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07/05/2022

Dans les librairies

Quand on entre dans une librairie inconnue l’œil est immédiatement à l’affût, attiré par les murs d’étagères. D’un coup d’un seul, on englobe le stock, on mesure le potentiel de ressources et de lectures possibles. Les sections, littérature, polars, SF etc. sont indiquées par des étiquettes ou tout autre repère facilitant la recherche. Selon la place donnée à ces sections on devine si la librairie est généraliste ou plus portée sur un genre en particulier. Cette première impression, rapide, incite ou non à poursuivre la visite.

Les muraux sont la face aisée de l’exploration, les bouquins sont classés par genre donc, puis par auteur, en général. On trouve facilement ce qu’on est venu acquérir ou consulter. Ce rapide ou non, tour de la boutique, est direct et ne prête pas à commentaires particuliers. Sauf si on est entré dans une librairie vieillotte, de ces antres où tout est empilé sans ordre apparent, plein de vieux bouquins fatigués d’attendre que quelqu’un les lise. Un régal de visite pour celui qui n’est pas pressé et ne veut rien en particulier, si ce n’est tripoter de vieilles reliures, renifler la poussière et s’attendrir devant des jaquettes d’ouvrages d’un autre temps…

Restons dans notre librairie d’aujourd’hui. Les murs ont été consultés ou envisagés, le plus simple est fait. Il reste le plus complexe, ce qui m’affole à chaque fois que j’entre dans ces commerces, je veux parler des tables d’exposition des nouveautés ou rééditions récentes. Oh ! certes, l’aimable libraire a là encore disposé des panneaux indicatifs sur ses tables pour nous guider, mais après… tout n’est que confusion totale, des piles d’untel accolées aux piles d’unetelle, aucun ordre de disposition ou de classement et pour cause, comment pourrait-il en être autrement sur des surfaces planes où les livres se dressent en colonnes de dimensions diverses, hauteur ou format d’ouvrages.

Le regard s’égare, là c’est un auteur qui nous attire, là c’est une couverture attrayante qui nous tire l’œil, et puis cette pile énorme là-bas, c’est quoi ? Et ce petit bouquin, unique rescapé, coincé entre deux tas d’écrivains concurrents. Je cherche le bouquin venu acheter, en vain. Mais pis encore, le comble de la désespérance, les tables ont deux niveaux, sous le plateau principal, d’autres livres, comme planqués pour que personne ne les voit, à moins que ce ne soit une réserve proche évitant les pas inutiles au marchand ?      

Excitant, assommant, j’abandonne ma quête, je me tourne vers le libraire et expose ma requête. A chaque fois c’est le miracle, à peine le temps de la réflexion et il file droit sur sa proie, extrayant de cette marée de livres étalés dans sa boutique celui que je lui demande ! Une mémoire d’éléphant, un regard de lynx, le geste précis du caméléon gobant son repas, les libraires m’étonnent toujours. Confus je m’excuse « mes yeux ne sont plus ce qu’ils étaient… », car toujours le bouquin démasqué semble crever les yeux, bien en évidence, narguant les bigleux dans mon genre.

Et puisque j’en suis aux yeux et que nous nous connaissons depuis longtemps, j’aimerais évoquer un souvenir intime et très fort lié à cet univers des librairies. Nous sommes dans les premières années 80, je travaille non loin du Forum des Halles à Paris dont j’ai suivi la lente émergence hors de son fameux trou. Le midi, je m’y promène souvent durant mon heure de table et j’y découvre une librairie d’aspect très moderne, murs blancs, grandes vitrines, dépouillement architectural, Le Rhinocéros, qui disparaîtra rapidement. J’entre, bien entendu, et fouille du regard l’offre livresque jusqu’à ce que mon œil soit attiré par les deux magnifiques de la libraire, d’un bleu très clair et humide dans lesquels je me liquéfie immédiatement. « Puis-je vous aider ? » « Quel genre de livres aimez-vous plus particulièrement ? », interdit, pétrifié, je n’ai pas répondu alors elle a pris l’initiative, timide elle aussi m’a-t-il semblé, elle aurait pu me vendre toute sa boutique, faire pleurer ma carte d’un autre bleu, elle m’a seulement conseillé Le Nain de Pär Lagerkvist. Son cadeau sous le bras, les deux nains sont sortis de la boutique, moi flottant sur un petit nuage, la tête vide, le cœur battant la chamade. Ici s’arrête l’histoire, banale pour vous, touchante pour moi aujourd’hui encore.