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08/12/2025

Carys Davies : Eclaircie

Carys Davies, Carys Davies a grandi au Pays de Galles puis dans les Midlands avant de partir aux Etats-Unis où elle a travaillé pendant douze ans. Elle est l’auteure de trois romans dont celui-ci, Eclaircie, qui vient de paraître a été élu meilleur livre 2024 par de nombreux journaux et sélectionné pour de nombreux prix. Ses nouvelles, récompensées elles aussi de nombreux prix, ont été diffusées sur BBC Radio 4 et publiées dans plusieurs magazines littéraires renommés. Elle vit aujourd’hui à Edimbourg.

Ecosse en 1843, année du schisme au sein de l’Eglise presbytérienne d’Ecosse où de nombreux pasteurs font sécession pour fonder la nouvelle Eglise libre d’Ecosse. John Ferguson est de ceux-là, mais sa situation financière devenue précaire, il est contraint de chercher des revenus et accepte à contre-cœur le job que lui propose Henry Lowrie, un propriétaire terrien, aller sur une île minuscule, entre Shetland et Norvège, pour en expulser Ivar, son unique paysan, pour convertir cette terre en pâturage pour les moutons, commerce plus rentable…

Il s’agit d’un roman mais les faits historiques sont réels, le schisme de l’Eglise et l’expropriation de masse (les Clearances, pour l’histoire sociale de l’Ecosse). Un très beau roman, tout de douceur narrative, d’émotions et d’humanité, malgré le brouhaha des vagues, du vent et des conditions de vie précaires sur l’île.

Ivar, un colosse, vit seul sur son bout de terre depuis une vingtaine d’années avec pour seuls compagnons, une vieille vache noire et sa jument. Je ne vous fais pas un dessin, la vie est rude et c’est un euphémisme. John débarque sur l’île à son insu mais chute d’une falaise, Ivar va découvrir le corps inanimé de l’homme et le recueillir pour le soigner dans sa modeste barraque. Il trouve aussi un portrait de la femme du pasteur qu’il s’empresse de dissimuler, subjugué par la douceur qui s’en dégage. John restera trois jours inconscient avant de reprendre connaissance, blessé aux côtes et boitillant.

Ivar ne parlant qu’un dialecte n’étant plus connu que de lui seul, la communication entre les deux hommes est plus que laborieuse et John se retrouve en mauvaise posture : à la merci de son sauveur il lui est désormais désagréable de devoir l’informer qu’il va être expulsé de cette terre, et même s’il voulait lui dire, ne parlant pas sa langue, c’est devenu impossible !

John n’a jamais eu l’envergure morale et physique pour sa mission et face à ce géant taiseux à qui il doit tout, il ne sait pas comment expliquer à Ivar sa présence. Leur cohabitation inattendue va créer une relation faite de silences, de gestes malhabiles et d’une communication qui dépasse les mots. Le roman explorant leur apprentissage mutuel et la manière dont ils parviendront à se comprendre, voire à s’attacher, dans un décor sauvage et isolé. L’amitié qui naît entre les deux hommes, malgré les barrières linguistiques et culturelles, est au cœur du récit. Enfin, la nature sauvage, microcosme isolé, apporte une touche de poésie non sans rudesse, à ce très beau roman.

Je résume les deux principaux thèmes du bouquin, Ivar incarne la dignité des gens ordinaires face à l’Histoire et au progrès, Carys Davies nous montre comment la communication peut s’établir au-delà des mots, par les gestes, les regards et, on le verra à la fin, par la musique et une séquence ambigüe.

 

« S’ajoutait à tout cela l’inquiétude croissante qu’il avait ressentie, allongé sur sa couchette fétide, de ne pas être capable, lorsqu’il trouverait son homme, de lui expliquer de la meilleure des manières ce qui allait se passer, de lui décrire les avantages de son futur lieu de vie ou de lui expliquer, au cas où il rechignerait à accepter la nouvelle avec calme, que le dessein de Dieu se cache derrière tout ce qui compose nos vies, même si nous ne le voyons pas au premier abord. Il craignait que les choses se passent mal, et d’en être réduit à menacer l’homme avec une arme dont il savait à peine se servir. »

 

Carys Davies, Carys Davies   Eclaircie   Editions La Table Ronde  - 186 pages - 

Traduction de l’anglais par David Fauquemberg