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04/03/2019

Patrick Michael Finn : Ceci est mon corps

Patrick Michael Finn, Patrick Michael Finn est un romancier et nouvelliste américain, né à Joliet dans l’Illinois. Titulaire d'un B.A. à l'Université de Californie à Riverside et d'un M.F.A. à l'Université de l'Arizona, il vit à Mesa en Arizona avec son épouse, l'écrivaine Valerie Bandura, et leur fils. Ceci est mon corps, son premier roman, est sorti chez nous en 2018.

Dans la communauté Polonaise d’un quartier de Joliet, dans la banlieue de Chicago. Suzy Kosasovich, une adolescente de quatorze ans, mène une vie étriquée entre des parents peu présents, ses études et les bondieuseries de sa grand-mère. Son rêve serait d’être remarquée et plus encore par Joey, un loubard bien plus âgée qu’elle, caïd de leur rue, qui sort avec Darly, formant un couple bruyant autant que démonstratif, souvent alcoolisé… Ce rêve va se muer en cauchemar lors d’une nuit de Walpurgis, un sabbat de sorcières, le soir du Vendredi saint. 

Ce court roman très noir, se déroule principalement le temps d’une nuit, dans un bar miteux abandonné pour l’occasion aux adolescents du quartier qui vont y mettre l’Enfer. C’est là que Suzy, poussée par une force intérieure irrépressible, entre pour affronter son destin. Une gamine innocente de tout, se jetant sur l’alcool, bières et shots de vodka, les cigarettes, pour la première fois de sa courte vie. Le bar est bondé de gars qui s’arsouillent, au milieu, Joey, sa bande et Darly sa nana, une dévergondée forte en gueule que la petite Suzy va tenter de déloger dans le cœur de son héros. Dans cette foule de prolos en devenir, Mickey Grogan, sale, puant de la gueule, une main en charpie après être passée dans une machine de l’usine où il bosse alors qu’il était bourré, n’a d’yeux que pour Suzy…

Les bégueules auront du mal avec ce bouquin, pourtant c’est un très bon roman. Certes il faut endurer cette folie d’une nuit, d’autant plus insoutenable qu’il s’agit de gamins ou presque, alcoolisés au-delà du raisonnable qui vont se livrer à des actes dommageables. La rivalité entre les deux filles va être terrible, physique et psychologique, se battant comme chiffonnières après que Joey attirée par la chair fraîche, ne « consomme » la gamine dans l’arrière boutique, de son côté Darly par vengeance et dépit, va s’offrir à la meute des poivrots du bar dans un gang-bang ahurissant au fond des chiottes…

Je vois vos yeux levés au ciel en une interrogation muette, « c’est quoi ce truc ignoble ? » : et pourtant, sous ces guenilles se cachent de jolies jambes (pour paraphraser Georges Brassens). Sous ses airs de gros durs, Joey ne peut se passer de Darly, un amour spécial mais réel ; Grogan le moqué et Suzy l’ignorée, partagent la même solitude, celle de ceux qui ne peuvent s’intégrer dans une bande, et l’on sait comme elle coûte quand on est jeune. Quant au finale, magnifique - même s’il est d’une noirceur encore plus effroyable que ci-dessus –  il est d’un pessimisme absolu par son constat froid, en une seule nuit Suzy, quatorze ans seulement, a définitivement enterré un avenir qui ne s’annonçait déjà pas particulièrement optimiste.            

 

« - Chuis un artiste, ouais, dit Joey, la voix pâteuse. Un artiste de la baise. J’ai mon propre musée de la baise dans cette rue. Tous, ils s’étranglèrent de rire. Suzy comprit que c’était elle la blague, quelle bande de connards, et Joey était qu’un connard lui aussi, mais le bourbon lui monta subitement à la tête et ses yeux s’emplirent de larmes. Elle contint ses sanglots en fixant de toutes ses forces le cendrier au milieu de la table, un cercle rouge doté de quatre petites encoches qui enlaçait un amas infect et fumant de mégots écrabouillés. – Merde, elle va gerber, dit l’un d’eux, et Suzy se réjouit qu’ils n’aient pas perçu l’immensité de sa tristesse. »

 

Patrick Michael Finn, Patrick Michael Finn   Ceci est mon corps   Les Arènes – 189 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Yoko Lacour