15/07/2021
Hari Kunzru : Red Pill
Hari Mohan Nath Kunzru, né à Londres en 1969, est un écrivain et journaliste anglais. D'origine anglaise et indienne (Cachemire), Kunzru a grandi dans l'Essex. Il a fait ses études à Oxford et obtenu un Master of Arts en philosophie et littérature à l'Université de Warwick. Il a travaillé comme journaliste depuis 1998, écrivant pour des journaux tel que The Guardian et The Daily Telegraph. Il a aussi été correspondant pour le magazine Time Out et comme présentateur TV, faisant des interviews pour une chaîne anglaise. Red Pill son nouveau roman vient de paraître.
Ecrivain d’origine indienne, le narrateur est invité en résidence à Wannsee dans la banlieue de Berlin, quartier au passé historique lourd. Il quitte donc New York, sa femme Rei et leur petite fille, persuadé de pouvoir y travailler sérieusement à son livre. Bien vite il déchante quand il réalise qu’il n’a pas bien lu avant de s’engager, le règlement intérieur strict qui l’oblige entre autre, à travailler dans un open space, entouré de collègues, ou qu’un rapport hebdomadaire recense le temps passé sur son ordinateur… Lentement, comme un étau qui se resserre, il se sent surveillé jusque dans sa chambre ; pour se détendre, il marche et va sur la tombe de Heinrich von Kleist, un écrivain prussien, poète, dramaturge et essayiste mort en 1811, ou bien il regarde sur son ordinateur personnel, Blue Lives, une série policière qui va s’avérer être une prise de tête et un début d’engrenage effrayant…
Ca c’est du roman ! Même si ce n’est pas une surprise puisque j’avais adoré Larmes blanches (2018) dans un autre registre. Par contre sachez que le début du livre m’a paru « compliqué », le narrateur évoquant son travail d’écriture sur un livre très complexe, un essai très intellectuel, qui pourrait faire fuir certains lecteurs ; passez outre, l’embellie est proche. Ce qui devrait vous inciter à poursuivre votre lecture, c’est qu’immédiatement on voit que le gars sait écrire, le talent saute aux yeux. Une narration finement développée, pas strictement linéaire pour stimuler vos petites cellules grises, un vocabulaire et des tournures de phrases chiadées, un style insidieux, Hari Kunzru en garde sous la pédale mais on devine sa grande culture.
Revenons-en au roman qui s’étire sur une année, celle qui s’achèvera avec l’élection de Trump à la Maison Blanche. Notre héros, légèrement dépressif « tombe » dans Blue Lives, comme dans un puits sans fond. Si les dialogues paraissent quelconques au téléspectateur lambda, lui l’intellectuel y reconnait les sources dont ils sont tirés et les intentions subliminales fascisantes qu’ils distillent. Un hasard lui fait faire la connaissance d’Anton Bridgeman, le réalisateur de la série, et dès lors un combat intellectuel va se livrer entre les deux hommes ; Anton est sûr de sa force alors que notre narrateur est un peu mou de la réplique, au point que celui-ci en vient à se persuader qu’Anton corrompt son cerveau (comme dans un bouquin de Philip K. Dick ?). Persuadé qu’il a une mission d’intérêt général à accomplir il va pourchasser Anton à Paris puis sur une ile abandonnée en Ecosse où il s’apprête à en finir, le Bien contre le Mal, Saint-Georges terrassant le Dragon etc.
Mais tout ceci est-il bien réel ? Ne seraient-ce pas les propos d’un paranoïaque croyant à ses propres fantasmes où le monde irait au désastre ? Où est la vérité ? Police, hôpital psychiatrique et traitement adapté, retour à New York, femme et enfant effrayés. Tempête sous un crâne, espoir d’accalmie et paf ! Trump est élu…. Aaaaaargh ! Le cauchemar devenu réalité ?
Ne craignez pas que j’aie tout dit du roman, loin de là. Je ne m’inquiète pas, je sais que vous allez le lire.
PS : Certains pourront se demander pourquoi ce titre de roman ? La définition donnée par Wikipédia me paraît convaincante : « Les termes « pilule rouge » et « pilule bleue » font référence à un choix entre la volonté d'apprendre une vérité potentiellement dérangeante ou qui peut changer la vie, en prenant la pilule rouge, et celle de rester dans une ignorance satisfaisante en prenant la pilule bleue. Ces termes font référence à une scène du film Matrix. »
« Chaque fois que je tente de trouver un point d’origine, un lieu où me positionner pour défendre cette partie de mon histoire, un tentacule narratif surgit du marais, m’obligeant à battre en retraite. Je n’ai aucun doute sur certains évènements qui se sont produits au cours des jours précédant mon départ de Berlin. J’en soupçonne d’autres d’avoir été en bloc introduits dans ma mémoire, pas exactement produits par mon imagination. Pas mon imagination. Des souvenirs provenant d’une source externe. (…) Je les vois comme des glissements – des réagencements ou des distorsions d’un matériel déjà existant. »
Hari Kunzru Red Pill Christian Bourgois éditeur – 364 pages –
Traduit de l’anglais par Elisabeth Peellaert
07:00 Publié dans Etrangers | Tags : hari kunzru, philip k. dick | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |