10/05/2016
Don Carpenter : Un dernier verre au bar sans nom
Don Carpenter (1931-1995) est un écrivain américain, auteur d’une dizaine de romans, de nouvelles et scénarios de film. A la fin des années 80 il est touché par différentes maladies, tuberculose, diabète, glaucome et après plusieurs années de souffrances, il se suicide en 1995. Un dernier verre au bar sans nom, n’était pas complètement finalisé quand Don Carpenter s’est donné la mort ; l’écrivain Jonathan Lethem explique dans la postface les quelques retouches qu’il a apportées au bouquin avant qu’il ne soit enfin édité aujourd’hui.
Le roman court de la fin des années 50 jusqu’au milieu des 70, entre San Francisco et Portland. Alors que la Beat Generation rebat les cartes de la littérature, un groupe de jeunes gens rêve d’une vie d’écriture dont Charlie qui revient du conflit en Corée avec le puissant désir d’écrire « LE » grand livre sur la guerre. Sur les bancs de la fac, il rencontre la très talentueuse Jaime, jeune fille de la classe moyenne. Quels écrivains vont devenir Charlie, Jaime et leurs amis… ?
Si le premier roman de l’écrivain, Sale temps pour les braves m’avait tapé dans l’œil, celui-ci m’a crevé le second. Tout y est excellent. Le sujet, la construction et l’écriture.
Le sujet, c’est la littérature ou plus précisément, sa place dans la vie de ceux qui se rêvent écrivains. Tous les personnages du roman écrivent, la différence entre les uns et les autres, c’est que certains seront publiés, d’autres non. L’écrivain décrit ces parcours, faits de hauts et de bas, d’espoirs, de déceptions ou de réussites, de compromis. En choisissant des figures chargées de passés divers, Charlie revient de la guerre, Jaime est une jeune fille de la classe moyenne avec des ambitions, Stan est un cambrioleur, Dick s’est forgé une petite réputation locale à Portland après qu’une de ses nouvelles soit publiée par Playboy, Don Carpenter peut couvrir tout le champ des possibles. De San Francisco à Hollywood, il n’y a qu’un pas et les sirènes du cinéma corneront aux oreilles de certains avec des promesses d’argent facile, sauf que le cinéma n’a pas besoin d’écrivains, il veut des scénaristes, ce qui n’est pas exactement la même chose…
La construction du bouquin rend parfaitement compte de ces destins qui se croiseront, se lieront, se délieront ou se recroiseront au fil des années, tissant une toile où tel ou tel apparaît puis disparaît durant plusieurs chapitres avant de revenir, changé par les ans et les évènements. Ce très beau roman est servi par l’écriture de Don Carpenter, qui là encore, comme je l’avais noté dans son premier ouvrage, s’avère d’une très grande simplicité à la lecture, pas de mots compliqués ou de tournures de phrases chiadées, tout coule, laissant croire que la littérature serait à la portée de tous, la forme démentant le propos.
Si l’écriture et l’ambition de devenir écrivain sont au cœur du livre, il y est aussi question d’amour et d’amitié, en un combat perpétuel toujours difficile à gérer, « Les écrivains ne devraient jamais se marier entre eux, de toute façon, songea Jaime. On est trop égoïstes. »
A consommer sans modération.
« Qu’allait-elle faire de sa journée ? Ou de sa nuit, quand elle ne pourrait dormir ? Son roman avait été son ancre, et maintenant elle l’avait perdue. Tout le plaisir de finir, de savoir qu’elle était capable d’écrire un livre entier, était noyé dans ce sentiment de perte. Et elle avait écrit ce roman en quoi ? Trois mois et des poussières. Charlie travaillait au sien depuis des années, elle ne savait pas exactement combien, mais ça se comptait en années. Cela semblait injuste. Charlie était assis devant elle, faisait semblant d’écouter de la musique à la radio, dodelinant de la tête, jouant avec son sachet de thé, le cœur sans doute déchiré. »
Don Carpenter Un dernier verre au bar sans nom Editions Cambourakis – 382 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
07:48 Publié dans Etrangers | Tags : don carpenter | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |