20/12/2021
Harry Crews : Par le trou de la serrure
Harry Crews (1935 - 2012) est un romancier américain. Orphelin de père dès l’âge de deux ans, confronté à un beau-père alcoolique et violent, son enfance est marquée par les conditions de vie difficiles dans le Sud rural et de graves problèmes de santé. A 17 ans il s’engage dans le corps des Marines, où il passera trois années durant lesquelles il combat en Corée et découvre la littérature. Il intègre ensuite l’université de Floride pour des études d’anglais, qu’il interrompt en 1956 pour une virée de 18 mois en moto à travers les Etats-Unis. Il exercera jusqu’en 1997 comme enseignant d’anglais dans plusieurs écoles et universités de Floride. On lui doit une vingtaine de romans.
Par le trou de la serrure, qui vient de paraître, est un recueil de vingt-sept articles parus initialement dans des magazines américains (Playboy, Esquire…) entre 1976 et 1983 mais dont certains sont carrément inédits même aux Etats-Unis. L’ouvrage avait été établi par Harry Crews peu de temps avant sa mort et laissé dans un tiroir jusqu’à ce jour.
Deux types d’articles, des reportages in situ et des textes plus personnels touchant à son enfance, mes préférés car le Harry Crews aux allures de gros dur sur ses photos, se livre sans fard et sait se faire émouvant.
Les reportages nous font partager l’intimité de « figures » typiquement américaines pas toutes fréquentables et assez effrayantes quand on y réfléchit bien : le jeune chef du Ku Klux Klan, un évangéliste dirigeant une université et un autre occupant le créneau médiatique, d’autres sont plus agréables et finalement plus qu’on ne pouvait le penser comme Madonna et l’on suit aussi Sean Penn, son époux à cette époque. Des anonymes ne manquant pas de gueule complètent cette galerie de portraits.
Pour les souvenirs personnels, retenons principalement le vibrant hommage rendu à sa mère qui « n’a pas simplement été une maman pour moi, elle a aussi été le papa que j’avais perdu », ou ce magnifique chapitre où il se souvient que gamin assis par terre, il écoutait les histoires que les adultes se racontaient au coin du feu le soir. Une enfance dans le Sud, cette Géorgie de fermiers pauvres, celle d’Erskine Caldwell, celle où le mulet était roi et Harry Crews de consacrer deux chapitres à cet incroyable animal, « je célèbre le mulet car il a fait le Sud ».
Outre tout cela, il y a bien sûr de l’alcool, de la violence et des femmes, comment pourrait-il en être autrement ?
Un bon bouquin, amusant, effrayant, émouvant, dont les thèmes principaux tournent autour de la littérature, ses maîtres et sa manière d’écrire, des personnages cocasses qui font ce pays et les valeurs morales qui font d’un gamin un homme, à commencer par le travail.
« Et partout il y avait des mules, dans les écuries, courant librement dans l’enclos ou bien guidées par leur licou dans l’air lumineux chargé d’odeurs de maïs ou de foin. Il n’y avait jamais de femmes à l’écurie. C’était le repère des pères, des frères et des oncles, un monde fondamentalement masculin et, précisément pour cette raison, un endroit presque insupportablement agréable pour un jeune gars qui, sans s’en rendre compte, apprenais les us et coutumes de la virilité. Ca plaisantait, ça rigolait, ça racontait des histoires, mais le fondement de tout cela était on ne peut plus sérieux, puisqu’il s’agissait du commerce des mulets. »
Harry Crews Par le trou de la serrure Finitude - 343 pages -
Traduit de l’américain par Nicolas Richard Postface de Joseph Incardona
PS : Curieux hasard qui voit la publication simultanée de deux livres, du même genre, par deux écrivains aux nombreux traits communs, La Recherche de l’authentique de Jim Harrison et ce bouquin de Harry Crews !
Deux compilation d’articles parus dans des magazines pour ce qui est des livres et deux écrivains américains totalement contemporains, Harrison (1937-2016) et Crews (1935-2012), ayant connus des déboires de même nature dans la vie, pour Jim : perte d’un œil, décès conjoints et dramatiques de sa sœur et son père dans un accident de voiture ; pour Harry : mort de son père quand il avait deux ans, paralysie inexpliquée de ses deux jambes durant six mois, chute dans un chaudron où l’on ébouillantait le cochon qui l’immobilisera encore de long mois nu sous une moustiquaire.
Deux visions de l’Amérique, l’une par un gars du Midwest (Big Jim) évoquant souvent la cause Indienne et l’autre par un Sudiste pur jus (Harry) celle des Noirs, deux gars simples mais cultivés, deux visions qui ne s’opposent pas mais se complètent pour dresser le portrait en patchwork de ces sacrés Etats-Unis…
07:00 Publié dans DOCUMENTS, RECITS | Tags : harry crews, erskine caldwell, jim harrison | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |