19/07/2019
Julie Otsuka : Certaines n’avaient jamais vu la mer
Julie Otsuka, née en 1962 à Palo Alto en Californie, est une romancière américaine d'origine japonaise. Elle est diplômée en art (1984) de l'Université de Yale et a été peintre avant de se consacrer à l'écriture, à l'âge de 30 ans. Elle vit aujourd'hui à New-York. Certaines n’avaient jamais vu la mer, date de 2012.
Le roman évoque le cas douloureux de ces Japonaises émigrant aux Etats-Unis au début du XXe siècle pour y épouser un homme, non choisi par elles, devant les sortir de leur pauvre condition. Il y aura la traversée éprouvante de l’océan Pacifique jusqu’à San Francisco, l’accueil de leurs « maris » s’avérant bien différent de ce que leurs lettres laissaient croire (« ils n’étaient pas négociants en soieries mais cueillaient des fruits… »), le sexe forcé, le travail harassant, le barrage de la langue et le choc culturel ; viendront les enfants et toujours, le regard des Blancs sur les minorités ethniques. Le drame éternel de l’immigration….
Je n’ai pas aimé ce livre ! Ou du moins, en ai-je un avis très perplexe.
Je ne vais pas discuter du sujet traité, il est grave et dramatique, historiquement réel et méritait largement de faire l’objet d’une mise en valeur auprès d’un large public. Mes principales réserves portent sur le traitement choisi par Julie Otsuka. Roman ou essai ? Il fallait choisir, or là, nous sommes le cul-entre-deux-chaises.
S’il s’était agi d’un roman classique, l’auteure aurait sélectionné une ou plusieurs Japonaises et nous aurions suivi leur parcours avec émotion et empathie. Or il n’en est rien, car le mode d’écriture – original il est vrai, innovateur ? – ne s’attache pas à une femme mais à un collectif, « nous » écrit-elle. Ca crée un effet de distanciation qui accroît le malaise mais touche moins le lecteur, la douleur est éparse. L’absence de personnalisation, rapproche le bouquin de l’essai et l’éloigne du roman. La souffrance est là bien décrite mais si le lecteur est touché, il l’est comme lorsqu’il lit un article dans le journal sur les exilés, sans ce « petit plus » qu’on attend d’un roman qui fait que l’autre est nous.
Venons-en quand même aux qualités de l’ouvrage. Le livre est découpé en huit chapitres, deux m’ont beaucoup impressionné, le premier et le dernier. Le premier qui évoque la traversée du Pacifique, étonne par sa forme, chaque paragraphe et ils sont nombreux, débute par l’anaphore « sur le bateau » qui créé une sorte d’envoûtement, une magistrale entame. Puis, le dernier chapitre, car lui est réellement très beau et nous donne enfin de vraies émotions : après Pearl Harbour, la communauté japonaise sera déportée dans des centres d’accueil (déplacement et internement de quelque 120 000 Japonais), sous l’œil indifférent des Américains ; les Japonais disparaissent et petit à petit la trace même de leur présence récente s’estompera…. Là, c’est terriblement émouvant.
Un livre qui se lit très vite, abordant un sujet historique qui fut longtemps tabou aux Etats-Unis, mais qui pour moi ne remplit pas complètement les conditions nécessaires à un bon roman : donc je vous conseille de le lire pour vous faire votre propre opinion.
« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas grandes. Certaines d’entre nous n’avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d’élégants vêtements, mais la plupart d’entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions porté – hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n’avaient jamais vu la mer, sauf en image… »
Julie Otsuka Certaines n’avaient jamais vu la mer Phébus – 139 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau
07:20 Publié dans Etrangers | Tags : julie otsuka | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |