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18/06/2020

Georges Simenon : Le Chat

georges simenonGeorges Simenon : Le ChatGeorges Simenon est un écrivain belge francophone (1903-1989). L'abondance et le succès de ses romans policiers (notamment les « Maigret ») éclipsent en partie le reste d'une œuvre beaucoup plus riche. Simenon est en effet un romancier d’une fécondité exceptionnelle, on lui doit 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom et 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes !

Le roman date de 1967 et avait été adapté au cinéma en 1971 par Pierre Granier-Deferre avec Jean Gabin et Simone Signoret ; une réalisation tellement forte que je n’avais jamais tenté d’ouvrir le livre, non par crainte d’être déçu - car avec Simenon de tels soupçons n’ont pas cours - mais parce que l’ombre portée de l’un sur l’autre risquait, à mon avis, de me gâcher ma lecture. Une erreur que je viens de corriger.

Emile et Marguerite se sont remariés tardivement à plus de soixante ans et aujourd’hui, le couple ne se parle plus, chacun vit sa vie de son côté sous le même toit ; chambre séparée bien entendu, mais cuisine à part aussi. Au mieux ils communiquent avec parcimonie en s’échangeant de petits billets agressifs. La cause de ce divorce, Marguerite aurait empoisonné le chat d’Emile, lequel en représailles a blessé mortellement le perroquet de Marguerite, « le jeu venait de commencer »…

Quand débute le roman, le lecteur n’est pas sensé savoir pourquoi les deux acteurs ne se parlent pas, ce n’est que petit à petit par des retours en arrière qu’on découvre les vies passées d’Emile et Marguerite. Lui est un ancien maçon devenu chef de chantier avant de prendre sa retraite, elle, a connu une vie aisée et une assez belle vie, d’ailleurs elle est propriétaire de plusieurs immeubles dans cette impasse du XIVe arrondissement de Paris. Leur monde s’écroulait lentement, le quartier est en pleine démolition avant une reconstruction moderne, la vieillesse les gagnait petit à petit ; un concours de circonstance les a rapprochés et de fil en aiguille ils se sont retrouvés unis, lui, emménageant chez elle, dans cette petite maison du bout de l’impasse.

Immédiatement tout a cloché, leurs caractères sont trop différents, leurs origines sociales trop opposées. Elle, est du genre coincée et pincée, lui, est un gars simple mais vivant, il aime boire des coups et en tirer, pas elle. Comble de malchance, il est arrivé avec son chat, un animal qu’elle exècre et dont elle a peur. 

Quasi huis-clos, le climat du roman est oppressant. Simenon écrit sans fioritures, très simplement avec de très courtes phrases. La description maniaque de leur vie étriquée est effrayante et le regard cruel car trop véridique sur la vieillesse est terrible (surtout pour un lecteur de mon âge…).

A y regarder de plus près, cette détestation qui devrait les éloigner de plus en plus, semble au contraire les unir ; la force qu’ils placent dans cet affrontement muet est le dernier combat de leur vie, ressort qui les maintient vivants.

Georges Simenon s’attache surtout au personnage d’Emile, c’est lui que nous suivrons tout du long et force est de dire qu’il est le plus sympathique. Il serait prêt à pardonner mais l’intransigeance sévère de Marguerite lui cloue toute velléité en ce sens. La fin du roman est absolument magnifique, il n’y a pas de réconciliation bien sûr, mais un accord tacite, une sorte de pacte à la mort consacrant leur indéfectible lien, Emile accepte librement son sort, Marguerite reconnait implicitement son attachement par une victoire à la Pyrrhus.

Sublime.

 

 

« « Attends un peu… Je vais te dégoûter de ton dîner… » Il sortait le calepin de sa poche, écrivait trois mots, détachait la bande de papier qu’il lançait avec adresse dans l’assiette de sa femme. Sans s’étonner, elle dépliait le billet. ATTENTION AU BEURRE C’était plus fort qu’elle : elle se raidissait. Elle n’avait jamais pu s’habituer complètement à cette plaisanterie-là. Elle savait que le beurre n’était pas empoisonné, puisqu’elle le gardait sous clef dans son buffet à elle, quitte à ce qu’il devienne mou, parfois coulant. Elle n’hésitait pas moins à en manger à nouveau et n’y parvenait qu’au prix d’un effort. Elle se vengerait plus tard. »

 

 

georges simenonGeorges Simenon : Le ChatGeorges Simenon  Le Chat   La Pléiade  Romans Tome 2 – 124 pages –