Joseph Incardona : Le Monde est fatigué

Joseph Incardona, né en 1969 à Lausanne de mère suisse et de père sicilien, est un écrivain, scénariste et réalisateur suisse. Il est l'auteur de romans, de scénarios pour le théâtre, le cinéma et la bande dessinée, ainsi que réalisateur de cinéma. Le Monde est fatigué, son dernier roman, vient de paraître.

Eve, notre héroïne, est une sirène professionnelle qui évolue dans les plus grands aquariums du monde ou, en certaines occasions, chez des particuliers très aisés. Sa queue en silicone cache la principale disgrâce physique de son corps quasi complètement « refabriqué » après un très grave accident, sept ans plus tôt. La gracieuse sirène, aux yeux de tous, est un masque pour cette femme meurtrie au plus profond d’elle-même n’ayant plus qu’un seul but dans la vie désormais, se venger du mal qu’on lui a fait…

Un fort beau roman combinant le mystère et de bien belles pages très émouvantes.

Le lecteur va suivre Eve dans ses pérégrinations à travers le monde du luxe, de Tokyo à l’Australie ou en Suisse et à Dubaï, voyages en avion, hôtels de luxe, champagne, « parce que dans rêve, il y a Eve. » Ce qui ressemble à une belle vie n’est en réalité qu’une illusion, une apparence, Eve souffre dans son corps comme dans son âme. Et c’est là qu’entre une part de mystère car nous ne savons pas encore de quoi souffre la jeune femme, nous ne l’apprendrons que lentement au fil du récit.

Le roman va ensuite s’engager dans une forme de léger thriller quand Matt Mauser, un ami d’Eve, entre dans la danse. Détective, obèse au grand cœur, il a été chargé d’une mission par la sirène, là aussi, on n’en connaitra la teneur que petit à petit, ce qui nous amènera à l’épilogue et la vengeance finale.

Outre l’intrigue, finalement assez basique si on la résumait brièvement (ce que vous ferez vous-même quand vous aurez lu ce roman), le roman recèle de nombreux thèmes : La vengeance et la résilience, la critique sociale avec ce monde gangréné par le capitalisme, la condition d’handicapé physique (vie sexuelle, regard des autres etc.) qui fait d’Eve un être mi-humain mi-artificiel, et au final la grande solitude dans ce monde en perte d’identité pour ceux qui ont encore la faculté de l’observer objectivement…

Le roman est porté, comme d’habitude, par la belle écriture de Joseph Incardona, un style qui lui est propre, phrases courtes et énergiques, adresses au lecteur, descriptions qui semblent tirées de catalogues ou prospectus vantant telle voiture ou tel hôtel… et une tonalité douce mais amère ne cherchant pas à cacher un désabusement certain devant ce qu’est devenue notre société.

 

 

« Ce sont les mêmes rues de centres-villes franchisés, les mêmes touristes en pèlerinage aux points phares du globe, les mêmes objets reçus par la poste TVA incluse, les mêmes phrases de deux cents quatre-vingt caractères pour un tweet, le mépris technocratique de la fin des blocs de pensée conformiste. Le monde est fatigué, Eve, et tes paupières sont lourdes, elles n’en peuvent plus de voir et d’entendre. »

 

 

Joseph Incardona   Le Monde est fatigué   Editions Finitude   - 213 pages -