20/08/2014
Ferenc Karinthy : Epépé
Ferenc Karinthy, linguiste de formation, est un écrivain hongrois (1921-1992). Il est le fils du célèbre écrivain et journaliste Frigyes Karinthy (1887-1938). Son roman, Epépé, est paru en 1970.
Budaï, un linguiste professionnel maitrisant ou ayant connaissance de plusieurs dizaines de langues, se rend à Helsinki pour participer à un congrès. Un malheureux concours de circonstances inexpliquées voit son avion atterrir dans une ville d’un pays qui n’est pas la Finlande, mais pire encore, complètement inconnu ! Et malgré sa connaissance poussée des langues, il lui est absolument impossible de communiquer avec qui que ce soit, donc d’en repartir. Où vais-je, où cours-je, dans quel état j’erre ?
Ca c’est du roman et d’un genre pas banal ou je ne m’y connais pas ! Je me suis exaspéré durant la moitié du bouquin et je me suis interrogé tout du long et même après l’avoir refermé. Un roman déroutant donc intéressant.
Exaspération, oui et pas qu’un peu, parce que rien n’est crédible dans ce roman et que je n’imagine pas un seul pays du globe où, certes avec des difficultés, on ne finisse par trouver un mince moyen de communiquer, surtout quand on est un spécialiste des langues écrites et parlées comme notre héros. Cette globalité de situations sans aucun moyen de se faire comprendre dans laquelle Budaï est englué m’a franchement énervé car poussée à l’extrême. Par contre, si on démonte l’ensemble et qu’on ne retient que quelques cas, le globe-trotter se retrouvera en terrain connu et se rappellera des moments vécus approchant. Autre invraisemblance, les foules improbables qui se pressent partout et tout le temps, que ce soit dans l’hôtel où est logé Budaï, ou bien dans les commerces et même au cimetière ! Voilà ce qui pourrait rebuter un éventuel futur lecteur mais il faut savoir persévérer.
Interrogation, bien sûr, car la vraie question qu’on se pose, c’est de quoi nous parle ce roman ? Et là, franchement, je ne sais pas vraiment. Contrairement à ce qu’en dit dans sa préface Emmanuel Carrère, j’y vois et comment pourrait-il en être autrement, du Kafka, avec atmosphère sinistre et surtout impersonnelle, particulièrement Le Château avec cette même situation où un homme arrivant dans un village tente d’entrer en contact avec les autorités, en vain. Il y a aussi, un doigt d’expressionnisme allemand comme dans le film de Fritz Lang, Metropolis, et ces foules en noir et blanc. A moins que ce ne soit une parabole sur le(s) communisme(s), les foules qui font la queue partout et agissent en troupeau, quand un individu (Budaï) veut des explications il se heurte à l’indifférence ou l’autisme généralisé, et quand le héros se retrouve au milieu d’une révolution ( ?) n’est-ce pas le printemps de Prague ou l’insurrection de 1956 en Hongrie ? Et s’il y avait un chouya de politique nataliste chinoise aussi : « L’aurait-on condamné pour ce pêché-là, pour le crime social le plus grave : tentative volontaire de multiplication de la population ?» Et n’est-ce pas Fidel Castro dans cette silhouette esquissée « il porte un béret miteux, des godillots, un survêtement vert sale et un ceinturon par-dessus ; il tient sa main droite sur un étui de revolver. » Ou plus simplement, une parabole sur l’état du monde moderne (de 1970), le roman condensant en une sorte de kaléidoscope, toutes les images du monde qui font la matière de nos JT de 20h, mais qui serait vu par un Martien fraichement débarqué ?
Si on en revient au texte lui-même, l’auteur étant linguiste lui aussi, nous avons de très intéressants et instructifs passages savants où sont développés les raisonnements de Budaï pour tenter de comprendre par extrapolations, la langue des autochtones. Et le roman prend une tournure singulièrement familière hélas, autant qu’émouvante quand le héros sombre dans la déchéance après avoir épuisé son pécule et devient SDF, son regard sur la ville évoluant.
Un roman, vous l’avez compris, qui sort des chemins balisés, peut-être pas destiné à tous les lecteurs mais qui ne laisse pas indifférent. Une étonnante aventure littéraire où je vous conseille fortement de plonger.
« A proprement parler, n’importe quel habitant de la ville serait en mesure de lui enseigner sa langue, les mots, les règles au fur et à mesure, à condition de lui consacrer suffisamment de temps et de patience. Mais c’est précisément cela qui manque le plus chez les gens d’ici, un peu de courtoisie, de serviabilité, de disponibilité dans leur hâte immodérée et leur éternelle bousculade, quelqu’un qui l’écouterait demander ce dont il a besoin, qui une fois au moins daignerait témoigner de l’intérêt pour ses gesticulations de sourd-muet. Jamais personne n’a pris le temps pour cela depuis son arrivée, personne ne lui a permis de nouer une quelconque relation humaine. »
Ferenc Karinthy Epépé Zulma – 285 pages –
Traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy
07:50 Publié dans Etrangers | Tags : ferenc karinthy | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |