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18/09/2025

Jean-Baptiste Del Amo : Une Education libertine

Jean-Baptiste Del Amo, Jean-Baptiste Garcia, né à Toulouse en 1981, a pris un pseudonyme lorsqu’en 2008 alors qu’il s’apprête à publier son premier roman, son éditeur, Gallimard, publie aussi le premier roman d’un autre auteur toulousain, Tristan Garcia, partageant donc le même nom de famille. Jean-Baptiste Garcia prend alors le nom de plume de Del Amo, le nom de sa grand-mère paternelle. Une Education libertine, paru en 2008, a obtenu l'année suivante le prix Goncourt du premier roman.  

Paris en 1760, sous le règne de Louis XV. Gaspard, un jeune Breton de Quimper sans le sou, a quitté sa porcherie familiale et fui vers Paris. Sans argent ni abri, il trouve un boulot sur la Seine grâce à Lucas, rencontré par hasard qui le prend en charge et avec lequel il aura sa première expérience sexuelle. Il connaitra ensuite la prostitution avant d’être engagé par un perruquier comme apprenti, ce qui lui offre la possibilité de fréquenter des gens d’une condition supérieure et d’être remarqué par le comte Etienne de V. L’homme est un libertin à la réputation sulfureuse et Gaspard tombe sous son charme diabolique. Dès lors va commencer pour le jeune Breton une ascension sociale monnayée avec son corps…  

Un très bon roman d’une horrible beauté ! Je ne sais pas si l’auteur l’a voulu ainsi mais son livre a des airs de pastiche des romans de Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses) ou Sade (quand il est encore sage). Car c’est bien l’écriture qui marque en premier le lecteur, un style à l’ancienne, comme celui des auteurs cités ci-avant. Et ce texte, d’une puissance évocatrice extraordinaire !

Nous sommes à Paris, le Paris des gueux, nous suivons Gaspard dans ses ruelles fétides, ignobles, où l’on jette des fenêtres ses seaux de pisse et de merde, où des gamines s’offre contre un quignon de pain, où les poivrots se battent pour un fond de bouteille, où des prostituées de tous âges d’une saleté répugnante se rient de l’homme sans le sou. Il fait chaud, la sueur, la crasse, les odeurs repoussantes, ces remugles écœurants, tels sont les décors où Gaspard tente de survivre. « En certains lieux, on croyait pénétrer le vagin vérolé de Paris, impunément ouvert sur ses tripes, en inspirer le relent viscéral. » Le lecteur avance dans ce dépotoir, une pince à linge sur le nez.

Etienne de V. va l’initier à certains aspects de la ville, libertin pervers, l’homme fréquente toutes les couches sociales de la société, observateur des mœurs de son époque dont il tire sa philosophie : une visite de la morgue (« La mort est grossière et c’est dans cet excès qu’elle trouve sa beauté indicible, parce qu’elle révèle l’homme, laisse enfin parler ce qu’il a passé une existence à renier ou à cacher : un corps avant tout. »), les tavernes puantes, une pendaison, puis ses premiers salons. Ces cours initiatiques s’achèveront par une baise torride dans le galetas immonde où vit Gaspard et le pervers de disparaître laissant le jeune homme désemparé.

Gaspard s’est néanmoins fait quelques relations dans les salons parisiens et de bras en bras masculins, de comtes en barons usés par le temps, il monte, il monte, sans pitié pour ceux ou celles qu’il laisse derrière lui. Jusqu’à ce qu’il tombe par hasard sur son Etienne, heureux de constater que son élève a atteint son but, « Te voici affranchi de toute morale, libertin. »

Par moments le roman est un peu long, c’est certain, par ailleurs, les tourments psychologiques homosexuels ont tendance à me souler, Gaspard est animé d’une colère perpétuelle contre lui-même et se livre à des actes de scarification, il n’empêche que c’est un très bon roman, qui passe des miasmes putrides du bas peuple pour tomber dans les combines et ruses tout aussi puantes de la noblesse, ne cherchant qu’à tirer des profits sexuels ou d’intérêt social. Paris et la Seine en particulier, sont des « personnages » au rôle prépondérant dans ce roman où le libertinage sert d’ascenseur social mais attention, plus on monte, plus la chute peut être brutale.

 

« Il se vit avec détachement dans l’une des loges de l’Opéra-Comique, sans que rien dans son habit ne pût le différencier des autres spectateurs. Aux balcons attenants, il avait surpris sans y prêter attention le regard de femmes et d’hommes, quelques sourires aimables sous lesquels fleurait le désir de dissiper le mystère dont sa présence l’auréolait, un assentiment instinctif, né de l’image de garçon de bonne famille qu’il offrait dans son costume, puis la compagnie d’Etienne de V. suscitant déjà, sans qu’il le sache, commentaires et suppositions. Gaspard se sentait à la limite d’un bouleversement existentiel, à l’orée d’une ascension désormais tangible. »   

 

 

Jean-Baptiste Del Amo, Jean-Baptiste Del Amo   Une Education libertine   Gallimard  - 434 pages -