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11/05/2020

T.C. Boyle : Voir la lumière

t.c. boyleT.C. Boyle (Tom Coraghessan Boyle) est un écrivain et romancier américain né en 1948 à Peekskill dans l’Etat de New York. Depuis 1978, il anime des ateliers d’écriture à l’Université de Californie du Sud et vit près de Santa Barbara, dans une maison dessinée par l’architecte Frank Lloyd Wright. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles ainsi que de nombreux romans. Voir la lumière, vient de paraître.

Roman, certes, mais largement basé sur des faits strictement réels inspirés des expériences de Timothy Leary, « le pape du LSD ». Un personnage incontournable de la contre-culture des années 60’. Rappel (avec l’aide de Wikipédia) pour les jeunes lecteurs : Timothy Francis Leary (1920-1996) est un écrivain américain, psychologue et militant pour l'utilisation scientifique des psychédéliques. Il est le plus célèbre partisan des bienfaits thérapeutiques et spirituels du LSD. A Harvard en 1960, Leary s'associe avec Richard Alpert et entreprend avec ses étudiants des recherches sur les effets de la psilocybine, puis sur le LSD, un psychotrope fourni alors par les laboratoires Sandoz. Il affirme que le LSD, correctement dosé, sous surveillance d'un professionnel, peut changer radicalement le comportement et ses recherches ont pour but de trouver, grâce à l’expansion de conscience, de meilleurs traitements pour l'alcoolisme, de réhabiliter les criminels et de dynamiser la libido. Plusieurs participants à ses recherches disent avoir vécu des expériences mystiques et spirituelles profondes, qui, prétendent-ils, ont changé leur vie d'une façon très positive.

Tous ces éléments sont dans le livre et servent de décor aux « aventures » que vont vivre Fitz, sa femme Joanie et leur fils Coney. Fitz, prépare sa thèse sous la houlette de Leary (Tim) tout en bossant comme psychologue scolaire tandis que sa femme occupe un petit emploi à la bibliothèque de Harvard pour payer les factures. Bien vite il se trouve intégré dans un groupe restreint – le premier cercle – de volontaires pour participer aux expériences de Tim sur la psilocybine. De Boston la petite tribu émigrera au Mexique avec femmes et enfants pour pousser plus loin encore l’expérience avec du LSD. Expulsés du pays pour atteintes aux bonnes mœurs, ils se retrouvent tous dans un manoir sur une propriété à deux heures de route de New York. La situation va alors prendre une ampleur dépassant leurs prévisions, les amis qui débarquent pour des fêtes géantes, la police et la presse qui leur collent aux basques… telles sont les grandes lignes factuelles de la trame de l’intrigue.

Mais le plus intéressant réside dans l’évolution psychologique du couple Fitz/Joanie où, finalement, l’épouse est le personnage le plus attachant. Au départ l’expérience était sensée élargir la conscience des participants, leur montrer que la vie peut être autre chose que ce que notre perception du monde nous en montre, que notre moi intérieur libéré du carcan de la pression sociale et culturelle pourrait - si toute les conditions étaient réunies, grâce au LSD - nous permettre d’atteindre la vision ultime, voir la Lumière. Expérience mystique absolue. Arriver à ce but passe par différentes étapes comme la libération sexuelle ce que le groupe va tester, se défaire des idées conventionnelles, aller les uns avec les autres selon ses désirs.

Nous sommes dans les années 60, ne l’oublions pas, et pour Joanie l’expérience lui fait comprendre qu’elle menait jusqu’alors une vie étriquée, petit job, travaux de la femme au foyer, éducation des enfants… cette « nouvelle vie ravalait la précédente au rang de vieux tapis élimé. » Oui, Joanie participe aux expérimentations mais elle gardera toujours les pieds sur terre contrairement à Fitz qui s’abandonne et se perdra dans ce trip quand la jalousie va venir lui faire perdre la raison : amoureux obsessionnel d’une jeunette qui n’en fait pas grand cas, plus rien n’aura plus d’importance que cette gosse, ni femme, ni fils.

L’écrivain ne juge personne, ne tire pas de moralité de cette histoire, l’expérience du LSD est-elle positive ou négative ? Il laisse le lecteur en décider au vu des faits. L’amour libre devait nous libérer de la jalousie, pour Fitz c’est tout le contraire. Cette drogue devait ouvrir des niveaux de conscience, pour Joanie c’est vrai, elle a pris conscience de sa vie étriquée, d’avoir dû abandonner ses études quand elle est tombée enceinte et l’on peut supposer qu’elle va y remédier dans le futur.

Alors, bon roman oui, mais néanmoins un peu décevant pour T.C. Boyle. Outre son talent pour raconter des histoires, il prend le parti ici de ne pas forcer le trait sur les visions hallucinatoires sous l’emprise des drogues, c’est très discret et sans exagérations comme on a pu le lire ailleurs. Boyle connait son sujet c’est certain (ex-toxico dans sa jeunesse) et n’a pas besoin d’en rajouter ; de même, si libération sexuelle il y a, les lecteurs un peu prudes ne seront pas heurtés. Mais à ces bons points, à contrario et c’est tout le paradoxe de ce roman, alors qu’on pouvait s’attendre à des extravagances brillantes et déjantées au vu du sujet, l’écrivain reste finalement très sobre, oserai-je dire un peu terne et éteint ? On attendait une explosion de couleurs, on se retrouve avec un pastel. La supposée folies des années 60 n’était-elle qu’une transposition modernisée du vieux monde d’avant ?

 

« Nous sommes des explorateurs, comprends-tu ? Nous allons là où personne n’est jamais allé. – Sauf Jeanne la Folle. Et les Grecs à Eleusis. Tim s’arrêta si soudainement qu’il faillit percuter un cycliste qui avait fait une embardée pour les dépasser sur leur gauche. Correct, dit-il, lui adressant un regard à la fois admiratif et fraternel, comme s’il revoyait à la hausse son opinion de lui. Mais ils n’avaient pas Albert Hofmann et les laboratoires Sandoz pour les approvisionner. C’est un monde nouveau, Fitz, et crois-moi, nous allons entièrement le cartographier, jusque dans ses moindres détails, jusque dans ses crevasses les plus abyssales. Et s’il se révèle que Dieu, c’est ça, eh bien, qu’à cela ne tienne. »

 

t.c. boyleT.C. Boyle   Voir la lumière   Grasset – 493 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle 

 

 

 

 

 

« Joanie reconnut le premier album – Someday My Prince Will Come – de Miles Davis: Fitz avait passé si souvent leur propre 33 tours que, dans les passages les plus calmes, on aurait dit qu’il y avait en fond un bombardement aérien. »

07:00 Publié dans Etrangers | Tags : t.c. boyle | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |