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18/03/2021

Christian Kiefer : Fantômes

christian kieferPoète et écrivain américain, Christian Kiefer dirige le département de Creative Writing à Ashland University, dans l’Ohio, et vit en Californie.  Son précédent livre, Les Animaux (2017), m’avait beaucoup plu alors j’avais hâte de lire Fantômes qui vient de paraître.

En 1945. Ray Takahashi, soldat américain d’origine japonaise rentre au pays, de retour de la guerre en Europe. Personne n’est là pour l’accueillir, ses parents expulsés de chez eux et enfermés au camp de Tule Lake, vivent désormais à Oakland. Ray va vouloir comprendre ce qui s’est passé, pourquoi personne de leurs anciens voisins ne veut lui parler et où est Helen, sa petite amie.

En 1969. John Frazier, le narrateur, est de retour du Vietnam ; traumatisé par cette guerre il espère trouver une échappatoire en écrivant un roman. Le hasard l’intègre dans l’histoire de Ray quand il s’aperçoit qu’un membre de sa famille l’a connu, mais alors d’épouvantables secrets vont s’échapper des mémoires…

S’il s’agit bien d’un roman, il est basé sur une histoire vraie et des faits historiques bien réels. Pour la partie historique, ce sont les conséquences du bombardement de Pearl Harbour en 1941, attaque surprise menée par les forces aéronavales japonaises contre la base navale américaine située dans le territoire américain d’Hawaï : Conséquence directe, 110 000 Japonais et citoyens américains d'origine japonaise furent rassemblés et surveillés dans des camps d'internement sur ordre de Roosevelt et une opération qui concerna l'ouest du pays où se concentraient les populations japonaises.

Sans trop entrer dans les détails : les parents de Ray étaient employés sur la ferme des Wilson qui avait plusieurs enfants dont Helen, secrète petite amie du jeune homme. Evelyn Wilson, la mère, s’avère être une tante de John Frazier, même s’il ne l’a jamais fréquentée. Aujourd’hui veuve, cette femme énergique au fort caractère demande à John de l’aider à retrouver la mère de Ray…

Cette enquête tragique se frayera un chemin chaotique entre des familles déchirées par cet ostracisme envers les populations d’origine japonaise, Evelyn ne voit plus sa fille Helen, la mère de Ray, veuve elle aussi, n’a plus jamais eu de nouvelles de son fils parti à la guerre et en veut à Evelyn. Petit à petit Evelyn va lâcher le morceau et c’est assez épouvantable, en une sorte de rédemption qui lui coûte ; la mère de Ray va apprendre des choses sur son fils peut-être plus difficiles à accepter que l’ignorance ; et John, qui lui-même se débat avec ses démons intérieurs, témoin/enquêteur contre son gré, sera le seul à finalement savoir ce qui est réellement advenu de Ray. 

Un roman sur la peur. Cette peur des Japonais après le traumatisme de Pearl Harbour mais qu’on peut reconduire dans d’autres situations approchantes. Un roman sur le poids de la culpabilité aussi.

Je retiens surtout de ce livre que Christian Kiefer écrit vraiment très bien, ce que son précédent roman laissait déjà penser. Le texte est dense et surtout – marque évidente de ce que nous appellerons son style car déjà déployé dans son précédent ouvrage –, il manie la chronologie avec une habilité remarquable. Là, où la facilité ferait alterner les chapitres avec les époques (Période post-Harbour, guerre du Vietnam, temps présent), Christian Kiefer mêle les unes avec les autres, nous obligeant à rester attentifs, ce qui donne aussi plus de poids ou d’envergure à son récit.   

 

« L’histoire m’a été dévoilée des années plus tard, peu après les obsèques de Mrs Takahashi, alors que je confiais à ses filles adultes, Doris et Mary, tout ce que j’avais découvert sur leur famille et sur la mienne : elles me rapportèrent à cette occasion la rencontre initiale – dont j’ignorais encore les circonstances -, à l’ombre des pêchers malades d’Homer Wilson, décrivant aussi les années qui l’avaient précédée, en remontant dans le passé jusqu’à la période japonaise. Cette première rencontre ne leur fut révélée que tardivement, car si l’on évoquait les années à Newcastle chez les Takahashi, on n’y prononçait jamais le nom des Wilson, pas après Tule Lake, Jerome, Oakland et San José. C’était une affaire du passé et une trahison, qu’il fallait effacer des mémoires. »

 

christian kieferChristian Kiefer  Fantômes  Albin Michel – 275 pages –

Traduit de l’américain par Marina Boraso