16/10/2012
Philip Roth : Pastorale américaine
Philip Roth est né à Newark aux Etats-Unis en 1933, il vit aujourd’hui dans le Connecticut. Maintes fois récompensé pour nombre de ses livres, Pastorale Américaine est parue en 1997 et a reçu le prix du Meilleur Livre Etranger 2000. Pour les familiers de l’œuvre de Philip Roth sachez que nous retrouvons ici l’écrivain Zuckerman, personnage emblématique de l’auteur.
Trente six ans ont passé depuis la sortie du lycée de Newark quand Zuckerman retrouve un ancien copain, que dis-je, l’idole de tous à cette époque, Seymour Levov surnommé « le Suédois ». Petit fils de juifs immigrés, mais blond, il est l’athlète vedette de son lycée, promis à un très bel avenir. Ayant repris la ganterie de son père, il l’a fait prospérer et il a épousé Dawn, Miss New Jersey 1949. Un couple magnifique, un athlète et une Miss, une situation financière bien établie, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Rien n’est jamais tel qu’on l’imagine ou le souhaite. Les Levov ont une fille, Merry, ils vont bien vite découvrir que le ver est dans le fruit. Nous sommes maintenant dans les années soixante, les contestataires de tout poil se font entendre, comme des bulles de gaz crevant la surface du magma volcanique qui bouillonnait lentement jusqu’à ce jour, ils s’invitent dans les sociétés vivant dans le carcan des us et coutumes anciens. Si la France a eu son Mai 68, les Etats-Unis eux aussi ont connu la contestation et les mouvements révolutionnaires, Angela Davis, Black Panters etc.
Merry, la fille adorée de Seymour présente bien des problèmes d’élocutions, un bégaiement, mais elle se fait soigner. Jusqu’à ce jour de 1967 où elle pose une bombe artisanale dans le magasin principal de leur petite ville de Old Rimrock pour protester contre la guerre du VietNam, détruisant tout et laissant un mort dans les décombres avant de disparaître en cavale, poursuivie par le FBI.
Dès lors Seymour Levov n’aura de cesse de retrouver sa fille. Cette quête va faire des dégâts, tout son univers va s’écrouler. Tout ce à quoi il croyait, tous ceux sur qui il pensait compter, tout va se révéler autre que ce qu’il imaginait. Sa femme passera par la case hôpital psychiatrique, son propre frère lui crachera le morceau « Personne sait qui tu es. Elle, c’est sûr, tu lui a jamais laissé voir qui tu es. C’est ça qu’elle attaque de toutes ses forces. Ta façade. Toutes tes normes de merde. » Son enquête se mène sur deux fronts, la recherche de sa fille bien sûr mais elle passe aussi par une introspection dévastatrice et des flash-back qui lui montrent la « réalité » sous un autre angle.
Cinq ans plus tard il retrouvera sa fille. Devenue une épave – selon nos conceptes ? – elle vit dans un immeuble abandonné, sans eau ni électricité, elle lui avoue d’autres attentats qui ont fait trois morts de plus mais désormais elle s’est convertie à une philosophie Indienne, le jaïn qui interdit de faire du mal à tout être vivant animal ou végétal et donc de manger quoi que ce soit. « Tu poses là une question profonde. Tu es un homme très intelligent, papa. Tu me demandes, « Si on respecte la vie sous toutes ses formes, comment peut-on vivre ? » La réponse c’est qu’en effet, on ne peut pas. »
Philip Roth réalise là un magistral livre, poignant et fort qui nous interroge sur nos propres vies, nos croyances et nos vains espoirs. Le Rêve américain s’est effondré, ce qui était n’est plus, le paradis perdu à jamais. « Oui une brèche avait été ouverte à coups de boutoir dans leurs fortifications, ici même, dans la sécurité d’Old Rimrock, et maintenant qu’elle était ouverte, il n’y aurait plus moyen de la refermer. » Parfois la lecture peut sembler un peu fastidieuse car Roth se lance dans de longues descriptions de la fabrication des gants, ou des élections de Miss etc. mais en fait il s’agit de nous immerger dans la mentalité et la vie de son héros avant de mieux nous faire ressentir le déchirement que constituera l’acte de sa fille. Ou, comme le déclara Philip Roth lui-même dans une interview à l’Express : « Ces gens sont sidérés devant les surprises que la vie leur réserve, surtout ceux qui travaillent dur pour créer quelque chose d'harmonieux, d'idéal. Leur généalogie leur paraît soudain invraisemblable. Ils ne comprennent plus qu'ils puissent descendre les uns des autres. Quoi de plus étrange que la notion de génération quand on est confronté au mal? Vous imaginez le désarroi de parents qui ont bâti toute leur éducation sur des valeurs telles que l'héritage et la transmission et qui découvrent un beau jour que leur enfant est responsable de la mort de quatre personnes... »
« Vous êtes de bons parents, vous avez élevé votre fille selon les principes que vous jugiez les meilleurs, lui dit-elle. Ce n’est pas votre faute, et je ne vous en veux pas. Ce n’est pas vous qui êtes allé acheterla dynamite. Quiavez fabriquéla bombe. Quil’avez posée. Vous, vous n’avez rien à voir avec cette bombe. S’il s’avère que c’est bien votre fille qui en porte la responsabilité, je n’incriminerai personne d’autre. Je suis désolée pour vous et votre famille, monsieur Levov. Moi, j’ai perdu un mari, mes enfants ont perdu un père, mais vous, vous avez perdu quelque chose de plus important encore. Vous êtes des parents qui ont perdu leur enfant. Il ne se passe pas de jour sans que vous soyez dans mes pensées et mes prières. »
Philip Roth Pastorale américaine Folio
14:08 Publié dans Etrangers, ROMANS | Tags : philip roth | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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