compteur de visite

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/01/2019

Michel Houellebecq : Sérotonine

Michel Houellebecq, Blanchot, Angot, Goethe Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l’éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire, son cinquième roman. Sérotonine son nouveau roman vient de paraître.

Le narrateur, Florent-Claude Labrouste, proche de la cinquantaine a travaillé pour Monsanto puis au Ministère de l’Agriculture avant de tenter de promouvoir le fromage normand à l’étranger. Sa vie professionnelle n’a été que désillusions, sa vie sentimentale un échec, « ma vie se termine dans la tristesse et la souffrance » ; pour tenir le coup il se fait prescrire du Captorix, un antidépresseur jouant sur la sérotonine impliquée dans la gestion des humeurs et associée à l'état de bonheur lorsqu'elle est à un taux équilibré, mais qui rend impuissant. Le roman revient sur ses dernières années.

D’emblée, une trentaine de pages, l’écrivain a déjà réglé leur compte aux femmes, aux homosexuels et aux pays étrangers ! Ca pue la provoc’ à plein nez, nous sommes bien dans un roman de Michel Houellebecq. Attardons-nous sur cet angle qui fait fuir une partie des lecteurs : oui, ici encore il y a du sexe avec des mots ne tournant pas autour du pot et pire encore, des réflexions machistes à faire hurler. Même si je ne suis pas particulièrement friand de ces passages, ça ne me choque pas vraiment : parce que c’est du roman, parce que je suis certain que l’auteur en rajoute volontairement pour énerver le monde et enfin parce que je lis toujours les romans (ou regarde les films) avec distanciation, tout cela n’est que fiction. Et d’ailleurs, rien n’oblige à être d’accord avec ce qui est dit dans un bouquin pour l’apprécier néanmoins. Par contre et pour en terminer avec le sexe, un insert de plusieurs pages m’a réellement déplu, consacré à la pédophilie impunie, ce passage tombe comme un cheveu sur la soupe dans le récit et ne sert absolument à rien.

Pour ne retenir que l’essentiel de la vie du narrateur, il y a le personnage d’Aymeric, un ancien ami, qu’il retrouve en Normandie, éleveur en grande difficulté financière face aux quotas de lait imposés par Bruxelles et la mondialisation qui font chuter les prix. Au bout du rouleau et estimant n’avoir plus rien à perdre, lui et ses collègues agriculteurs vont se lancer dans un baroud désespéré, ce que certains associent à une vision prémonitoire (« j’avais déjà compris que les choses pouvaient, cette fois, réellement tourner mal ») du mouvement social touchant la France actuellement.

Enfin et surtout, il y a Camille. Elle, le narrateur l’a vraiment aimée, avouant avoir connu le bonheur durant cinq ans, jusqu’à ce qu’elle le surprenne avec une autre fille. Et si aujourd’hui sa vie n’a plus de goût ou de sens, c’est qu’il se meurt d’amour, « J’ai l’impression que vous êtes tout simplement en train de mourir de chagrin » lui révèle son médecin. Quand le roman s’achève, Florent-Claude Labrouste fait le constat amer qu’il aurait « pu rendre une femme heureuse » mais que lui comme elle, n’ont pas su voir les signes d’amour que Dieu nous envoie.

Les romans de l’écrivain se lisent très facilement, techniquement parlant, c’est en cela qu’ils peuvent être qualifiés de populaires ; très précis dans son propos, complètement ancrés dans notre monde moderne avec une touche de nostalgie - évoquée ou non - de temps anciens disparus à jamais, pas avare pour citer des noms de marques, l’auteur inscrit son intrigue au milieu de considérations diverses qui s’enchainent sans débander et d’une plume allègre comme un bavardage entre copains. On saute du coq à l’âne sans effort, il est question de faits sociétaux, de réflexions sur les contradictions de Europe et de la mondialisation (et là Houellebecq sait mettre le doigt où ça fait mal), mais il parle aussi littérature (Blanchot morfle, « auteur idéal pour apprendre à taper à la machine, parce qu’on n’est pas « dérangé par le sens » », tout comme Angot ou Goethe…). Au cœur de ce pessimisme ambiant (« Plus personne ne sera heureux en Occident, pensait-elle encore, plus jamais, nous devons aujourd’hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions historiques n’en sont tout simplement plus réunies. ») on déniche pourtant des traits d’humour. Et pour en terminer avec l’écriture de l’écrivain, dans cet ouvrage il utilise fréquemment ce que je pense être, l'épanalepse, une figure de style qui consiste à reprendre littéralement un segment de phrase, un groupe de mots ou un terme après un temps d'arrêt, « c’est alors que je compris, en une fraction de seconde je compris… »

Un roman assez bon pour que je le dévore en moins de quarante-huit heures…

  

« Je tentai de m’intéresser aux débats de société, mais cette période fut décevante et brève : l’extrême conformisme des intervenants, la navrante uniformité de leurs indignations et de leurs enthousiasmes étaient devenus tels que je pouvais à présent prévoir leurs interventions non seulement dans leurs grandes lignes mais même dans le détail, en réalité au mot près, les éditorialistes et les grands témoins défilaient comme d’inutiles marionnettes européennes, les crétins succédaient aux crétins, se congratulant de la pertinence et de la moralité de leurs vues, j’aurais pu écrire leurs dialogues à leur place et je finis par éteindre définitivement mon téléviseur, tout cela n’aurait fait que m’attrister davantage, si j’avais eu la force de continuer. »

 

 

Michel Houellebecq, Blanchot, Angot, Goethe Michel Houellebecq   Sérotonine   Flammarion – 347 pages –

 

 

PS : Page 145 Michel Houellebecq s’emmêle les pinceaux quand il évoque un disque du Pink Floyd « … il ressortit Ummagumma. « Le disque à la vache, c’est de circonstance… » commenta-t-il avant de poser l’aiguille  au début de Grantchester Meadows. » Si Grantchester Meadows est bien un titre tiré de l’album Ummagumma, c’est le disque Atom Heart Mother qui s’orne d’une photo de vache ! Vous me direz que cela n’a aucune importance et c’est vrai, c’était juste pour dire…