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30/12/2019

Matthew Neill Null : Allegheny River

Matthew Neill Null,  Né en 1984, Matthew Neill Null a étudié le « creative writing » à l’université de l’Iowa puis à celle de l’université de Provincetown dans le Massachusetts où actuellement où il coordonne un master d’écriture. Après un premier roman (Le Miel du lion) paru en 2018, arrive Allegheny River, un recueil de nouvelles, soit neuf textes, parus précédemment dans diverses revues et magazines américains.

Je découvre aujourd’hui Matthew Neill Null et j’avoue être estomaqué par le talent de cet écrivain. Que cette année 2020 commence bien !

Neuf nouvelles qui se déroulent au cœur des Appalaches, cette chaîne de montagnes située dans l'Est de l'Amérique du Nord et ici plus particulièrement en Virginie-Occidentale ou Pennsylvanie. Toutes se passent en pleine nature, dans des coins perdus et des décors de montagnes ou rivières. On va à la chasse à l’ours ou bien l’on tente d’en réguler la population, on étudie le déplacement des truites dans une rivière ; ou bien c’est un jeune gars qui s’initie au flottage du bois, à moins que ce ne soit un commis voyageur qui tente de vendre une charrue à des fermiers roublards…

Là, je vous devine faire une moue convenue du genre, il va nous refourguer du Nature Writting comme souvent. Ce n’est pas faux, en partie, sauf qu’ici nous sommes dans de l’exceptionnel, je dirais même de l’innovant car – certes, mon expérience de lecteur à ses limites – l’écriture de ce nouveau venu vous réservera de magnifiques surprises.

Je ne citerai que deux des nouvelles qui m’ont terrassé afin que vous puissiez tester en librairie, le bien-fondé de mon enthousiasme : La Saison de Gauley, où dans un bled perdu à bout de ressources (« Nous qui avions perdu nos emplois dans les mines allions désormais nous réorienter dans le sport en eau vive, labourer ce sillon liquide ») on se lance dans le rafting qui attire les touristes, mais un accident dramatique va entacher l’affaire. Une nouvelle d’une intensité dramatique à vous tirer les larmes, ma préférée peut-être. L’Île au milieu de la rivière est elle aussi très belle. Sur une île au milieu d’une rivière donc, un hospice de mourants contagieux. Une gamine et un gamin, chacun sur sa rive, amours enfantines mais l’innocence est traître, le message envoyée par-dessus les flots par la petite va contaminer la famille du gosse et implanter le drame. Là encore, nous touchons au sublime.

Toutes les histoires sont originales mais au-delà, elles s’inscrivent le plus souvent dans un contexte social (misère des petits fermiers, mines de charbon ayant fermé…) étayé par une écriture particulièrement riche en détails, d’une précision parfaite et au vocabulaire soigné (« … ses cheveux s’entortillaient en zostères autour de nos mains et de nos bras, auxquels ils s’agrippaient obstinément. ») L’écrivain sait marier le réalisme du reportage journalistique au lyrisme du récit, tout en maniant l’ellipse courte ou le raccourci qui déstabilisent légèrement le lecteur. Des nouvelles à la construction insolite qui chez d’autres s’appelleraient des rebondissements mais ici c’est beaucoup plus subtil. Du très grand art.

Je ne m’emballe pas souvent, alors croyez moi, ne ratez surtout pas ce bouquin. Si tous les écrivains écrivaient comme ce Null, la vie serait belle au pays des lecteurs.

 

« Son père piégeait des renards et abattait des rapaces du temps où l’on pouvait encore gagner de l’argent avec cette activité – en vendant les peaux ou en touchant les primes promises par l’Etat. Des familles entières participaient à ce commerce, entassant au bord des chemins infestés de mouches des piles de cadavres raidis : renards, faucons, aigles – des aigles ! -, hiboux, coyotes, ratons laveurs, ours et lynx. Les agents du gouvernement et les marchands de fourrures débarquaient toutes les deux semaines avec de grosses liasses de billets qui permettaient à beaucoup de s’acheter de quoi manger, même à l’époque de la Grande Dépression, puis ils repartaient à bord de chariots repus d’hémoglobine, aux planches parcheminées par le sang séché. (…) C’est grâce à cela, mais aussi aux maigres récoltes qu’ils tiraient de ce sol peu fertile et aux emplois offerts par le programme gouvernemental du Civilian Conservation Corps, qu’ils arrivaient à survivre. »

 

 

Matthew Neill Null,  Matthew Neill Null   Allegheny River   Albin Michel – 271 pages –  (A paraître le 2 janvier 2020)

Traduit de l’américain par Bruno Boudard