21/06/2019
Elisa Shua Dusapin : Les Billes du Pachinko
Elisa Shua Dusapin, née en 1992 en Corrèze, est une écrivaine franco-coréenne vivant en Suisse romande. Fille d'un père français et d’une mère sud-coréenne, journaliste à la radio alémanique, elle grandit entre Paris et Zurich avant que sa famille s'installe, en 1995, à Porrentruy dans le canton du Jura en Suisse. Après des études littéraires, un premier roman en 2011 et ce quatrième en 2018 Les Billes du Pachinko.
Claire, la trentaine, vit en Suisse comme ses parents, mais vient passer les vacances chez ses grands-parents maternels à Tokyo. Son but, les décider à entreprendre un voyage en Corée pour revoir leur pays natal... Pour s’occuper entretemps, elle donne des cours de français à Mieko, une gamine qui vit avec sa mère.
Le roman aurait été traduit d’un texte écrit par une Japonaise, je n’aurais pas vu la différence tant il s’inscrit parfaitement dans cette littérature asiatique où prédomine le non-dit, le ressenti, les gestes qui restent en suspens. Ce genre qui peut laisser insensibles certains, n’y voyant qu’un flou artistique peu accrocheur, mais qui moi, au contraire, me séduit toujours.
Le livre est très court, l’écriture n’est même pas dense, un survol pourrait laisser à penser qu’il ne se passe pas grand-chose, et pourtant, tant de choses profondes s’y devinent ou s’esquissent pour le lecteur qui fait l’effort de se plonger dans ce très beau texte. Elisa Shua Dusapin écrit avec retenue, divulgue par petites touches discrètes des faits ou des liens entre les personnages, dans une ambiance ouatée.
Pour en revenir au propos du livre, le titre évoque le « pachinko » c’est un appareil que l'on peut décrire comme un croisement entre un flipper et une machine à sous. Le grand-père gère une boutique ou l’on s’adonne à cette distraction, à quatre-vingts ans, c’est la seule source de revenus pour le couple de vieillards. L’écrivaine nous donne avec beaucoup de tact, de nombreux détails sur la vie au Japon ou en Corée, pour ces deux exilés depuis près de cinquante ans. Sans qu’elle s’attarde, on ressent la douleur de ce qu’ont enduré ces gens.
Il est encore question des souvenirs de Claire, enfant, avec sa mère et sa grand-mère au Japon. Des liens familiaux difficiles entre chaque, pas tant pour des questions de ressentiment mais plus de communication. Car en fait, il y a beaucoup d’amour entre les uns et les autres, mais personne ne sait le dire ou l’exprimer clairement. Un des fils rouges du livre, dur dur de communiquer les uns avec les autres : que ce soit Claire avec ses grands-parents mais aussi avec la petite Mieko et la mère de la gamine. Tous paraissent introvertis, taiseux de leurs sentiments, ayant du mal à exprimer face à l’autre, amour ou amitié. Du moins comme on est habitué à le faire dans nos sociétés occidentales. Problème de culture et de langage. Tour de Babel, Claire doit aider au perfectionnement du français une gamine, elle s’exprime dans un japonais qu’elle croit excellent mais qui ne l’est pas assez pour la mère de Mieko ; la grand-mère ne veut pas parler japonais mais coréen… alors qu’elle réside à Tokyo depuis cinquante ans ! La question de l’identité peut se poser.
Je pourrais évoquer mille autres petits détails, tous sont émouvants ou touchants. Un très beau roman, très fin et subtil.
« Quand la Corée a été divisée, notre nationalité était encore celle de la Corée unifiée. On l’appelait Choson. A la séparation, le gouvernement japonais nous a autorisés à conserver l’identité coréenne, mais il fallait choisir entre le Nord et le Sud. Beaucoup ont choisi le Nord, pour leur famille, ou alors parce qu’ils estimaient que le Nord était plus proche des traditions de notre pays. On ne pouvait pas savoir comment la situation évoluerait. Ta grand-mère et moi avons choisi le Sud parce qu’on venait de Séoul. C’était l’unique raison. On ignorait tout du reste. On ne savait rien des raisons politiques, la guerre froide, la Russie, les Etats-Unis. Pour les Coréens du Japon, il n’y a jamais eu de Nord ni de Sud. Nous sommes tous des gens de Choson. Des gens d’un pays qui n’existe plus. »
Elisa Shua Dusapin Les Billes du Pachinko Les Editions Zoé - 140 pages -
07:28 Publié dans Français | Tags : elisa shua dusapin | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |