06/06/2019
Taylor Brown : La Poudre et la cendre
Taylor Brown est né en 1982 en Géorgie, dans le sud des Etats-Unis, puis il a vécu à Buenos Aires et San Francisco avant de s’installer en Caroline du Nord. Il y a quelques semaines à peine son nouveau roman Les Dieux de Howl Mountain m’avait subjugué, trop impatient d’attendre le prochain qui ne paraîtra que dans deux ans m’a dit son éditeur, je me suis rabattu sur La Poudre et la cendre, le précédent, datant de 2017. Et là encore, satisfaction totale.
1864, la Guerre de Sécession fait rage, Sherman le général de l'Union prend Atlanta en Géorgie et commence sa marche vers la mer, dévastant une large bande de l’Etat. Dans ce contexte historique, une bande de dissidents sudistes menée par le Colonel se repait d’embuscades, de pillages et de tortures. Le jeune Callum, quinze ans et orphelin, en fait partie par hasard mais lors d’un raid, il sauve Ava, dix-sept ans, d’un viol collectif puis le Colonel est abattu par les Nordistes. Convaincue que c’est Callum qui a tué le Colonel, le reste de sa bande engage Clayburn, un redoutable chasseur de primes pour retrouver le gamin. Une course à la vie à la mort s’engage…
Callum et Ava (enceinte du Colonel) sur leur unique cheval vont en baver tant et plus, poursuivis par d’impitoyables chasseurs d’hommes, dans une région ravagée par la guerre et les troupes de Sherman qui « n’essayait pas simplement de briser la volonté des gens, ainsi qu’Ava le pensait. Ce qu’il attaquait, c’était la capacité du Sud à se suffire à lui-même, à transformer le coton en armes, en canons, en obus, en pain dur et havresacs pour ses soldats. » Pour les deux fuyards, un seul espoir vague et lointain, rejoindre le bord de mer et le village où vit un cousin de Callum et y trouver, peut-être, une certaine paix.
La faim, le froid, la peur et l’angoisse, les blessures, rien ne leur sera épargné, et pour une rencontre amicale (comme Lachlan, le vieil aveugle dans la montagne), combien d’ennemis potentiels viendront barrer leur chemin ? Je vous laisse découvrir cette odyssée, pleine de fureur mais aussi non exempte d’amour, celui qui va naître entre nos deux héros, qui tient en haleine le lecteur du début jusqu’à la fin.
Je retrouve dans ce premier roman, ce qui caractérisait le second, une écriture remarquable, très précise dans ses descriptions, faite de retours en arrière et d’ellipses déstabilisantes, ou encore ce point de détail commun aux deux livres, les chiens dressés pour retrouver des hommes en fuite. Vous ne resterez pas insensibles aux malheurs de Callum et Ava, tout jeunes encore mais devant affronter les forces du mal ; dans ce type de combat mortel, impossible de rester innocent, le sang coule dans les deux camps, les morts jonchent les routes, soldats, civils, animaux, se retrouvent logés à la même triste enseigne et le pire, pour le lecteur, c’est de s’apercevoir que parfois, la mort d’un animal l’émeut plus que celle d’un homme…
Après deux ouvrages lus de Taylor Brown, le doute n’est plus permis, c’est un grand écrivain. Pour moi – dans un genre différent certes – je ressens la même impression que lors de ma découverte de Ron Rash avec son premier roman : immédiatement on sait qu’on tient une pépite. Alors, ne tergiversez pas et hâtez-vous d’aller jeter un œil sur cet écrivain.
« Il continua à passer ses nuits sans feu, terrorisé à l’idée des rêves qui l’assailliraient. Terrorisé à l’idée de fermer les yeux. Le monde l’avait épuisé, son ciel était désormais tatoué de mort. Une spirale sans fin. Jonchée de cadavres. Pendant la journée, le soleil froid lui fendait le cuir, mordu par la fumée. Au soleil couchant, il ne rêvait plus que de lumière. Jamais elle ne quittait ses pensées. Quand les cauchemars se déchaînaient, déployant leur cortège d’hommes sans visage, elle demeurait la seule bonne chose qui soit. Il le savait. Il était avec elle. Il ressentait encore sa présence sur le cheval, dans les couches qu’ils avaient partagées, enveloppés sous la couverture de bison tout au long de ces nuits froides, à même le sol, leurs membres entrelacés pour se réchauffer. Qu’elle le gifle ou l’embrasse, qu’elle l’enlace ou qu’il la prenne dans ses bras. Elle était comme arrachée à lui, une déchirure bien plus douloureuse que le tranchant d’un sabre ou d’un couteau. »
Taylor Brown La Poudre et la cendre Editions Autrement – 378 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mathilde Bach
P.S. : Il n’y a pas longtemps, je m’interrogeais sur le pourquoi des longs remerciements en fin d’ouvrage. Je viens d’en découvrir une utilité avec ce roman : ils servent à laisser au lecteur, le temps de dissiper la buée noyant ses yeux quand arrive le mot « fin ».
07:39 Publié dans Etrangers | Tags : taylor brown, ron rash | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |