04/07/2024
Alain Guyard : Ma Cabane sans peine
Alain Guyard, né en 1966, est un écrivain français. Il connaît une enfance au milieu des Manouches et des repris de justice avant d’entreprendre des études de philosophie et des recherches consacrées à l’imaginaire. Alain Guyard a enseigné la philosophie à compter de 1990 mais en 2005, il quitte l'Education nationale, lorsqu'il estime qu'elle est devenue une « machine à rentabiliser » et il décide de prendre la route pour exposer la philosophie dans des lieux où on ne l'attend pas, avec des publics qu'on ne s'attend pas à voir philosopher. Il va mettre en place des ateliers de philosophie dans divers centres pénitentiaires avant d’étendre son champ d’intervention à partir de 2010 aux milieux psychiatriques, hospitaliers, aux unités de soins palliatifs, aux centres d’hébergements et foyers de jeunes sous protection judiciaire. Enfin, à partir de 2014 il vagabonde de foire en festival, de bistro en barnum, et transforme l'enseignement de la philosophie en une performance canaille et populaire. Anarchiste, il a appartenu à la Confédération nationale du travail dix ans durant. Un parcours atypique qui explique en partie le contenu de son nouvel ouvrage, Ma Cabane sans peine, qui vient de paraître.
Alain Guyard s’est acheté un mazet dans la garrigue cévenole, une petite construction rurale à pièce unique et à couverture de tuiles. L’électricité provient de panneaux solaires, pour les toilettes, la campagne alentour fait l’affaire. Le bourg le plus proche est à une heure de marche. Un endroit idéal pour concocter ce petit bouquin dispensant des leçons de sagesse ?
C’est l’instant où vous vous dites, encore un bouquin d’ermite qui va nous vendre ses petits oiseaux et ses couchers de soleil, la nature notre maman à tous et tutti quanti ! Tsss ! Tsss ! Si vous aviez bien lu la courte biographie du mec en début de billet, vous auriez des soupçons et vous auriez raison ! Certes, il y a bien les passages prévus sur la nature environnante et le calme de son Eden, ça c’est l’emballage, le papier argenté du paquet, le cadeau lui est beaucoup plus étonnant pour ne pas dire piquant voir raide.
Et Guyard de casser et moquer, la littérature de genre, de Henri David Thoreau à Sylvain Tesson (« Sa baraque doit sentir la vieille literie viking du XIVème siècle »), « l’ermite est toujours un poil réac », « la littérature de cabanon, qui doit tant à Bricorama et à l’Orient ». Le mythe du wilderness américain en prend aussi pour son grade avec John Muir (fondateur des parcs nationaux) qui « s’extasie d’abord devant le munificence de la nature pendant quarante pages… avant d’y foutre le feu pour ouvrir un pâtis. » Et de s’interroger « pourquoi les écrivains en leur cabane au fond des bois ne parlent-ils jamais de leur libido ? »
Les écrivains ne sont pas sa seule cible, les parisiens en vadrouille morflent aussi, « c’est drôle, cette insistance des Parigots à chercher des bords de Marne au sud de la Durance ». Et son ironie piquante de continuer ainsi tout du long, profitant de ses voisins (vrai ou faux, qu’importe), les locaux taiseux, les randonneurs de passage, le gourou bidon et ceux qui recherchent la sagesse (« Le zen, ou l’art d’être con comme la lune »). Parfois le lecteur s’interroge à son tour, Guyard est-il toujours dans l’humour quand il pastiche (?) Sandrine Rousseau (« on voit bien que couper un arbre consiste en un apprentissage de la masculinité toxique et se résume à une opération punitive contre un phallus plus gros que le sien »).
Le bouquin est très bien écrit, avec de jolis mots rares (rugination, temps noachides…) et surtout il est très amusant même si parfois on trouve qu’il pousse le bouchon un peu loin.
« C’est un exercice périlleux que la littérature de cabane solitaire. Il faut se mettre en scène comme un grincheux et porter sur le monde moderne un regard dédaigneux, alors que les gens qui vous achètent votent à gauche. Un bon ermite est toujours un vieux droitard un peu planqué, lu par des jeunes progressistes un peu naïfs. (…) D’où, chez l’ermite écrivain, des trésors d’esbrouffe et un art consommé de l’enfumage qui le rapprochent assez du vendeur de bagnoles d’occasion et du démarcheur en assurances. Je ne devrais pas le dire comme ça, ça va me griller dans la profession, mais je ne suis pas mécontent de révéler le truc… »
Alain Guyard Ma Cabane sans peine Le Dilettante - 222 pages -
06:00 Publié dans Français, ROMANS | Tags : alain guyard, thoreau, sylvain tesson, john muir | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
Commentaires
Je suis assez d'accord avec l'auteur en ce qui concerne Tesson, (ha ha) mais bon, tout un livre à finalement faire de l'ironie sur tout le monde, c'est un peu long, non ?
Écrit par : Kathel | 04/07/2024
Répondre à ce commentaireLe roman n’est pas si long que cela et pas dense, donc ça se lit à toute vitesse. Et puis casser le mythe des reclus qui seraient des modèles de sagesse a quelque chose d’assez salutaire à mon avis.
Écrit par : Le Bouquineur | 04/07/2024
un regard sans concession sur les modes actuelles me plairait sauf que je n'aime pas le dénigrement systématique . Est ce qu'il s'applique à lui-même ce regard si critique ?
Écrit par : luocine | 08/07/2024
Répondre à ce commentaireOui, indirectement, comme par exemple lorsqu’il dit : « Qui oserait aujourd’hui, du fond de sa chaumine, clamer qu’on s’y fait chier sans wifi ? », c’est donc qu’il l’a constaté et ressenti.
Tous les travers qu'il dénonce prouvent qu'il pense l'inverse, sinon ce ne seraient pas des travers selon son point de vue.
Écrit par : Le Bouquineur | 08/07/2024
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