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Où je constate que mes lectures ont évolué
Lorsque j’ai fait le grand ménage dans ma bibliothèque, un pan entier du meuble n’a pas subi le sévère dégraissage imposé au reste de mes étagères. Pour une raison bien simple, personne ne veut reprendre ce type d’ouvrages et c’est ainsi que j’ai réalisé que ces vieux livres entassés là depuis une éternité correspondait à mes lectures d’antan…
Aujourd’hui je ne lis plus que des romans, des récits de voyage ou des bouquins ayant un rapport quelconque avec les livres, les écrivains ou leur façon de travailler. Pourtant il fut un temps où j’ai largement défriché des secteurs plus diversifiés :
La philosophie et par extension les livres liés à la spiritualité ou aux grandes religions avec un attrait particulier pour les textes d’origine asiatique. Petite parenthèse, mon seul et unique regret dans cette vie, n’avoir jamais visité le Japon. Le Livre des morts Tibétain, le Yi-King, la Bible, côtoient les écrits de Juvénal ou Sénèque, les bouquins d’André Glucksmann sont bizarrement auprès des penseurs Beat comme Alan Watts mais plus logiquement à côté des livres d’Aldous Huxley, une période de ma vie où, plus jeune, les drogues et leurs effets sur le cerveau me passionnaient.
Outre ces bouquins, beaucoup de livres sur les problématiques des années 70 et 80 qui pour certaines redeviennent de saison : l’écologie et le nucléaire avec René Dumont, Edouard Bonnefous, les Amis de la Terre etc. ; le terrorisme (la Bande à Bader), le secteur médical avec des ouvrages contestataires : Les trusts du médicament de Charles Levinson (Seuil 1974) et d’autres ; le milieu carcéral et les violences policières ; le travail avec par exemple Travailler deux heures par jour du collectif Adret (Seuil 1977) et bien entendu Paul Lafargue (Le droit à la paresse). Ces piles de livres contestataires me régalaient alors, je les conserve pour me souvenir de l’époque où j’étais jeune et mettre en perspective les récriminations d’aujourd’hui qui ne sont que des resucées d’hier.
Dans un genre plus léger, j’ai aussi un placard plein de BD (Cabu, Claire Bretécher, Gotlib, toute la clique de Hara Kiri et Charlie Hebdo… et des américains).
Tous ces livres sont un pan de ma bibliothèque qui est aussi un grand pan de ma vie et des jours exquis où la curiosité intellectuelle me poussait à explorer mille pistes. Désormais, (un peu) lassé de tout cela, j’ai besoin de m’aérer la tête et les romans suffisent à mon bonheur. Etre et avoir été, un temps pour tout, blablabla…
12/02/2022 | Lien permanent | Commentaires (6)
Umberto Eco : Confessions d’un jeune romancier
Umberto Eco, né en 1932 à Alexandrie dans le Piémont (Italie), est un universitaire, érudit et romancier italien. Reconnu pour ses nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l’esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie, il est surtout connu du grand public pour son roman Le Nom de la Rose paru en 1980. Titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l’École supérieure des sciences humaines à l’université de Bologne, il en est professeur émérite depuis 2008. Son dernier ouvrage, Confession d’un jeune romancier, est sorti il y a quelques semaines.
Comment un jeune écrivain doit-il s’y prendre pour s’atteler à son premier roman ? Par quel chemin de ruse passer pour séduire son lecteur ? Et quel tour de magie doit-il accomplir pour persuader le monde que ses fictions sont des morceaux de réalité ? Telles sont les questions posées par l’éditeur en quatrième de couverture et dont le lecteur suppose avec gourmandise, les réponses à l’intérieur du bouquin. Un programme fort alléchant, en somme.
La réalité est bien différente. Si les questions sont posées en termes simples, les réponses – encore que je ne sois pas certain qu’elles y soient toutes – rédigées par Umberto Eco sont d’un tout autre matériau. Vous avez lu ci-dessus sa biographie rapide, vous comprendrez que l’auteur ne va pas se livrer en termes médiocres ou galvaudés, même si l’essai s’adresse à un grand public, il reste néanmoins un texte plutôt complexe à appréhender.
L’essai est découpé en quatre chapitres, je me suis régalé durant les cent premières pages, c'est-à-dire grosso-modo, les deux premiers chapitres puis j’ai décroché lentement. Le début du bouquin est passionnant sur les recherches et la préparation de ses romans, chaque écrivain ayant ses méthodes de travail. Il décortique et dépiaute les textes, leur sens voulu ou non par leur auteur, ce qu’en fait le traducteur et ce qu’en comprend le lecteur final. Les portes sont multiples et ouvrent vers autant d’interprétations, « l’acte de lire doit prendre en compte tous ces éléments, même s’il n’est guère vraisemblable qu’un seul lecteur puisse tous les maîtriser ».
C’est alors que le vertige commence à vous prendre car à trop disséquer et vouloir expliquer, le non intellectuel comme moi, passé l’éblouissement liminaire, se rend compte que l’étalage de toute cette « cuisine » tue un peu la magie de la lecture de ses romans. Bien sûr quand je lis ses œuvres de fictions, je sais très bien que m’échappent des références et des allusions, pour autant je prends un plaisir immense à ma lecture. Tout expliciter ne me sert pas à grand-chose s’il s’agit de références à des textes ou des auteurs que je ne connais pas ! En tout cas, voilà matière à ouvrir un débat.
Eco a une écriture alerte, un esprit ouvert et plein d’humour qui transparaît dans son texte mais sa très grande culture, quasi encyclopédique, crée un fossé entre lui et le lecteur lambda comme moi. Je vois très bien qu’il fait des efforts pour rester compréhensible par beaucoup mais trop c’est trop. Quant au dernier chapitre consacré aux listes, j’avoue que ce fut le coup de grâce…
Pour résumer, sur les deux-cent trente pages du bouquin, une centaine de pages m’ont séduit avant que je ne perde pied. Néanmoins, j’adore Eco et son écriture reste un régal pour moi, la preuve je suis allé jusqu’au bout de cet essai.
Umberto Eco Confessions d’un jeune romancier Grasset
Traduit de l’anglais par François Rosso
17/07/2013 | Lien permanent
Céline Minard : Faillir être flingué
Céline Minard, née à Rouen en 1969, est un écrivain français. Après avoir étudié la philosophie elle se lance dans l’écriture. On lui doit déjà plusieurs romans comme Le Dernier Monde (2007), Bastard Battle (2008), Olimpia (2010) et So long Luise (2011). Faillir être flingué vient de paraître.
« Le chariot n’en finissait plus d’avancer. La grand-mère à l’arrière criait de toutes ses forces contre la terre et les cahots, contre l’air qui remplissait encore ses poumons. » Ainsi débute le dernier roman de Céline Minard, une épopée sauvage au cœur du Far-West, ce territoire immense propice au romanesque qu’on pensait propriété intellectuelle exclusive des écrivains américains. Le thème semblait casse-gueule pour un écrivain français et pourtant, la dame s’en sort avec les félicitations du jury.
Magistralement construit, le roman est à priori une succession de scènes ou d’histoires dépareillées où chacune met un scène un ou deux personnages différents, mais au fil de la lecture on s’aperçoit que tout se tient par des liens rendus évidents à postériori. Tous ces personnages agissent et interagissent dans un mouvement d’ensemble qui les mènent vers la petite ville qui se construit, première étape du monde moderne qui s’ébauche.
Nous ferons ainsi connaissance avec Eau-qui-court-sur-la-plaine, une Indienne dont le clan a été décimé, et qui, depuis, exerce ses talents de guérisseuse auprès des Blancs comme des Indiens, les frères Jeff et Brad McPherson qui traversent la plaine avec leur vieille mère mourante dans un chariot tiré par des bœufs, la très jeune Xiao Niù, qui comprend le chant du coyote. Ou bien encore Elie poursuivi par Bird Boisverd, Arcadia Craig une contrebassiste et j’en passe !
Toutes les scènes de westerns vues au cinéma ou à la télévision sont ici compilées dans l’ouvrage et il s’en faut de peu que les visages de nos acteurs favoris, le Dustin Hoffman de Little Big Man par exemple, ne viennent se superposer aux héros imaginés par l’écrivain. Attaque de banque, scalps, bagarres de saloon et entraineuses, règlement de compte final, Indiens et chasseurs de primes, scène de barbier dans son échoppe, tout est présent dans ces plus de trois cents pages.
L’écriture très fluide de Céline Minard emballe l’affaire avec maestria et sait nous faire ressentir les émotions primitives de ses héros (Bird Boisverd seul dans une grotte et sans ressources, Eau-qui-court et ses rites chamaniques) ou leurs péripéties dans l’Ouest sauvage dignes des romans de Nature Writing des plus grands. Moi qui vénère ce genre, j’avoue avoir été bluffé par ce bouquin écrit par « une petite française » qui y ajoute sa patte, faite d’un humour subtile ou carrément cocasse.
Un grand roman d’évasion, un roman complètement épatant, un roman à lire évidemment.
« Quand il revint, Josh était allongé sur un lit de camp à peine taché et bordé jusqu’au menton dans une couverture de bonne laine. Il était pâle et agité. Cristophia informa Zébulon qu’il trouverait dans la grand-rue un barbier qui savait s’y prendre avec les plaies et qu’en cas d’échec, il ne lui resterait qu’à tenter le diable avec les herbes d’une métisse canadienne qui passait en ville les jours de marché. Zeb remercia et paya le supplément en se demandant pour quelles raisons au juste il s’était chargé de cet homme blessé aux trois quarts délirant alors qu’il n’aurait pas levé le petit doigt pour sauver la moitié du vieux continent. Et pendant qu’il y était, il se remit en route à la recherche du barbier. »
Céline Minard Faillir être flingué Rivages
Emission Les Bonnes feuilles sur France Culture :
19/09/2013 | Lien permanent | Commentaires (2)
Michel Houellebecq : La possibilité d’une île
Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l’éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire.
La Possibilité d'une île, son quatrième roman, a été publié en 2005 et il reçut le prix Interallié. Trois ans plus tard l’écrivain en fera un film qu'il réalisera lui-même avec Benoît Magimel dans le rôle principal. Sa sortie sur les écrans en 2008 se soldera par un échec commercial autant que critique.
La possibilité d’une île est un roman d’anticipation. Daniel est artiste de scène, humoriste, provocateur et cynique, estimant que le plus grand bénéfice de son métier « c’est de pouvoir se comporter comme un salaud en toute impunité ». Un premier mariage raté, sa femme l’a plaqué et son fils s’est suicidé.
Quand le roman débute, Daniel écrit le récit de sa vie, mais c’est là aussi que le bouquin entre dans la catégorie « anticipation » car il ne s’agira pas uniquement de sa vie. Ce seront les vies successives de tous les Daniel qui les uns après les autres viendront remplacer le précédent au cours des siècles futurs, s’enrichissant chacun du vécu des autres. Michel Houellebecq faisant du clonage et de la création artificielle aboutissant à la vie éternelle, le thème central de son roman, une vaste fresque courant de l’Homme d’aujourd’hui au néo-humain du Futur. Les chapitres du livre sont autant de point de vue, principalement de Daniel 1 (celui d’aujourd’hui) que de ses successeurs, Daniel 23 ou 25 (plusieurs siècles plus tard).
A travers cet épais roman recouvrant un temps non moins grand, l’écrivain a tout loisir pour développer sa réflexion sur notre société et ça fuse de toutes parts. Critiques sur la presse et le cinéma, considérations sur l’art moderne et les idéologies politiques ou bien du rire comme représentation de la cruauté. Sachant que ce sont les relations entre hommes et femmes qui restent son sujet de prédilection et donc le sexe.
Les scènes sexuelles très détaillées ne manquent pas, balançant entre but éducatif et argumentation sur sa manière de voir la vie. De façon plus générale, pour l’auteur, nos corps expliquent nos actes, « l’état de nos corps constitue la véritable explication de la plupart de nos conceptions intellectuelles et morales ». C’est évidemment aussi l’occasion de placer une analyse sur l’amour de nos jours, « Esther n’aimait pas l’amour, elle ne voulait pas être amoureuse, elle refusait ce sentiment d’exclusivité, de dépendance, et c’est toute sa génération qui le refusait avec elle ».
Michel Houellebecq aborde aussi les thèmes, du bonheur, de la religion, de la morale, de la mort et de la résurrection donc de la vie éternelle par le biais d’une secte qui ressemble fort au mouvement Raélien. L’euthanasie des vieillards ou l’inceste sont aussi évoqués mais sans trop insister heureusement car parfois son manque d’empathie et ses analyses froides laissent un goût amer dans la bouche du lecteur. L’écrivain est un maître dans la dissection de l’âme/nature humaine, ce qui le rend particulièrement éprouvant à suivre quand il met à nu nos pensées les plus intimes et les moins reluisantes.
Un roman qui se lit très bien, écrit avec virtuosité par un écrivain qui n’hésite pas à mettre beaucoup de lui-même dans son texte tout en nous embarquant personnellement dans son sillage, parfois contre notre volonté, et qui nous force à réfléchir tout au long de ces cinq cents pages denses et riches en thèmes abordés. Philosophe ou moraliste provocateur, Michel Houellebecq ne peut laisser indifférent et en cela son livre est grand.
« « Au fond on naît seul, on vit seul et on meurt seul ». (…) De telles dispositions d’esprit ne peuvent guère, à long terme, favoriser une sociabilité riche. La sociabilité avait fait son temps, elle avait joué son rôle historique ; elle avait été indispensable dans les premiers temps de l’apparition de l’intelligence humaine, mais elle n’était plus aujourd’hui qu’un vestige inutile et encombrant. »
Michel Houellebecq La possibilité d’une île Fayard
Pour aller plus loin, voici une interview de Michel Houellebecq par Thierry Ardisson lors de la sortie du roman.
29/11/2012 | Lien permanent | Commentaires (2)
Théophile Gautier : Le roman de la momie
Théophile Gautier (Tarbes 1811 – Neuilly 1872) est un poète, romancier, peintre et critique d'art. Partisan du romantisme, populaire par ses romans historiques (Capitaine Fracasse), il devient l’un des théoriciens de « l’art pour l’art » et l’un des maîtres de l’école parnassienne qui défendait cette thèse.
En Egypte, un jeune aristocrate anglais lord Evandale, et un docteur allemand, Rumphius, découvrent une tombe inviolée grâce à l'aide d'Argyropoulos, un Grec « entrepreneur de fouilles, marchand et fabricant d’antiquités, vendant du neuf au besoin à défaut de vieux ». Depuis plus de 3500 ans, nul n'a foulé le sol des chambres funéraires où repose le sarcophage d'un pharaon. Mais quand s'ouvre le lourd couvercle de basalte noir, les deux hommes trouvent, à leur grande stupéfaction - « Un cri d’admiration jaillit en même temps des lèvres de Rumphius et d’Evandale à la vue de cette merveille » - la momie parfaitement conservée d'une jeune fille d'une magnifique beauté, appelée Tahoser ainsi qu’un papyrus qui prendra trois ans d’études avant d’être déchiffré.
Après ce long prologue, la traduction du papyrus nous révèle l’histoire tragique de la momie, un vrai roman d’amour dans un lointain passé. Tahoser fille d'un grand prêtre d'Egypte, s'éprend d'un Hébreu. Elle est prête à partager la vie du peuple esclave, mais le pharaon la fait enlever et lui offre puissance et richesse. Ou comment l’orpheline d’un grand prêtre deviendra maître de l’Egypte.
Si le cadre du roman est historique, les personnages sont fictifs, mêlés à des évènements comme la traversée dela Mer Rougepar les Hébreux sous la conduite de Moïse. Il est amusant de noter que Théophile Gautier fera paraître ce roman en 1858 alors que ce ne sera qu’en fin d’année 1869 qu’il se rendra en Egypte à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez. Toutes ses connaissances sur l’Egypte pharaonique il les doit à ses recherches. Et elles furent nombreuses et pointues, car le roman est lourdement lesté de descriptions d’objets, de vêtements, des travaux quotidiens du peuple etc. avec le vocabulaire spécialisé associé. C’est aussi à mon sens, l’un des points faibles du livre, beaucoup trop de digressions. D’ailleurs, avant d’être un roman, le texte est paru à l’époque en feuilleton dans un journal, sans grand succès auprès des lecteurs. On imagine mal effectivement, ce texte en feuilleton, où rien ne relance vraiment l’intérêt de la lecture.
Au milieu de ce déballage de science érudite, une et même plusieurs histoires d’amour. L’Hébreu qui aime Tahoser, Tahoser qui elle a un béguin sans retour pour Poëri l’intendant des biens de la couronne, et Pharaon qui lorgne sur Tahoser. Et, cerise sur ce gâteau de fruits de la passion, à plusieurs siècles d’écart, lord Evandale tombera amoureux lui aussi de Tahoser, au point qu’il n’a « jamais voulu se marier, quoiqu’il soit le dernier de sa race. »
Je vais être honnête, je n’ai pas trop aimé ce roman auquel je n’ai pas réussi à m’intéresser.
« Quelle touchante coutume, dit le docteur Rumphius, enthousiasmé à la vue de ces trésors, d’ensevelir avec une jeune femme tout son coquet arsenal de toilette ! car c’est une jeune femme, à coup sûr, qu’enveloppent ces bandes de toile jaunies par le temps et les essences : à côté des Egyptiens, nous sommes vraiment des barbares ; emportés par une vie brutale, nous n’avons plus le sens délicat de la mort. »
Théophile Gautier Le roman de la momie Livre de Poche
13/10/2012 | Lien permanent
John Grisham : L’idéaliste
John Ray Grisham né en 1955 est avocat, auteur américain de romans judiciaires et de romans qui décrivent le sud rural des États-Unis. Il est surtout connu pour ses livres qui ont été portés à l'écran tels que La Firme (avec Tom Cruise et Gene Hackman), L'Affaire Pélican (avec Julia Roberts) ou encore Le Maître du jeu (avec Dustin Hoffman et Gene Hackman) par exemple. Ce roman, L’idéaliste, date de 1995 et se déroule dans le monde judiciaire américain de Memphis. Il a lui aussi été porté à l’écran par Francis Ford Coppola avec Matt Damon dans le rôle principal.
Rudy Baylor est en dernière année de droit, il vivote grâce à son boulot de barman pour payer son loyer et ses études. Tenu à l’écart par certains de ses camarades d’origine plus huppée il a un ami, Booker, un black marié avec deux enfants, qui lui aussi tente de passer l’examen de fin d’année. Obtenir son diplôme et se faire engager dans un grand cabinet d’avocats, tel est l’objectif de Rudy, mais les places sont chères et courues par tous les universitaires. Acculé par les circonstances et sans grands moyens, il ouvre son propre cabinet avec l’aide d’un compère un peu minable et sans diplôme mais assez malin pour dégoter de petites affaires de litiges entre accidentés et leurs assureurs.
Le hasard le met en présence d’un cas où un jeune homme atteint de leucémie en stade final aurait pu être sauvé par une greffe d’organe donné par son frère jumeau, mais l’assureur Great Benefit ( !!) détenteur de la police souscrite par ses parents, ayant refusé de payer les frais exorbitants d’une telle opération, il est désormais condamné à mourir dans les prochaines semaines. Rudy s’empare du dossier et va se consacrer entièrement à cette tâche titanesque, attaquer en justice une énorme boite d’assurance aux moyens faramineux, David contre Goliath.
Je ne vous surprendrai pas en vous révélant que le petit vaincra le géant, ce côté de l’intrigue est clair pour tout le monde avant même d’avoir entamé la lecture du bouquin. Toute l’intérêt du roman repose sur notre empathie, notre identification avec les personnages et la rage qui nous prend devant les magouilles organisées et calculées statistiquement par l’assureur pour ne presque jamais régler les factures grâce à des arguties juridiques qui le plus souvent imposent silence aux malheureux qui osent réclamer réparation.
Tout le monde adore voir le pot de terre vaincre le pot de fer, John Grisham l’a bien compris et il sait en manier les leviers. C’est le premier bouquin de cet écrivain que je lis, je ne pense pas (et j’espère pour lui) que ce soit son meilleur. Les détracteurs pourront avancer avec raison que Rudy Baylor malgré ses moyens inexistants n’a pas trop de mal à abattre cette compagnie d’assurances finalement, que John Grisham utilise parfois des ficelles trop grosses (le décès impromptu du premier juge qui était favorable à l’assureur), que l’intrigue sentimentale avec la jeune femme battue par son mari est assez simplette voire carrément fleur bleue et que ce n’est pas de la grande littérature. Oui tout cela est vrai, mais il faut aussi admettre que le roman se lit facilement, qu’il nous fait entrer dans le système judiciaire américain (un peu), que l’auteur s’est bien documenté et qu’il est assez malin pour y intercaler des péripéties secondaires qui étoffent et aèrent l’intrigue principale, enfin qu’il est impossible de ne pas hâter la lecture pour en arriver au dénouement final bien qu’il soit couru d’avance. Alors ? Ce n’est pas un grand livre mais c’est terriblement efficace et je pense que vu sous cet angle, il est à peu près réussi.
« Ainsi meurent les citoyens dépourvus d’assurance-maladie. Dans une société qui foisonne de médecins tous plus riches les uns que les autres, d’hôpitaux flambants neufs, de gadgets médicaux ultramodernes, dans cette pépinière de prix Nobel, la mort lente d’un Donny Ray privé de soins est extravagante, inique, scandaleuse. On aurait pu le sauver. Il avait le droit, un droit absolu, indiscutable, d’être pris en charge par Great Benefit quand il a contracté sa terrible maladie. Au moment où on a diagnostiqué la leucémie, il était couvert par une police d’assurance que ses parents avaient honnêtement payée. Great Benefit était tenue, contractuellement, de couvrir son traitement. Un jour, bientôt j’espère, je rencontrerai la personne responsable de sa mort. Qui que ce soit, modeste sous-fifre obéissant aux ordres, ou vice-président donnant les ordres. Je voudrais pouvoir prendre maintenant une photo de Donny Ray et la montrer ce jour-là à cet homme ou à cette femme pitoyable. »
John Grisham L’idéaliste Pocket
14/10/2012 | Lien permanent
Douglas Kennedy : La femme du Vème
Toute la presse a parlé du nouveau roman de Douglas Kennedy et tous en ont dit le plus grand bien. Devant une telle unanimité et à la lecture de certains articles j’ai vraiment eu envie de lire ce livre, pourtant après avoir achevé la dernière page et rangé le bouquin sur étagère de ma bibliothèque, je dois avouer que je suis très déçu. L’écriture n’offre pas de satisfactions particulières, le style est assez quelconque (problème de traduction ?) et l’histoire passe du thriller banal au fantastique, ce qui permet à peu de frais tous les rebondissements de scénario. Le roman se termine sur sorte de pacte faustien assez faible à mon goût. J’imagine qu’on en fera un film insipide issu du moule commun à tout ce qui sort sur les écrans depuis quelques années. La seule interrogation après avoir bouclé ce polar, pourquoi une telle unanimité positive pour ce roman ? La preuve évidente et trop voyante cette fois que les critiques littéraires sont à la solde des attachées de presse des éditeurs ?
Douglas Kennedy : La femme du Vème chez Belfond
14/10/2012 | Lien permanent
Le Livre de Poche a 60 ans
C’est le 9 février 1953 qu’est paru le premier volume de la collection Le Livre de Poche, il s’agissait de Koenigsmark, roman de Pierre Benoit. Ce concept révolutionnaire a été conçu par Henri Filipacchi, à cette époque secrétaire général de la Librairie Hachette.
Il est vrai que des bouquins de ce format facile à glisser dans une poche, existaient déjà. Dès 1905, les éditions Jules Tallandier commercialisaient, sous l'appellation Livre de poche, des romans populaires à petit prix, dont Hachette devra d'ailleurs racheter le nom. Pourtant, si cette nouvelle collection rencontra le succès, c’est parce qu’elle satisfaisait pleinement la demande populaire et estudiantine d'un livre bon marché (en 1953, il est six fois moins cher qu'un ouvrage grand format) et désacralisé, présenté sous des couvertures rappelant les affiches de cinéma, mais néanmoins véhicule d'une littérature de qualité.
Henri Filipacchi réussit à convaincre ses amis éditeurs Albin Michel, Calmann-Lévy, Grasset et Gallimard de s'associer à son projet et de devenir ainsi les « pères fondateurs » du Livre de poche.
Chaque quinzaine, un nouveau titre sort. Puis la fréquence augmente : 4 titres par mois en 1955, 12 au milieu des années 1960. Puis tout s’emballe, de 8 millions d'exemplaires en 1957-1958, les ventes passent à 28 millions en 1969.
Les différentes collections utilisent le même numérotage, si bien que des titres arrivent (en 2007) à des numéros au-delà de 20 000, mais il existe des trous de numération, par exemple de 9 800 à 13 899, et des plages de 100 à 500 numéros consécutifs sont réservées à des collections précises. De ce fait un certain désordre s'est créé au fil du temps.
Devant ce succès colossal, la concurrence s’organise. C’est ainsi que naitront, J'ai lu créé par Flammarion en 1958, Presses Pocket créé par les Presses de la Cité et Folio créé par Gallimard en 1972 après son retrait de la Librairie Générale Française. Mais, avec près d'un milliard de volumes diffusés depuis sa création et plus de 18 millions d’exemplaires vendus en 2002, Le Livre de Poche demeure la première collection de poche française.
Dans les 2 000 premiers numéros, on retrouve la majorité des classiques français. Du no 1 au no 1800 (1967), les couvertures, souvent signées Jean-Claude Forest, sont du style « affiche peinte » caractéristique. Ensuite elles se modernisent. Pierre Faucheux a donné également des couvertures célèbres notamment pour Paroles de Jacques Prévert.
À l'origine l'initiative est dénigrée par certains qui y voient l'émergence d'une sous-culture. Le philosophe Hubert Damisch dénonce dans Le Mercure de France « une entreprise mystificatrice puisqu'elle revient à placer entre toutes les mains les substituts symboliques de privilèges éducatifs et culturels ». Dans Les Temps modernes, Jean-Paul Sartre s'interroge, « Les livres de poche sont-ils de vrais livres ? Leurs lecteurs sont-ils de vrais lecteurs ? ». Par contre Jean Giono écrit en 1958 : « Je considère aujourd'hui Le Livre de poche comme le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne ». On constatera que dans ce domaine comme dans tant d’autres, tout ce qui est nouveau effraie et doit affronter la critique, même de gens dont on attendrait une plus grande ouverture d’esprit…
De nos jours, les auteurs modernes sont plutôt flattés de cohabiter avec les grands écrivains du passé. Le livre de poche leur permettant d'être plus longtemps en librairie.
Les chiffres : Le capital de la Librairie générale française, société anonyme, est détenu à 80 % par Hachette-Livre et, à hauteur de 20 %, par les Éditions Albin Michel. Il y avait plus de 20 000 titres publiés depuis 1953. Chaque année, on compte 400 nouveautés pour 1000 réimpressions.
Enfin sachez que l'ouvrage le plus vendu en Livre de poche est Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, suivi de Vipère au Poing d'Hervé Bazin (plus de 4 millions d'exemplaires chacun) et que l’auteur le plus vendu est Agatha Christie (plus de 40 millions de volumes), suivie d'Émile Zola (22 millions).
Pour célébrer cet anniversaire, une exposition de 200 mètres carrés sera consacrée au Livre de Poche lors du Salon du Livre à Paris, du 22 au 25 mars prochain.
09/02/2013 | Lien permanent
Henry David Thoreau : Les Forêts du Maine
Henry David Thoreau, né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts) où il est mort le 6 mai 1862, est un essayiste, enseignant, philosophe, naturaliste amateur et poète américain. Il est surtout connu pour ses deux ouvrages, Walden ou la vie dans les bois (1854), qui délivre ses réflexions sur une vie simple menée loin de la société, dans les bois. Et La Désobéissance civile (1849), dans lequel il prône l'idée d'une résistance individuelle à un gouvernement jugé injuste, ce qui en fait un précurseur des mouvements adeptes de la « non-violence ». Les différents mouvements écologistes ou les tenants de la décroissance actuels le considèrent comme l'un des pionniers de l'écologie car il ne cesse de replacer l'homme dans son milieu naturel et appelle à un respect de l'environnement.
Les Forêts du Maine est un recueil de trois textes, Ktaadn et les forêts du Maine (1848), Une excursion au Wachusett (1843) et La succession des arbres en forêt (1860). Si les deux premiers sont le récit d’expéditions, le troisième est plus scientifique puisqu’il se propose de nous expliquer le mécanisme naturel d’expansion de la forêt à travers les propres observations de l’auteur.
L’Etat du Maine, au nord-est des Etats-Unis, est le terrain de jeu favori pour ne pas dire exclusif de Henry David Thoreau et c’est là qu’il se livre à ses excursions ou grandes randonnées, comme nous dirions aujourd’hui. A pied, à cheval ou en canoë, accompagné d’amis et épaulé par des guides locaux, grands connaisseurs du terrain, il part à la découverte de régions qui ne sont habitées que par les bûcherons, quelques colons et les chasseurs pour la plupart des Indiens. Très vite, Thoreau en tire un premier enseignement, « plus on s’enfonce dans les bois, plus on s’aperçoit que leurs habitants sont intelligents et, dans un sens, moins culs-terreux, parce que le pionnier a toujours été un voyageur (…), son savoir est plus universel et plus étendu que celui du villageois ». Ce qui corrobore le fameux dicton, les voyages forment la jeunesse.
Ne vous attendez pas à lire un de ces récits d’explorateur, fait de mille dangers où l’homme affronte animaux et périls naturels, nous sommes plus dans le registre de la grande randonnée comme je l’ai écrit plus haut. D’ailleurs le propos de l’écrivain n’est pas de nous faire frémir à ses exploits, qui n’en sont pas, mais de nous faire découvrir la richesse de la Nature, berceau de notre civilisation. Le lieu d’où tout est parti et où toujours nous devrons nous ressourcer.
Thoreau se veut aussi didactique, « afin que le lecteur puisse se faire une idée », et il nous explique en quoi consiste le métier de draveurs (flottage du bois), de batelier ou bien comment sont aménagées les cabanes des bûcherons.
Ecrit dans un style énergique, froid car proche du récit scientifique et éducatif, Henry David Thoreau est un observateur attentif et précis qui déjà en son temps avait pris conscience de l’importance de la nature et de la place de l’homme dans ce grand tout qui lui est supérieur. C’est en cela qu’il a une place importante dans la bibliothèque de tout écologiste ou plus simplement, de tout humaniste.
« Les sommets des montagnes comptent parmi les parties inachevées du globe, où c’est un peu comme insulter les dieux que d’y grimper, de s’immiscer dans leurs secrets et d’éprouver l’ascendant qu’ils exercent sur notre humanité. Les hommes audacieux et insolents sont sans doute les seuls à y aller. Les races simples, come les sauvages, n’escaladent pas les montagnes : leurs cimes sont des endroits sacrés et mystérieux qu’ils ne visitent jamais. »
Henry David Thoreau Les Forêts du Maine Rivages poche
04/02/2013 | Lien permanent
Tim Gautreaux : Nos disparus
Timothy Martin Gautreaux, né en 1947 à Morgan City en Louisiane où il vit toujours, est le fils d'un capitaine de remorqueur. Professeur émérite d'anglais à la South Eastern Louisiana University, il est l'auteur d’un premier roman, Le Dernier Arbre en 2013, et de nouvelles publiées par The Atlantic Monthly, GQ, Harper's Magazine et The New Yorker. Son nouveau roman, Nos disparus, vient tout juste de paraître.
Sam Simoneaux, dont la famille a été massacrée quand il avait six mois, débarque en France avec l’armée américaine le jour de l’Armistice de la Grande Guerre. On l’envoie déminer les champs de bataille de l’Argonne durant quelques mois. Rentré à La Nouvelle-Orléans où il est devenu responsable d’étage aux grands magasins Krine, Sam ne peut empêcher l’enlèvement de Lily Weller, une gamine de trois ans. Licencié, sommé par les parents de retrouver leur enfant, il embarque comme troisième lieutenant à bord de l’Ambassador, bateau à aubes qui organise des excursions sur le Mississippi.
Sam est un garçon plutôt banal, élevé par son oncle dans le respect de la vie humaine, il n’aime pas la violence, d’un caractère doux et posé, emprunt de sagesse ou de bon sens, il mène sa vie comme il peut, c'est-à-dire comme un bouchon sur les flots, ce que l’écriture de Tim Gautreaux rend très bien, le ton est léger et la narration se déroule à un rythme de croisière (sic !), sans heurts. Pour autant, le récit ne manque pas d’aventures et de rebondissements, l’écrivain mariant, la vie à bord de ces bateaux montant ou redescendant le fleuve au son d’un orchestre de jazz, s’arrêtant de ville en ville pour faire le plein de clients, bouseux des campagnes prêts à s’alcooliser et s’étriper ou bien notables en goguette c’est selon, avec l’enquête de Sam qui s’étirera sur presqu’une année.
Le pauvre Sam devra jongler avec sa vie personnelle, marié, un enfant mort très jeune, un salaire de misère, le questionnement de ses collègues s’étonnant qu’il n’ait jamais eu l’idée de retrouver ceux qui avaient massacré ses parents, et la vie des autres, les parents de la petite fille enlevée musiciens sur l’Ambassador et les catastrophes dramatiques qui vont s’enchaîner, conséquences plus ou moins lointaines de l’enlèvement.
Tim Gautreaux, le plus simplement du monde, sans utiliser de grands mots ou concepts, aborde le problème de la vengeance, cette vendetta qui n’en finit jamais, et son inanité : « Et même si j’arrivais à me venger, tu peux être sur qu’il y en aurait un qui s’en tirerait, et avant deux ans, il débarquerait chez moi par une belle nuit pour nous attendre, tapi dans les broussailles, le couteau entre les dents. » Quand son enquête sur l’enlèvement et sa quête de vérité sur le massacre dont il a réchappé se rejoindront, Sam, incarnation de la bonté, saura prendre les décisions justes et sans lâcheté, dans le respect des valeurs qui lui ont été inculquées.
Un bon roman dont le plus grand attrait réside dans la tendresse profonde de l’auteur pour tous ses personnages, s’alliant à la perfection avec le rythme et le style de l’écriture. Aucune fausse note pour cette partition de jazz tirant plutôt vers le blues.
« Il sentit à sa posture qu’elle venait de prendre conscience que les gens disparaissaient soudain d’une façon qu’elle ne pouvait pas comprendre. Elle se mit à pleurer doucement, mais il devinait qu’elle aurait été incapable de dire ce qui la rendait triste. On lui avait expliqué que son père était parti au paradis, puis que sa mère était allé le rejoindre, et rien de tout cela n’avait vraiment de sens pour elle parce qu’elle vivait dans l’éternel présent de l’enfance où les divers mouvements de l’existence suffisent à vous occuper, et où passé et futur n’existent même pas. Il en était malade pour elle, mais pour lui-même aussi parce que la fragile petite épaule qu’il tenait dans sa paume aurait pu être celle de sa propre sœur ou de son propre frère, et il se sentit accablé par la conscience plus forte de la perte qu’il avait subie avant de savoir ce que le mot « perte » signifiait. »
Tim Gautreaux Nos disparus Seuil - 541 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville
07/09/2014 | Lien permanent | Commentaires (4)