17/08/2017
Ernesto Sabato : Le Tunnel
Ernesto Sábato (1911-2011) est physicien, romancier, essayiste et critique littéraire argentin de renommée internationale. Son influence est d’autant plus remarquable que son œuvre littéraire est limitée avec seulement trois romans, mais de nombreux essais sociopolitiques il est vrai. Le Tunnel, premier de ses romans, date de 1948.
Juan Pablo Castel, le narrateur, est peintre. Lors d’une de ses expositions, il remarque une jeune femme, Maria Iribarne, s’attardant longuement sur un détail d’une de ses toiles, une fenêtre, qui dans l’esprit de l’artiste est le point crucial de cette œuvre. Seule, même parmi la critique professionnelle, à l’avoir remarqué, Castel en est subjugué ; enfin quelqu’un qui le comprend. Castel tombe immédiatement amoureux fou de Maria et va tout faire pour la conquérir.
Dès la première phrase du roman le lecteur est captif, « Il suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne », ainsi en quelques mots tout est dit mais rien n’est encore expliqué. La suite va s’y atteler, par la voix de Castel, narrateur de sa propre histoire. Ce début pourrait faire penser à un roman policier mais il n’en est rien, bien qu’il soit aussi prenant.
Récit d’un fou, d’un fou d’amour, se livrant aux actes les plus insensés pour s’accaparer l’amour de Maria. Il faut avoir perdu la raison – mais en avait-il avant sa rencontre avec Maria ? – pour ces exigences tyranniques. A amour fou, jalousie excessive voire paranoïaque après en avoir fait sa maîtresse. La malheureuse devient alors victime d’un harcèlement incessant, Castel inventant mille scénarios dans sa pauvre tête de malade pour expliciter les attitudes ou ambiguïtés de son idolâtrée.
Comme le lecteur n’a que la version donnée par Castel, nous ne savons que peu de choses de Maria et il est vrai qu’un certain mystère entoure ses faits et gestes. Elle est mariée avec un aveugle et peut-être a-t-elle un autre amant…
Finalement Castel tuera Maria par jalousie et plus sûrement par incapacité à communiquer avec elle, alors qu’elle était la seule à réellement le comprendre. Un paradoxe particulièrement tragique pour ce remarquable roman qui recèle par ailleurs quelques réflexions intéressantes dans divers domaines.
« Mais ce jour-là, comme à d’autres moments semblables, ma solitude était la conséquence de ce qu’il y avait de pire en moi, de mes bassesses. Dans ces cas-là, je sens que le monde est méprisable, mais je comprends que moi aussi je fais partie de ce monde ; dans ces moments-là, je suis envahi par une fureur d’anéantissement, je me laisse caresser par la tentation du suicide, je me soûle, je recherche les prostituées. Et je ressens une certaine satisfaction à éprouver ma propre bassesse et à admettre que je ne suis pas meilleur que les monstres répugnants qui m’entourent. »
Ernesto Sabato Le Tunnel Points Seuil – 140 pages –
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Michel Bibard
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