03/01/2014
Alberto Manguel : Une histoire de la lecture
Alberto Manguel est un écrivain né en 1948 à Buenos Aires en Argentine. Il a grandi en Israël où son père était ambassadeur puis a vécu dans de nombreux pays dont vingt ans à Toronto, obtenant la nationalité canadienne en 1985. Depuis 2001 il vit en France, dans un village du Poitou. Journaliste (presse, radio, télévision), il a publié de nombreuses anthologies, des romans, des traductions et des essais. Une histoire de la lecture, un essai, est paru en 1998.
Comme le titre de cet essai l’indique, il s’agit « d’une » histoire de la lecture avec sa part de subjectivité voulue par l’auteur. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque Manguel va nous entraîner dans un incroyable périple à travers le temps et les lieux, de la Grèce antique aux Amériques, d’Aristote et même avant à Hemingway et même après. Pour mener à bien son projet – qui peut paraître impossible – il n’a pas choisi la chronologie mais une approche thématique dont voici quelques titres de chapitres : Lire en silence, La forme du livre, Lecture privée, Lire en lieu clos, Le fou de livres… Et déjà le lecteur compulsif se sent visé, ce qui implique ce constat évident, tout lecteur de cet essai s’y reconnaitra, tout ou partie.
La lecture est parfois ardue, non pas due au style très clair mais aux références citées, à l’érudition d’Alberto Manguel qui chemine aux côtés de celle d’un Umberto Eco, convoquant pour étayer son propos aussi bien le physicien et philosophe égyptien du XIIIe siècle Alhazen que Théodose Ier empereur byzantin. Pour faire simple, si la période pré-Gutenberg peut être complexe parfois, après nous retrouvons nos marques et c’est le plus souvent le cas.
Le plus réjouissant dans cet ouvrage, c’est que non seulement on y apprend énormément, aspect instructif de cet essai, mais que certains passages semblent écrits spécialement pour chaque lecteur qui y lira noir sur blanc, ce qu’il pouvait croire jusque là être une particularité très intime de sa personnalité, à savoir que le plaisir de la lecture découle d’un certain confort, qu’on peut préférer lire au lit, que se débarrasser de vieux livres nous coûte etc. Tous ces aspects rituels sont abordés ici et nous rapprochent les uns des autres, nous lecteurs qui nous pensons seuls quand nous sommes plongés dans nos bouquins.
Si cette histoire de la lecture ne manque pas d’érudition et de références savantes, Alberto Manguel sait y semer également des anecdotes souriantes aussi bien historiques avec le comte Libri (décédé en 1869) voleur de livres rares ou Anthony Comstock (né en 1844) qui fit carrière dans la censure en Amérique, que personnelles quand il nous révèle que encore jeune homme en Argentine il fit la lecture à Borges le célèbre écrivain devenu aveugle.
Un essai qui a obligatoirement sa place dans toutes nos bibliothèques.
« Nous lisons intellectuellement à un niveau superficiel, en saisissant certaines significations, et prenant conscience de certains faits, mais en même temps, de manière invisible, inconsciente, le texte et le lecteur s’entremêlent, créant d’autres niveaux de sens, de sorte que chaque fois que nous obtenons du texte qu’il nous cède quelque chose que nous ingérons, une autre chose naît simultanément en dessous, que nous n’avons pas encore saisie. C’est pourquoi – comme le pensait Whitman, qui recomposait et corrigeait sans cesse ses poèmes – aucune lecture ne peut jamais être définitive. »
Alberto Manguel Une histoire de la lecture Actes Sud
Traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf
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