30/03/2020
Herman Melville : Pierre ou les ambiguïtés
Herman Melville (1819-1891) est un romancier, essayiste et poète américain. Presque oublié à sa mort, Melville est redécouvert dans les années 1920 à travers son œuvre maîtresse Moby Dick. Il est désormais considéré comme l'une des plus grandes figures de la littérature américaine. Pierre ou les ambiguïtés, l’un de ses onze romans date de 1852 et vient d’être réédité. Il offre une particularité dans son œuvre, c’est le seul qui se déroule aux Etats-Unis.
Pierre Glendinning, l'héritier du manoir de Saddle Meadows près de New York est fiancé à Lucy Tartan. Il vit avec sa mère, une veuve au caractère dominateur. Un concours de circonstances l’amène à découvrir et rencontrer Isabel Banford, sa demi-sœur, l'illégitime et orpheline enfant de son père. Pour préserver la mémoire de celui-ci, Pierre conçoit alors un plan extravagant sensé épargner le chagrin à sa mère et pouvoir attribuer à Isabel une juste part de la succession : Il annonce à sa mère s’être marié secrètement avec Isabel, une inconnue, et il part avec elle pour New York, accompagnés par Delly Ulver, une réprouvée locale depuis qu’elle s’est fait engrossée. La vie espérée dans la grande ville s’avère plus difficile que prévue - Pierre s’envisageait écrivain - le trio subsistant tant bien que mal dans un refuge aménagé pour les nécessiteux.
L’histoire se complique sévèrement quand Lucy débarque, ne réclamant rien, sinon vivre avec eux. Et la situation devient carrément abracadabrante puisque nous avons Pierre et Isabel supposés être mariés aux yeux du monde (mais frère et demi-sœur en réalité), Delly en servante et fille perdue, et enfin Lucy qui se fait passer pour la cousine de Pierre (mais en fait, sa vraie ex-fiancée) ! Tout cela va mal se finir et le drame éclater quand un cousin de Pierre va lui chercher des noises pour défendre l’honneur de la famille.
Oh ! Mes aïeux, quel extravagant roman.
Le rapide résumé (et je vous ai tu la scène finale !) en dit assez long sur le genre de bouquin dans lequel ne se risqueront que les lecteurs avertis. Car il faudra y ajouter le style de l’écrivain (inhabituel par rapport à ce que je connaissais de lui) qui m’a demandé plus de cent pages de lecture pour m’y habituer. Une écriture ampoulée, parodiant de faux alexandrins quand les personnages s’expriment. C’est long, c’est très long, c’est trop long, bourré de pâmoisons et de considérations ou tourments psychologiques lourdingues, car d’un autre âge. Vous avez aimé Moby Dick, ici vous direz c’est assez ! (Pardons, je n’ai pas pu m’en empêcher)
J’ajouterai que l’écrivain insère dans son texte ses propres commentaires sur la manière dont il mène son récit, ou bien sur la littérature en général, allant jusqu’à donner ses conseils aux jeunes écrivains (« Il ne voyait pas qu’il n’est point d’étalon pour l’esprit créateur, que celui-ci ne doit jamais donner son adhésion à tel grand livre en particulier ni se laisser dominer par lui. »)
A ce point de mon analyse je me suis interrogé, suis-je le seul à avoir peiné devant ce roman grotesque du grand Herman Melville ? Car même en prenant en compte sa date d’écriture, il faut faire de gros efforts. J’ai fait des recherches et il s’avère que dès l’origine, la publication fut un désastre critique et financier pour Melville et il fut universellement condamné autant pour sa moralité que pour son style. Ecriture, qui dans ce livre, est qualifiée ainsi par Jacques-Fernand Cahen (« La littérature américaine » P.U.F. 1950) : « son vocabulaire est souvent exagérément noble : on n’y meurt pas, on y expire ; seuls la pourpre et le cramoisi y existent et non le simple rouge ; il n’y a pas de maisons, mais des édifices qui ont des croisées au lieu de vulgaires fenêtres… » avant néanmoins d’en conclure que Melville est « un des plus grands prosateurs non seulement des Etats-Unis, mais de toute la langue anglaise. »
J’ai beaucoup souffert pour lire ce roman, partagé entre exaspération et sarcasmes contenus (dans un roman moderne, tout le monde aurait fini dans le même plumard !), et pourtant, moi qui déteste les longs romans je suis arrivé à le terminer. Car sous tous ses défauts, à mes yeux, il y a là de nobles sentiments et une certaine beauté.
« Quarante-huit heures et plus s’étaient écoulées. Isabel était-elle reconnue à la face du monde ? Avait-elle paru en public à son bras ? Qui la connaissait, hormis Pierre ? Comme un vil poltron, il avait erré dans les bois pendant le jour, et, comme un vil poltron, il s’était glissé chez elle pendant la nuit ! Comme un voleur, il s’était mis à bégayer et à pâlir devant sa mère ! Lui qui avait épousé la cause de la Justice Sacrée, il avait permis à une femme de se dresser impérieusement devant lui ! Ha ! il est aisé pour l’homme de penser en héros. Toutes les audaces imaginables pénètrent dans son âme, mais peu en sortent hardiment. »
Herman Melville Pierre ou les ambiguïtés L’Imaginaire Gallimard – 562 pages –
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Leyris revue par Marc Amfreville et Philippe Jaworski
07:00 Publié dans Etrangers, XIXe siècle | Tags : herman melville | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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