01/10/2013
Bruce Holbert : Animaux solitaires
L’écrivain américain Bruce Holbert est né en 1959 dans l'État de Washington. Son arrière-grand-père, éclaireur indien de l’armée des États-Unis, était un homme respecté jusqu'à ce qu’il assassine son gendre le grand-père de l’écrivain qui s'est inspiré de cette tragédie pour son premier roman, Animaux solitaires paru récemment. Bruce Holbert est diplômé de l'Université de l’Iowa où il enseigne aujourd'hui. Plusieurs de ses nouvelles ont été publiées dans des revues littéraires.
« Comté de l'Okanogan, État de Washington, 1932. Russel Strawl, ancien officier de police, reprend du service pour participer à la traque d’un tueur laissant dans son sillage des cadavres d'Indiens minutieusement mutilés. Ses recherches l'entraînent au cœur des plus sauvages vallées de l'Ouest, là où les hommes qui n'ont pas de sang sur les mains sont rares et où le progrès n'a pas encore eu raison de la barbarie. De vieilles connaissances croisent sa route, sinistres échos d'une vie qu'il avait laissée derrière lui, tandis que se révèlent petit à petit les noirs mystères qui entourent le passé du policier et de sa famille. »
A quoi reconnait-on un bon roman, au moins à deux critères essentiels, une bonne histoire et une écriture. Ces deux points sont en quantité plus que suffisante dans ce premier roman de Bruce Holbert pour en faire un livre incontournable.
L’histoire nous entraine dans une région sauvage, derrière Strawl et son cheval Stick. Un vieil homme ayant beaucoup vécu, sur les traces d’un assassin commettant des crimes particulièrement atroces dont l’écrivain ne nous épargne aucuns détails. Si Strawl est le héros du roman, il faut prendre le terme dans le sens de personnage principal sans plus, car l’homme n’est pas un tendre, il est même particulièrement violent et ce n’est pas son âge qui l’a calmé, il n’est ni sympathique ni fréquentable, « il était de ceux dont on évite la compagnie ». La région est sauvage et n’y survivent que les plus forts. Ici la loi est une notion relative, la justice un terme au sens ambigu, « la plupart des actes qu’un homme pouvait perpétrer avaient été punis par la loi à une certaine époque et parfaitement légaux à d’autres », le Bien et le Mal des conceptions fluctuantes. Elijah fils adoptif de Strawl et autre figure importante du roman, peut citer la Bible à tout bout de champ, la présence d’un dieu bienfaisant dans le secteur relève de l’hypothèse intellectuelle tout au plus.
Son scénario très fort, à l’intensité dévastatrice, Bruce Holbert le tisse méticuleusement grâce à une écriture très dense et une maîtrise absolue de la narration. L’écrivain ne mégote pas sur les détails, faune, flore, vie du quotidien des habitants de ces rudes régions comme nous y ont habitué les auteurs de Nature Writing, mais il y ajoute la puissance de son style. Le lecteur tétanisé dans son fauteuil, se gorge de ce récit le portant inéluctablement par delà le Bien et le Mal, heureux d’être enfin brutalisé par un auteur écrivant avec du sang et des tripes, mais anéanti devant tant de noirceur. Un polar dans un décor de western sur lequel plane l’ombre de Nietzsche…
« Strawl posa le fusil de Pete contre le mur, puis il examina de nouveau le travail d’artiste de son assassin. Des mouches voletaient au-dessus du sang et des os à nu. Encore une fois, il n’y avait nulle sauvagerie, rien d’autre qu’un soin méticuleux, et quand il souleva les têtes il vit les mêmes blessures à la tempe. Il entendit pépier un oisillon. Strawl pensa que c’était peut-être un pluvier qui tentait de les attirer loin de son nid, mais il ne repéra aucun nid visible, et sans nid visible, pas de pluvier. Le bruit se fit plus présent. Les mâchoires des cadavres étaient fermées par du fil de fer. Strawl en libéra une et un moineau s’agita entre les dents du premier frère Cloud. Il déploya ses ailes et s’envola. Dans la bouche de l’autre se trouvait un petit sansonnet. Il s’assit sur la langue du mort, lança son premier cri, et déféqua. »
Bruce Holbert Animaux solitaires Gallmeister
Traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias
14:40 Publié dans POLARS | Tags : bruce holbert | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |