contre j’ai du mal à cerner la finalité du recueil ou même des nouvelles prises individuellement. Il y est question de notre monde moderne, allusions politiques, smartphones et technologies d’aujourd’hui modifiant nos comportements etc. Certes, de nombreuses réflexions ne manquent pas de pertinence et pointent nombre de nos travers… Mais certaines nouvelles sont franchement chiantes, d’autres faciles à lire mais difficiles à comprendre. Heureusement, deux ou trois, sans réellement sauver le tout, sont plutôt réussies : « Déconstruire l’affaire Kelso Cochrane », un assassinat raciste et gratuit ; « Pour le roi » qui s’interroge sur qui sommes-nous ? Que voient les autres de nous ?

L’éditeur a certainement eut autant de mal que moi avec ce livre puisqu’il ne peut en dire que ceci : « En dix-neuf nouvelles entrelaçant les registres et les points de vue, Zadie Smith explore les arcanes du monde moderne avec un humour et une perspicacité inégalés. » Une amorce floue et qui ne mange pas de pain !

 

« Du point de vue de la mère, le plus agréable dans une station balnéaire, c’est qu’on y faisait comme tout le monde sans se poser de question. On suivait le troupeau. Pour une famille sans père comme l’était désormais la sienne, cet aspect collectif procurait un camouflage idéal. Ca gommait toute individualité. En ville, elle était seule, dans une solitude particulièrement peu enviable, avec quatre enfants sur les bras. Ici, elle était une mère comme une autre qui offrait des barbes-à-papa à sa famille. »

 

 

zadie smithZadie Smith   Grand Union   Folio  - 326 pages -  

Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux

 

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Cavanna : Les yeux plus grands que le ventre

cavannaFrançois Cavanna est un écrivain et dessinateur humoristique français né en 1923 à Paris. Il s'associe avec Georges Bernier et quelques autres pour fonder en 1960 le magazine Hara-Kiri (mensuel), puis en 1969 Hara-Kiri Hebdo qui deviendra ensuite Charlie Hebdo. En 2011 dans son ouvrage Lune de miel, François Cavanna révèle publiquement être atteint de la maladie de Parkinson, qu'il qualifie de « salope infâme ». Paru en 1983, Les yeux plus grands que le ventre achève sa série autobiographique comprenant Les Ritals (1978), Les Russkoffs (1979) et Bête et méchant (1981).

Les autobiographies sont souvent pathétiques. Soit l’auteur cherchera à se montrer sous un jour flatteur, soit il jouera la vérité et révélera des traits de son caractère fatalement humain donc moins glorieux que ce que le mythe pouvait nous laisser espérer. Dans les deux cas, l’homme public qu’on a aimé redescend de son piédestal. C’est un peu le cas avec ce bouquin où Cavanna se livre comme à confesse, un comble pour cet anticlérical. Ceux qui ne l’aiment pas y verront un con, ceux qui lui gardent une place dans leur cœur – comme moi - pour avoir été l’un des mentors de leur jeunesse, lui trouveront des excuses.

Si le récit est parsemé de souvenirs en tout genres (et parfois disparates voire sans ligne directrice très précise) tels ses animaux chiens et chats, ses maisons, un peu de son travail au journal, sa mère… le fil rouge, axe principal du bouquin, ce sont les femmes. Ses femmes. Et là, s’il a beaucoup à écrire, le lecteur pourrait avoir aussi beaucoup à dire sur la « gestion » de sa vie privée. D’un côté il y a Tita et ses cinq enfants avec laquelle il vit maritalement et de l’autre, il y a Gabrielle, beaucoup plus jeune que lui approchant de la soixantaine, un enfant, avec qui il a une relation profonde. Le lecteur l’aura compris, quand Cavanna évoque les yeux plus grands que le ventre, il faut lire, plus gros que le bas-ventre !

La plus grande partie du texte est consacré à ce partage de temps et d’efforts (« je cours de l’une à l’autre, c’est exténuant ») entre ces deux femmes qu’il aime, d’un amour vrai et sincère (« Je vous aime tant ! Une seule me manque, tout est perdu… ») qu’il voudrait le plus honnête possible mais qu’il a bien du mal à conduire, utilisant lâchetés et non-dits pour se maintenir à flots entre les deux femmes. Encore a-t-il bien de la chance que Tita soit relativement bienveillante… Cavanna multiplie les mea culpa mais lui-même n’est pas dupe de la situation, ses relations avec les femmes ne sont guère glorieuses, au point de lâcher un dépité « Si les lecteurs de Charlie-Hebdo savaient ! »

Sinon il y est question aussi de mai 68  auquel il n’a pas participé pour cause d’hémorroïdes, de très belles pages sur son chien Nicolas, de passages très sensuels et humides sur les Femmes qui évoquent les BD de Crumb… On retrouve le style de Cavanna, mélange de poésie en prose et de mots crus et juteux, d’expressions datée et de phrases aux tournures vieillottes qui charment le lecteur plus très jeune lui non plus, d’adresses au lecteur comme s’il était témoin, d’émotions comme savent nous les procurer les écrivains attachés à la terre et au travail manuel. Et le récit s’achevant sur une astucieuse mise en mots de son propre décès inventé, on ne peut imaginer point final plus explicite.

 

« S’ils le voyaient, le fracassant éditorialiste, champion de toutes les libertés, promoteur de toutes les licences, conchieur de familles, vomisseur de convenances, déchiqueteur de hiérarchies, empaleur de petits jésus, s’ils me voyaient, moi, la grande gueule, moi, le vieux ricanant, le sceptique à tout crin, s’ils me voyaient, jaune de teint et l’œil hagard, vivant cet amour en épais phallocrate d’un autre âge empêtré dans ses contradictions merdeuses, se rongeant le foie, clamant ses bobos à la une, oscillant de Dumas fils à Feydeau, du drame pompier à l’amant en caleçon dans l’armoire avec le pan de chemise qui dépasse, triste zinzin ahuri dans ce siècle tonitruant, hibou effaré dans ce Luna-Park… Oh, qu’ils rigoleraient les sales cons ! »

 

cavannaCavanna  Les yeux plus grands que le ventre  Belfond

 

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19/08/2013 | Lien permanent

William Somerset Maugham : Le Grand écrivain

somerset maugham, William Somerset Maugham, né à Paris en 1874 et mort à Saint-Jean-Cap-Ferrat en 1965, est un romancier, nouvelliste et dramaturge britannique. L’enfant grandit au cœur de Paris, dans un monde de bourgeois fortunés et cosmopolites. Le salon familial accueille écrivains et peintres, l'appartement est riche en livres et objets d'art. Mais à huit ans, sa mère meurt suivie deux plus tard par son père. Bien que ne parlant que français, il est recueilli par un oncle paternel, vicaire anglican d’un petit port du Kent dans le sud de l’Angleterre. En 1892, il entreprend des études de médecine. En 1895, âgé de vingt et un ans, vivant à Londres et y étudiant la médecine, il voit Oscar Wilde, qu’il admire. Celui-ci vient de rencontrer le succès mais il doit affronter le scandale public de ses relations homosexuelles. Dès lors, Maugham décide de vivre sa vie affective de bisexuel hors de ce pays trop rigoureux pour sa quête de liberté. Pendant sa longue carrière d'écrivain débutée en 1897, Maugham publie des comédies, des romans psychologiques, des récits d'espionnage et plus de cent nouvelles.

Le Grand écrivain, paru en 1930, existe aussi sous le titre La Ronde de l’amour (titre original : Cakes and Ale, or the skeleton in the cupboard)

Alroy Kear, est chargé par Amy, la seconde femme d’Edward Driffield, écrivain ayant connu la consécration sur le tard, d’écrire sa biographie. La tâche n’est pas sans embuches car pour Kear c’est le moyen de relancer sa propre carrière mais il va devoir jongler entre le politiquement correct tel que le conçoit Amy et la réalité et les rumeurs scandaleuses attachées à la vie du défunt du temps de sa première épouse, Rosie. Si Alroy Kear connaissait Driffield, William Ashenden, écrivain lui aussi, le connaissait mieux encore, il va tenter de lui soutirer des anecdotes pour étayer son texte.

Si vous aimez les romans anglais : les traditions séculaires avec leurs clubs snobinards, l’heure du thé pris dans des salons où règnent bois et cuir, les différences de classe affichées, la sauvegarde des apparences etc. vous aimerez ce roman. D’autant plus si je rajoute qu’un mouton noir vient corser l’affaire, en l’occurrence une brebis, Rosie, jeune femme d’origine modeste, aimant la vie par-dessus tout, n’ayant que faire des conventions elle ne pense qu’à répandre le bonheur et le plaisir autour d’elle avec l’accord tacite de son époux.

William Ashenden est le narrateur de ce roman qui court sur une trentaine d’années. Lui seul connait la vérité sur la vie d’Edward Driffield et mieux encore celle de Rosie ; ses souvenirs lui reviennent en mémoire et par une habile mise en abîme font la biographie que n’écrit pas Alroy Kear. Le bouquin traite d’une histoire d’amour, où une femme jeune et libre, trop moderne pour son époque, se confronte avec la bienséance et les convenances, les ragots et le qu’en-dira-t-on d’une petite ville de province. Tous les personnages étant peu ou prou écrivains, Somerset Maugham en profite pour brocarder un milieu qu’il ne connait que trop bien.

Un délicieux roman, extrêmement agréable à lire.

 

« … je me mis à réfléchir sur la destinée de l’homme de lettres qui n’est qu’une longue suite d’épreuves. D’abord il faut supporter la pauvreté et l’indifférence ; puis, si le succès vient, subir les caprices d’un public inconstant. Vous êtes à la merci de chacun. Ce sont les interviews des journalistes, les exigences des photographes, l’impatience des éditeurs qui vous réclament de la copie, l’avidité d’un fisc insatiable. Ce sont les grandes dames avec leurs déjeuners, les secrétaires de sociétés qui vous sollicitent pour des conférences, les femmes qui veulent vous épouser, la vôtre qui demande le divorce. (…) Mais le forçat de la plume a du moins une compensation. Toute émotion qu’il éprouve, tout choc moral qu’il ressent, chagrin de la mort d’un ami, amour malheureux, blessure d’amour-propre, trahison d’un ingrat : il lui suffit d’en faire le sujet d’un roman ou d’une nouvelle pour s’en libérer. Au fond, l’homme de lettre est le seul homme indépendant. »

 

somerset maugham, William Somerset Maugham  Le Grand écrivain  La Petite Vermillon – 266 pages –

Traduit de l’anglais par E.-R. Blanchet  

 

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