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09/12/2023

Voyages dans un fauteuil

                  Nous n’emprunterons pas l’avion ou le train, nous n’aurons même pas besoin de chausser nos rangers et encore moins de nous charger d’un quelconque sac à dos ou d’une valise étiquetée à notre nom. Le voyage sera encore plus beau peut-être, puisqu’il est de ceux qu’on fait confortablement lové dans un coin de son canapé, un livre à la main et la théière fumante sur la table basse. L’expédition par procuration ou les joies sans les peines, l’action sans l’effort. « Le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune » (1)

J’ai fait le tour du monde. Avec Paul Théroux (2), grâce au chemin de fer qui permet de parcourir de longues distances tout en profitant du paysage et en côtoyant les autochtones, je connais la Chine, du désert de Gobi aux confins du Tibet, de la Grande Muraille à Ürümqi dans l’extrême ouest. La région m’est aussi familière par les récits plus anciens d’Ella Maillart (3) qui en 1935 quitte Pékin en direction du Sin-Kiang à dos de mulet ou de chameau pour une épopée que nul film ne pourra jamais égaler dans mon imagination. Concevoir un tel voyage quand on est une femme, à cette époque, dans une région troublée politiquement, voilà un beau défi mais quand il est relevé magistralement comme ici, chapeau bas ! L’Asie centrale me fascine assez pour que j’emboîte les pas d’Armin Vambery (4) déguisé en derviche errant qui gagnera Téhéran puis, à pied ou à dos d’âne, les régions interdites du Turkestan et les cités légendaires de Samarkand ou Boukhara et L’Afghanistan. Ces quelques exemples de voyageurs intrépides ne sauraient égaler le Père Huc (5) (Il n’y a pas de jeu de mots !) qui entreprit en 1841 un périple de cinq années à travers Mongolie et Chine, en chariot ou jonque. Il fut le premier Français à atteindre Lhassa, adoptant costume, langue et règles de vie des régions traversées.

Une première pause s’impose, et une gorgée de thé me permet de reprendre mes récits de voyages. Après l’Asie j’ai aussi fait l’Afrique bien évidemment. J’ai cherché les sources du Nil avec Burton et Speke (6). Là, on pense à Zanzibar, aux caravanes d’esclaves et trafiquants, aux grands lacs africains, à la chaleur accablante, aux souffrances que ces hommes vont endurer. Par contre, pour le célèbre « Docteur Livingstone, je présume ? » c’est Henry Stanley (7) qui s’y colle. Là encore, ce sont guides indigènes, crocodiles, miasmes et pachas locaux. L’Afrique c’est aussi le désert et son grand diseur reste Théodore Monod (8). Quand l’aventure rencontre la poésie, la sagesse en découle. Au milieu de l’erg, seul, vous n’êtes rien qu’un minuscule grain de sable, un maillon du Grand Dessein ; l’accablement du « je ne suis que cela » et la puissance du « mais je suis un Homme » envahissent votre esprit et l’expérience mystique vous plonge dans la béatitude. On peut aussi voyager et rigoler, c’est le cas avec O’Hanlon (9) qui part à la recherche d’un dinosaure au Congo. Après avoir échappé à l’étreinte amoureuse d’un gorille le voici sur l’Impfondo un vieux rafiot qui remonte le fleuve Congo.

Ne laissons pas refroidir le thé dans nos tasses, j’allume une lampe basse qui donne une chaude clarté à la pièce et je me replonge dans mes bouquins chéris. L’Océanie offre elle aussi de belles images à mon imagination galopante. Bien sûr il y a Thor Heyerdahl (10) et son expédition de 1947 sur un radeau entre le Pérou et la Polynésie qui devait démontrer que les Incas auraient pu franchir les 6900 kilomètres séparant les deux continents. Ce qui nous amène à l’Ile de Pâques (11) et aux théories les plus folles pour expliquer la présence de ses monolithes dressés comme des sentinelles géantes … A cet instant vous pouvez vous laisser aller à toutes les spéculations, plus elles seront farfelues, plus votre imaginaire en sortira gratifié. Posons notre livre, fermons les yeux et supposons que…

Et l’Amérique, tu connais ? La vraie découverte, vous la ferez avec Mark Twain (12) qui nous narre sa vie de conducteur de bateau à roue sur le Mississipi ou Audubon (13) le célèbre dessinateur des Oiseaux d’Amérique qui s’embarque dans la remontée du Missouri aussi loin que possible sur un bateau de trappeurs, à travers les territoires indiens jusqu’à la Yellow River et même les Rocheuses pour dessiner toutes les espèces d’oiseaux qu’il croisera sur sa route. Cette expédition de 1843 sera aussi sa dernière et son journal prend des airs de testament. Il n’y a pas une Amérique, mais des Amériques. La preuve avec Samuel Hearne (14) qui s’était lancé dans une traversée de la toundra canadienne entre 1769 et 1772, ce qui nous vaut un remarquable récit d’amitié avec son guide indien Matonabbee et d’aventures de vie et de mort. Pour ceux qui sont intéressés par les indiens il est indispensable de consulter le fabuleux Pieds nus sur la terre sacrée (15) illustré de photos de chefs comme Sitting Bull, Geronimo ou la Princesse Angeline dues à l’illustre Edward S. Curtis. Des photos en noir et blanc sublimes, accompagnées de textes émouvants sur les grandes nations indiennes (Sioux, Apache, Ojibway, Choctaw etc.…) décimées par les colons. Un must absolu. Tout au sud de nos Amériques, il y a la Patagonie et son chantre le plus célèbre est certainement Bruce Chatwin (16). Je vous résume le pitch, un jour le jeune Bruce quitte tout pour partir découvrir ce bout du monde à cause d’un fragment de peau de brontosaure exposé dans une vitrine chez sa grand-mère.

Tout au nord, le Groenland est une terre fertile en aventures et si Monod était le pape des déserts de sable chaud, Malaurie (17) est celui des déserts de glace. Le Français a vécu avec les Inuits, mangeant avec eux l’hiver ces oiseaux d’été qui ont pourri sous les pierres, écouté leurs récits mythologiques, pêché et chassé, conduit le traîneau à chiens dans le blizzard par un froid cruel pour devenir un véritable Esquimau, une nouvelle légende.

Certainement vous sentez-vous un peu las. Tous ces pays, que dis-je, ces continents survolés aussi vite, une petite fatigue vous guette. Tenez bon, nous approchons du port, déjà les mouettes au-dessus du navire signalent que la terre est proche.

L’Europe nous la découvrirons avec Leigh Fermor (18) qui décide en 1933 de traverser à pied le vieux continent, de la Hollande à Constantinople. Une double aventure, celle d’un jeune homme en devenir et une Europe qui va bientôt connaître la guerre. Les Anglais sont de grands voyageurs et nous en terminerons avec leur île. Tout d’abord avec Stevenson (19), celui de L’Ile au Trésor ou de Docteur Jekyll et Mister Hyde, qui par des notes de voyage et des récits ou des souvenirs d’enfance, nous parle de son pays, le Ross de Mull, Magus Muir, les Pentland Hills ou Edimbourg. Ultime virée avec celui avec lequel tout a commencé, Paul Théroux (20) qui nous entraîne dans un tour de la Grande-Bretagne en train, à pied, bus ou stop de trois mois. Les ports, les mines fermées, les bagarres entre skins et mods, la vie en somme.

Mon thé est froid, je referme mon bouquin et je contiens un léger bâillement. Il est tard et la nuit tombe, il est temps que je me couche, promesse d’autres voyages plus merveilleux encore peut-être.                           

 

Bibliographie :

1- Xavier de Maistre « Voyage autour de ma chambre » Editions Nilsson

2- Paul Théroux « La Chine à petite vapeur » Grasset

3- Ella Maillart « Oasis interdites » Petite Bibliothèque Payot

4- Armin Vambery « Voyage d’un faux derviche en Asie centrale 1862-1864 » Phébus

5- Père Huc : « Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie et le Thibet » suivi de « L’Empire chinois » chez Omnibus

6- Burton et Speke : « Aux sources du Nil » Petite Bibliothèque Payot

7- Henry M. Stanley : « Comment j’ai retrouvé Livingstone » chez Babel

8- Théodore Monod : « Méharées » chez Babel

9- Redmond O’Hanlon : « O’Hanlon au Congo » chez Flammarion

10- Thor Heyerdahl : « L’expédition du Kon-Tiki » au Livre de Poche

11- Francis Mazière : « Fantastique Ile de Pâques » au Livre de Poche

12- Mark Twain : « La vie sur le Mississipi » deux tomes chez Payot

13- John James Audubon : « Journal du Missouri » Petite Bibliothèque Payot

14- Samuel Hearne : « Le piéton du Grand Nord » Petite Bibliothèque Payot

15- « Pieds nus sur la terre sacrée » textes de TC McLuhan photos de Edward S. Curtis chez Denoël (1974)

16- Bruce Chatwin : « En Patagonie » Les Cahiers Rouges chez Grasset

17- Jean Malaurie : « Les derniers rois de Thulé » chez Pocket

18- Patrick Leigh Fermor : « Le temps des offrandes » et « Entre fleuve et forêt » chez Payot

19- Robert Louis Stevenson : « A travers l’Ecosse » aux Editions Complexe

20- Paul Théroux : « Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni » Les Cahiers Rouges Grasset

 

Commentaires

Jolie présentation... Bien sûr j'n ai lu un paquet là dedans...

Écrit par : keisha | 09/12/2023

J’en suis certain ! Et tu te doutes que j’ai « oublié » un énorme tas d’autres bon livres relatant d’extraordinaires périples…

Écrit par : Le Bouquineur | 09/12/2023

Bravo, cela peut en plus faire de bonnes idées de cadeaux en cette fin d'année !

Écrit par : Kathel | 09/12/2023

Dans cette optique, je conseille particulièrement « Pieds nus sur la terre sacrée » dans une belle édition pour la beauté des photos.

Écrit par : Le Bouquineur | 09/12/2023

Eh bien moi je n'en ai lu aucun, mais c'est une liste bien inspirante... et bravo, très beau billet qui exprime bien le pouvoir d'évasion et d'enrichissement de la lecture (à moindre coût et sans polluer !)

Écrit par : Ingannmic | 09/12/2023

On pourrait citer d’autres livres ou d’autres écrivains c’est certain, mais ces références c’est du très bon de chez excellent ! Alors n’hésite pas, toi ou un autre, à y piocher un enrichissant et passionnant moment de lecture…

Écrit par : Le Bouquineur | 09/12/2023

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