21/06/2016
Paul Theroux : Le Royaume des moustiques
Paul Edward Theroux, né d'un père canadien français et d'une mère italo-américaine dans le Massachusetts en 1941, est un écrivain et romancier américain connu pour ses récits de voyage : Railway Bazaar (1987), Patagonie Express (1988), La Chine à petite vapeur (1989)… Par contre, Le Royaume des moustiques (The Mosquito Coast) paru en 1983, est un roman qui a fait l'objet d'un film du même nom (1986), dirigé par Peter Weir, avec Harrison Ford, Helen Mirren et River Phoenix.
Si je connaissais bien Paul Theroux pour ses récits de voyages, c’est la première fois que j’ouvrais l’un de ses romans. Qui par parenthèse, s’apparente à un voyage lui aussi.
Dans la famille Fox, nous avons le père, Allie, un inventeur qui ne manque pas de génie, la mère, discrète et effacée, deux fillettes jumelles, deux fils, Jerry et Charlie l’ainé et narrateur du récit, treize ans. Poussé par sa haine de la civilisation consumériste, Allie va entrainer sa famille dans un périple fou et dramatique, abandonnant les Etats-Unis pour le Honduras, sa jungle profonde et sa nature récalcitrante, espérant y trouver un nouvel Eden loin de toute civilisation corruptrice.
Au début, même si Allie (« le Père ») n’est pas réellement sympathique, on s’émerveille devant son sens pratique, son art pour bidouiller des inventions presque géniales avec des machins et des trucs ramassés ou trouvés ici et là. Je dis « presque » géniales, car si elles le sont on devine déjà un esprit un peu particulier, le genre de type qui se fourre de lui-même et sciemment dans les ennuis mais qui par un sens aigu du bricolage tout terrain, se sort de son pétrin et en met plein la vue par ses trouvailles techniques à bas coût. Une grande gueule, une énergie phénoménale, des connaissances pratiques encyclopédiques, bref l’homme subjugue autant son entourage que sa famille qui le suit et lui obéit au doigt et à l’œil, libre penseur il abhorre la religion et ses gamins ne vont pas à l’école, leur instruction étant assurée par leurs parents. Jusqu’au jour où, écœuré par son pays, trop consommateur, superficiel, envahi d’objets à l’obsolescence programmée, il abandonne tout et embarque toute sa troupe – mais sans donner la destination de ce voyage – vers la jungle hondurienne… Le lecteur tique devant l’aveuglement soumis du clan (« il nous faisait tous marcher à la baguette ») et son agacement ne va aller que crescendo au fur et à mesure que les aventures vont s’enchainer, creux et bosses se succèdent, les creux correspondant aux ennuis dans lesquels Allie les plonge et les bosses, les astuces avec lesquelles ils les en sort.
Plus le roman avance, plus le caractère tyrannique du père se révèle, un quasi gourou à la tête d’une mini-secte, dont pourtant le fils cadet puis le narrateur, finiront par se détacher, moins éblouis par ses tours de passe-passe (« Nous aurions pu lui raconter que nous avions appris l’inutilité de la plupart de son travail ») et plus tard quand ses mensonges seront dévoilés (les Etats-Unis auraient été rayés de la carte).
En poussant Allie dans une attitude extrême, l’écrivain dénonce les travers de l’époque (1983), d’un côté, le mercantilisme et le consumérisme à outrance de la société et de l’autre, ceux qui veulent combattre ces travers mais qui poussent le bouchon trop loin. Allie va trouver le moyen de polluer une rivière, lui qui prônait des idées écologistes et la vie au plus près de la nature… Emporté par sa folie et sa paranoïa, le Père comme le nomme les enfants, se prend pour Dieu mais un dieu encore plus fortiche, car « si l’on peut améliorer les choses, c’est que Dieu n’est pas réellement à la hauteur, non ? ». Il est rare que défier Dieu se fasse sans dommages…
Un bon roman – sans excès de louanges non plus – même si Allie m’a particulièrement exaspéré tout du long par son arrogance et son peu de considérations pour les siens.
« La tempête avait terrifié tout le monde sauf Père. La façon dont elle avait saccagé des arbres lui fit beaucoup d’effet, et les déracinements l’émerveillèrent. Il calcula qu’il était tombé dans la nuit quinze centimètres d’eau. Il fallait admirer une chose pareille. Et regardez donc ! Les buissons aplatis ! Et pensez à la vitesse ! On pourrait construire une machine fonctionnant à la pluie : l’eau recueillie ferait tourner une roue à pales, selon le même principe que la roue à aubes d’un moulin, mais plus efficace – sans traînance. Seulement on ne pouvait pas compter sur la pluie, parce que le monde était imparfait. La nature essayait de vous brûler, puis de vous affamer, puis de vous noyer, et elle vous forçait à creuser un jardin comme un sauvage avec un bout de bois. Elle vous prenait par surprise et vous faisait toujours craindre que quelque chose aille de travers. Cette crainte transformait les gens en imbéciles religieux au lieu de les pousser à innover. »
Paul Theroux Le Royaume des moustiques Calmann-Levy - 421 pages –
Traduit de l’américain par Françoise et Guy Casaril
07:49 Publié dans Etrangers | Tags : paul theroux | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
Commentaires
Je découvre... j'en ai deux à lire chez moi, mais des voyages...
Écrit par : keisha | 21/06/2016
J’aime beaucoup ses récits de voyages. D’abord parce que j’aime ce genre littéraire et deuxièmement, parce qu’il s’agit (presque) toujours de voyages en train et que j’aime les trains ! Mais ces lectures remontent à loin pour moi, les années 80 je crois… ?
Écrit par : Le Bouquineur | 21/06/2016
Suivre son père au Honduras... c'était l'époque des gourous c'est vrai , je ne peux pas dire que le sujet me tente beaucoup.
Écrit par : luocine | 21/06/2016
Si j’ai employé le mot « secte » dans mon billet, c’était comme une image seulement. Chef de bande ou tyran intransigeant est plus proche de la réalité ! D’ailleurs le Père est totalement opposé à toute religion ou croyance… Maintenant, plus généralement, je préfère le Paul Theroux des récits de voyages, au romancier… même si ce n’est pas comparable.
Écrit par : Le Bouquineur | 22/06/2016
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