05/11/2020
Kazuo Ishiguro : Crooner Nocturne
Kazuo Ishiguro, né en 1954 à Nagasaki, est un écrivain et romancier britannique d'origine japonaise. Arrivé en Angleterre en 1960, ses parents ne pensant y rester que temporairement, ils préparent l'enfant à poursuivre le reste de son existence au Japon mais ce retour ne se fera pas. Ishiguro suit ses études de littérature et de philosophie dans les universités du Kent et d'East Anglia et il reste de manière définitive en Angleterre, vivant à Londres aux côtés de sa femme écossaise. L’écrivain a reçu le prix Nobel de littérature en 2017.
Crooner Nocturne, recueil de deux novella précédemment parues dans Nocturnes, vient de paraître. Kazuo Ishiguro, outre l’écriture pratique aussi la musique, est grand amateur de jazz et ces deux textes se déroulent dans ce milieu.
Dans la première nouvelle, Crooner, Janeck le narrateur, est un jeune musicien (guitare) qui joue dans l’un ou l’autre des orchestres pour touristes des trois célèbres cafés de la piazza San Marco à Venise. Un jour parmi les clients il aperçoit Tony Gardner, un crooner qui eut son heure de gloire autrefois, une idole de sa mère. Ils font connaissance et l’homme vieillissant propose à Janeck de l’accompagner le soir dans une gondole, pour donner une sérénade sous les fenêtres de l’hôtel où il réside avec sa femme Lindy, venus tous deux consacrer leur séparation après presque trente ans de mariage. D’un commun accord, ils ont décidé de refaire leur vie, de se redonner un nouveau départ…
Le second texte, Nocturne, se rattache au premier puisque Steve, saxophoniste de jazz, a accepté à contrecœur mais pour répondre aux incitations de sa femme et de son manager, de subir une opération de chirurgie esthétique faciale, qui devrait à les en croire, donner de l’élan à sa carrière de musicien ; trop laid, son talent réel est ignoré. Steve se retrouve en convalescence dans un hôtel, avec Lindy comme voisine, elle aussi opérée.
Deux très belles nouvelles, d’abord parce que Kazuo Ishiguro écrit très bien – moi je lui trouve une écriture « caressante » (comprenne qui pourra…) ce qui rend la lecture extrêmement agréable. Crooner joue sur la mélancolie, un couple qui se sépare sans que leur amour véritable ne soit remis en question mais pour des motifs plus vénaux ; la scène de la sérénade sous le balcon – dans un genre tout à fait différent c’est certain – est presque aussi touchante que celle du Cyrano de Bergerac, Tony Gardner chante son amour perdu tandis que Janeck joue de tout son cœur pour l’amour de sa mère défunte qui adorait ce chanteur… La deuxième nouvelle est elle aussi très touchante mais elle est aussi beaucoup plus drôle (voir la séquence avec la dinde rôtie et fourrée !), avec un Steve (musicien peu connu du public) aux prises avec une Lindy (vedette people) cherchant toutes les occasions de s’occuper durant ce confinement (on n’en sort pas !) médical. On notera au passage une critique appuyée du « statut de star » ou de la « notoriété » dans le monde d’aujourd’hui.
Un tout petit bouquin, chaudement recommandé.
« Une fois, au début de ma relation avec Helen, elle m’a proposé de venir courir avec elle. C’était une matinée fraîche et piquante, et je n’ai jamais beaucoup pratiqué le jogging, mais elle me plaisait et je désirais l’impressionner. Nous étions donc en train de courir dans le parc, et je la suivais sans difficulté, quand brusquement ma chaussure heurta un objet très dur qui dépassait du sol. Je sentis dans mon pied une douleur tout à fait supportable, mais quand je retirai ma tennis et ma chaussette, et que je vis l’ongle de mon gros orteil se dresser dans la chair comme pour faire le salut hitlérien, j’eus la nausée et je m’évanouis. Je suis comme ça. Alors vous voyez, je n’étais pas emballé par la chirurgie faciale. »
Kazuo Ishiguro Crooner Nocturne Folio Bilingue - 255 pages –
Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch
« Alors plus incroyable encore, elle arrête de chanter et elle allume la radio. Et tout d’un coup nous entendons Chet Baker. Il chante I Fall In Live Too Easily, d’une jolie voix douce, alanguie. »
07:00 Publié dans NOUVELLES | Tags : kazuo ishiguro | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |