Lucie Delarue-Mardrus : L’Ange et les pervers

Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) est une poétesse, romancière, sculptrice et dessinatrice, mais aussi journaliste et historienne française. Issue d’une famille bourgeoise elle épouse (en tenue de cycliste !) l’orientaliste Joseph-Charles Mardrus, traducteur des Mille et une nuits, mais ses relations saphiques lassent son mari, dont elle divorce vers 1915. Les écrits de cette auteur prolifique, qui a laissé plus de soixante-dix romans, poèmes, récits, biographies, Mémoires, contes, nouvelles, récits de voyage, pièces en vers et pièces de théâtre révèlent une peintre de la vie intime et de la nature. Ses écrits expriment son désir d’évasion et son amour de sa Normandie natale. Publié en 1930, L’Ange et les pervers vient d’être réédité.

Marion Valdeclare est le personnage central de ce roman et nous allons en suivre le parcours de l’enfance à l’âge adulte, mais, détail d’importance, Marion est hermaphrodite. Ses parents, bourgeois, effrayés par l’enfant qui leur est né et ne sachant comment réagir vont lui gâcher la vie. Par souci pratique, sa mère l’a nommé Marion, un prénom unisexe. L’enfant, tenu à l’écart par ses géniteurs, se consacre à fond à l’étude pour oublier sa solitude. Déjà conscient que quelque chose n’est pas normal en lui, il se crée un sosie, un ami virtuel en somme. Plus tard, indépendant, il va vivre deux vies en parallèle, en tant qu’homme sous le nom de Marion Valdeclare, il habite une petite chambre de la rive gauche à Paris, travaillant comme « nègre » pour des écrivains ou éditeurs ; en tant que femme, il est Hervin Valdeclare et loge dans un gentil appartement du XVIème arrondissement.

Un jeu de rôle où « le temps de remplacer sa jupe courte par un pantalon long, et Marion, fille de trente ans, redevint l’éphèbe éternel qu’elle était ». Mais ce jeu n’est pas gai et Marion se désole, « Il n’y a personne pour moi sur la terre, sinon en acceptant le vice – qui me dégoûte, et, qui, pis est, m’ennuie ».

Travail d’écriture besogneux pour lui, fréquentation des salons où ces dames manœuvrent pour s’attirer les grâces d’une belle ou d’une autre, Marion regarde cela d’un œil distant ou parfois, contrainte, aide une amie dans son entreprise, plus pour se divertir que pour réellement rendre service.

Un temps, Marion envisage la religion, être bénédictin(e) ? Le roman s’achève sur une touche d’espoir de bonheur possible, une sorte de revanche sur la vie…

Un très joli roman, très bien écrit et vous le savez maintenant, j’aime beaucoup le style des écrivains d’hier. La langue est délicate, le sujet ambigu sans que rien n’y puisse choquer quiconque à la lecture. Peu seront nombreux à lire cet ouvrage, dommage…

 

PS : l’éditeur précise que si Lucie Delarue-Mardrus utilise le terme d’hermaphrodite pour Marion, de nos jours le mot n’est plus adapté. Si l'hermaphrodisme est un phénomène biologique dans lequel l'individu présente à la fois des organes mâles et femelles, soit simultanément soit alternativement (hermaphrodisme successif), un concept est à la fois utilisé en botanique et en zoologie, ici il faudrait dire intersexualité. L'intersexuation se définit selon l’ONU comme « une manière de décrire les caractères sexuels biologiques d’un individu, notamment ses organes génitaux, ses gonades, ses taux d’hormones et ses chromosomes » lorsque ces caractères ne correspondent pas aux définitions traditionnelles du sexe masculin ou féminin.

 

 

« Certes, l’horreur de l’accouplement m’est née dans les dortoirs du collège, et sans doute dois-je remercier la destinée de m’avoir, dans mon âge tendre, dégoûté pour toujours de cette sexualité qui, joie ou douleur, fait l’occupation principale des hommes et des femmes. Car si toutes les Laurette Wells et tous les Julien Midalge que je connais maintenant savaient ce que je suis en réalité, ma vie ne suffirait pas pour cultiver mes perversités. »

 

 

Lucie Delarue-Mardrus   L’Ange et les pervers   L’Imaginaire Gallimard  - 172 pages -