15/04/2018
Gabriel Tallent : My Absolute Darling
Gabriel Tallent est né en 1987 au Nouveau-Mexique et a grandi en Californie. Il vit aujourd’hui avec sa femme à Salt Lake City. My Absolute Darling, son premier roman, vient de paraître.
Près de Mendocino dans le nord de la Californie. Julia Alveston (mais tous l’appellent Turtle) a quatorze ans, elle vit seule avec son père dans une maison à l’écart du monde. Même au collège, elle reste seule, refusant tout contact avec les autres, hermétique à l’enseignement, recroquevillée dans sa carapace. Elevée à la dure, elle passe tout son temps libre avec ses armes, fusils ou revolver, à les astiquer ou s’entrainer au tir. Une rage sourde couve en elle, prête à exploser…
Dès le premier chapitre, une vingtaine de pages, l’essentiel est dit, ce roman va être monstrueux selon la définition du Robert : « qui excède en absurdité, en cruauté, en perversion tout ce qu’on peut imaginer ; qui choque extrêmement la raison, la morale, la nature. »
Essayez de me comprendre à demi-mots, que je ne dévoile pas trop l’intrigue ; Martin, le père de Turtle est un homme au charme certain, genre viril et non dénué de culture mais terriblement abusif avec sa fille, dans le sens pervers du terme… vous avez saisi ? Leurs rapports plus que troubles, les lient par une sorte de pacte immonde quasi inexplicable, créant chez chacun d’eux une double personnalité.
Lui, peut montrer une face attachante, il adore sa fille (mais d’un amour fou et possessif) et avec ses méthodes d’enseignement (un peu spéciales il est vrai) tente de l’armer pour survivre dans le monde tel qu’il l’envisage, son autre visage, c’est son emprise physique et morale sur la fillette, lui interdisant tout ce qui pourrait l’ouvrir aux autres et la voir s’éloigner de lui. Martin se connait mais ne peut réprimer ses pulsions, « Ton père a grandi dans une haine absolue de lui-même, dans un sentiment de rejet total et dévastateur, et c’est comme ça qu’il vit aujourd’hui. »
Quant à Turtle, qui ressemble « à une fille élevée par les loups », elle aussi adore son père, acceptant tout pour ne pas le perdre. L’introversion, le repli sur elle-même sont ses armes pour affronter cette épreuve et tenter d’y survivre. Des évènements extérieurs, Jacob (un jeune gars rencontré par hasard) et surtout Cayenne (une enfant de dix ans ramenée par son père à la maison… !) vont venir ébranler ses sentiments et la pousser à chercher une issue au conflit intérieur qu’elle se livre ; cherchant à sauver ces deux-là de la menace mortelle du père, elle parviendra peut-être à s’en tirer elle-même, une question de vie ou de mort… je vous laisse le découvrir.
Ce roman fait l’unanimité et ce n’est pas moi qui dirais le contraire. Il est terrible, épouvantable et époustouflant à la fois. Chaque page recèle une atrocité, morale ou physique, chaque ligne vous fait hurler ou rager d’impuissance comme d’incompréhension (il suffirait que… facile à dire mais la réalité humaine est toujours autre). L’écriture est d’une précision pointilleuse dans ses descriptions et le vocabulaire très riche ; le rythme est celui d’un thriller angoissant, accentué par une technique habile, dans le récit proprement dit est incorporé le monologue intérieur de Turtle, ce qu’elle voudrait faire ou ce qu’elle devrait faire mais qu’elle ne fera pas, ses pensées les plus noires, ses terreurs… Paradoxalement, ce qui devrait être un page-turner, oblige à faire des pauses, trop c’est trop. Certaines scènes sont insoutenables et beaucoup de lecteurs ne se risqueront pas dans cette aventure, je le comprends, mais c’est bien dommage, car nous avons-là un vrai monument. Seule petite critique, le grand finale est trop extravagant et l’épilogue un peu trop long mais que vaut cette réflexion mesquine au regard des centaines de pages précédentes…
Certainement l’un des grands livres de l’année qui pourtant ne fait que débuter.
« Elle pense, Je l’aime, je l’aime si foutrement fort mais, mais laisse-moi prendre un peu le large. Qu’il vienne à ma poursuite. Et on verra bien ce qu’il fera, pas vrai ? On joue à un jeu, et je pense qu’il le sait bien ; je le déteste pour quelque chose, quelque chose qu’il fait, il va trop loin et je le déteste, mais je me montre incertaine dans ma haine ; coupable, pleine de doutes et de haines envers moi-même, presque trop pour réussir à le lui reprocher ; c’est moi, ça, une foutue pouffiasse ; alors je franchis à nouveau les limites pour voir s’il refera quelque chose d’aussi mal ; c’est une façon de voir si j’ai raison de le détester ; je veux savoir. »
Gabriel Tallent My Absolute Darling Gallmeister – 454 pages –
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
07:44 Publié dans Etrangers | Tags : gabriel tallent | Lien permanent | Commentaires (10) | Facebook |