27/01/2025
Patrice Jean : L’Homme surnuméraire
Patrice Jean est un écrivain français né à Nantes en 1966. Après des études de philosophie, il devient professeur de lettres modernes et se lance dans la littérature. L’Homme surnuméraire date de 2017.
Le chapitre d’ouverture du roman nous présente la famille Le Chenadec et ça ne va pas fort. Serge et sa femme Claire sont de plus en plus en froid et leurs deux enfants adolescents moquent à qui mieux mieux leur père. Il est vrai que Serge est un type assez plan-plan et que « sa fragile constitution aspirait, plus que tout, à la tranquillité ». Conséquence, Claire trompe son ennui en s’inscrivant à des cours de sociologie à l’université et entre dans un groupe activiste pour échapper à sa vie de ménagère au foyer, « la vie pleine et intense, elle la chercherait dorénavant dans l’étude et dans l’action politique ».
Le chapitre suivant s’attache à un autre couple, Clément Artois et sa femme Lise. Lui est au chômage malgré sa licence en droit et peine à écrire son premier roman. Par le biais de Lise il accepte à contre-cœur un emploi chez un éditeur qui vient de créer une nouvelle collection, « Littérature humaniste », qui défraie la chronique, épurer des classiques ou non de la littérature les passages jugés peu appropriés par la morale d’aujourd’hui. Et Clément se voit confier un roman d’aujourd’hui, L’Homme surnuméraire d’un certain Patrice Horlaville !
Nous avons donc un roman dans le roman. Et c’est vraiment très bon !
On pourrait disserter longuement sur ce bouquin car il offre mille points de critiques qu’on approuvera ou pas mais qui donnent à réfléchir et discuter. Je ne vais m’en tenir qu’à l’essentiel de mon point de vue.
L’intrigue proprement dite montre des similitudes entre Serge et Clément à la grande surprise du second qui lit le roman, « Ne ressemblais-je pas, moi aussi, rêveusement penché sur l’eau, à ce « raté », à ce « perdant », à cette « triste vie » comme le décrivaient les critiques ». Les deux couples se délitent, les partenaires chercheront plus ou moins franchement l’aventure passagère ailleurs etc. Tout ceci est assez banal tout en étant souriant, triste ou tendre selon les situations.
Par contre on se régalera de l’angle ironique et satirique du texte qui critique les normes sociales et les attentes de la société moderne. Vont morfler, les « copines » qui poussent à divorcer ou voir ailleurs si l’herbe est plus verte, les aspirations à de grands destins passant par les luttes contre les libertés bafouées, les philosophes et les « Grandsécrivains » qui se targuent de grandes idées et théories. Bobos et intellos.
Ne pas rater la longue séquence consacrée à la collection « Littérature humaniste » avec ses justifications et retournements de veste devant cette censure qui ne dit pas son nom : « une collection que tout le monde pourra lire, qui élèvera les lecteurs sans que d’infectes idées n’en appauvrissent le sens principal. Il suffit de couper, dans une œuvre, les morceaux qui heurtent trop la dignité de l’homme, le sens du progrès, la cause des femmes… »
Une seconde séquence ne manque pas de sel quand pour comparer littérature et sociologie, est avancé la théorie de la mammographie ! Que je vous résume sommairement, littérature et sociologie sont comme un amant et un médecin face à une paire de seins, chacun y voit ce qu’il veut y voir !
Un roman provocateur avec un zeste de Houellebecq quelque part, moquant les travers de certains acteurs de la vie moderne. C’est très drôle, c’est très bien.
« L’art ne se maintient qu’en des temps où les élites terrorisent les foules plébéiennes ; mais si elles s’inclinent devant le nombre, le peuple, les ventes, eh bien, l’art disparaît dans l’indiscernable. Nous y sommes. Je ne crois pas que l’Europe s’en sortira. Encore quelques dizaines d’années, peut-être… Un jour, Molière et Verlaine ennuieront tout le monde, on leur préfèrera des récits à la mode, les chanteurs du jour, les films en 3D, le tout-venant de l’industrie culturelle… Le lien avec le passé sera coupé, et nous nous écraserons le nez sur le présent… Fin de partie… »
Patrice Jean L’Homme surnuméraire Editions Rue Fromentin - 417 pages -
06:00 Publié dans Français, ROMANS | Tags : patrice jean | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
Commentaires
Une belle découverte pour moi aussi. J'avais conclu mon billet ainsi : "L'homme surnuméraire" est un roman à la fois drôle -l'auteur manie notamment l'euphémisme et l'ironie avec talent- et conviant à la réflexion, aux méandres parfois complexes."
Écrit par : Ingannmic | 27/01/2025
Répondre à ce commentaireTu as excellement résumé le roman! Avis à ceux qui ne l'ont pas encore lu, allez-y !!!
Écrit par : Le Bouquineur | 27/01/2025
Un auteur très intéressant, pas sous les projecteurs. J'en ai lu plusieurs, dont cet homme là, mais pas de billet!
Écrit par : keisha | 27/01/2025
Répondre à ce commentaireC’est vrai que l’écrivain n’est pas très médiatisé, je ne le connais que depuis peu, ayant lu récemment « La vie des spectres » qui m’a beaucoup plu et celui-ci m’encourage à poursuivre. Je vais tenter de suivre son actualité, il le mérite largement !
Écrit par : Le Bouquineur | 27/01/2025
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