24/08/2020
Joseph O’Connor : Muse
Joseph O'Connor, né en 1963 à Dublin, est un écrivain irlandais et par ailleurs, frère aîné de la chanteuse Sinead O'Connor. Après des études à Dublin puis à Oxford, pendant 10 ans il est journaliste pour The Esquire et l’Irish Tribune. Joseph O’Connor commence à écrire à plein temps en 1989. Muse est un roman datant de 2011.
Londres, 1952. Molly Allgood (1886-1952), soixante-cinq ans vit dans la misère, pourtant cette femme a connu l’amour et la gloire. Comédienne acclamée à Broadway aux Etats-Unis elle fut aussi la maîtresse de John Millington Synge (1871-1909) dramaturge, prosateur et poète irlandais, l'un des principaux artisans du Celtic Revival, mouvement littéraire formé pour redonner vie à la culture irlandaise et l'un des fondateurs du théâtre de l'Abbaye, à Dublin. Elle se souvient de sa jeunesse et des évènements qui marquèrent sa vie…
Muse est un roman, une œuvre de fiction donc, mais les acteurs principaux sont bien réels ; Molly Allgood actrice sous le nom de Miss O’Neill et John Synge, furent amants en dépit de leur différence d’âge et de leurs origines sociales, dans une Irlande cramponnée sur ses valeurs et partagée entre catholiques et protestants.
Le roman est magnifique mais il est aussi relativement complexe à lire, il faut le savoir.
Je ne vais pas entrer dans les détails car il faudrait résumer une vie entière, de plus fort pleine. Elle, était jeune comédienne (19 ans) et d’origine modeste, lui (37 ans) était en passe de devenir un célèbre dramaturge. Ils vécurent un amour pur mais en jonglant avec les interdits de l’époque et des circonstances : Molly jouait dans la pièce qu’il montait, leurs rendez-vous devaient être calculés et d’une prudence folle mais la rumeur met toujours son grain de sel dans ce genre d’affaire. Les parents des deux parties étaient défavorables à ce rapprochement hors conventions sociales. Ils songèrent à refaire leur vie en Amérique, ils eurent des hauts et des bas, des brouilles et des réconciliations et puis la mort frappa trop tôt le poète.
J’en viens à la complexité de lecture. L’écriture est très début du vingtième siècle, en accord avec les faits et pour mieux sublimer la beauté de cet amour mais où cela ce complique pour le lecteur, c’est qu’à la veille de sa mort, Molly est une femme usée par l’alcool et l’âge ; la narratrice se tutoie, créant un soliloque de petite vieille parlant toute seule, ses propos noyés dans des vapeurs éthyliques ne respectent pas la chronologie, ellipses et raccourcis imposent une lecture très concentrée. Pour un lecteur chevronné ce ne sera pas un obstacle mais pour d’autres…. ?
Le livre conte une vie par le biais de souvenirs jetés en désordre, mais le présent de Molly en cette année 1952, ne dure que quelques jours, entre fin octobre et début novembre. Elle vit alors à Londres, ville qui ressent encore les dommages de la guerre, dans un taudis, à peine nourrie, toujours en quête d’un petit coup à boire, voire un rôle à décrocher pour la BBC.
Il y a des scènes mémorables dans des genres divers : celle où le patron d’un pub lui fait la charité en sauvant les apparences est très touchante, de l’amusant comme cet accrochage entre Molly et Synge lors d’une répétition théâtrale au sujet du ton d’une réplique, ou cette autre encore plus jubilatoire entre elle et un vieil acteur, une scène de fesses (hé oui !) très drôle mais dite dans les termes les plus choisis bien évidemment. Mais peut-être que la plus belle est à la fin, ce passage de témoin entre la vieille actrice au bout du rouleau et une jeune admiratrice, dans les studios de la radio : poignant et sublime.
Amour, gloire et déchéance, dans le monde du théâtre à Dublin, pour une femme qui ne manquait ni d’audace ni de sensualité, une pionnière pour son époque.
« - Je suis une artiste formée par les Fay au théâtre de l’Abbaye à Dublin, le plus grand théâtre national du monde, monsieur. Le premier du genre qui ait jamais existé. Il fut créé avant même que ma patrie prenne sa place parmi les nations, création qui a permis à celle-ci d’éclairer son chemin vers la liberté dont elle jouit aujourd’hui. J’ai connu John Synge. J’ai connu Augusta Gregory. William Yeats a fait mon éloge lorsqu’on lui a remis le prix Nobel. Dois-je jouer les souillons ? Me contenter d’une petite apparition ? J’ai rempli cette salle plus souvent que vous n’avez rempli votre gueule répugnante. Et je me laisserais à présent insulter de la sorte ? – Tu es ivre, Molly. Rentre chez toi. Il ne faut pas que les gens se souviennent de toi ainsi. »
Joseph O’Connor Muse Phébus – 272 pages
Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau
07:00 Publié dans Etrangers | Tags : joseph o’connor | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |