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08/08/2013

Milena Michiko Flasar : La Cravate

Milena Michiko Flasar Milena Michiko Flasar est née de mère japonaise et de père autrichien en 1980 à St Pölten et vit à Vienne où elle a étudié la littérature comparée ainsi que la philologie germanique et romane. Elle a publié un recueil de trois histoires courtes en 2008, ainsi qu’un court récit consacré à sa mère atteinte de sénilité en 2010 qui lui ont valu plusieurs prix et bourses. Son roman La Cravate vient tout juste d’être traduit.

Depuis deux ans Taguchi Hiro, vingt ans, vit reclus chez ses parents, refusant de sortir de sa chambre, de se mêler aux autres, y compris aux siens. Au Japon, c’est ce qu’on appelle un hikikomori. La seule sortie qu’il s’accorde, un banc dans un parc public, où il passe la journée. Un jour il remarque un homme qui s’assoit sur un banc proche du sien. Un employé de bureau qui en porte l’uniforme classique, un costume, une mallette, et surtout une belle cravate. Lui se nomme Ohara Tetsu, il a dépassé la cinquantaine, vient de perdre son emploi mais ne veut pas l’avouer à sa femme.

Chaque jour le manège se répète, Taguchi Hiro voit arriver Ohara Tetsu qui s’installe sur son banc dès le matin, y prend son déjeuner préparé par sa femme et s’en retourne chez lui le soir, à l’heure où les bureaux se vident. Lentement, ils vont faire connaissance. Lentement ils vont s’apprivoiser, lentement ils vont se raconter leur vie, en ce que des Occidentaux appelleraient des séances d’auto-analyse. Tous deux, chacun à sa manière, trainent derrière eux une souffrance non-dite qui les ruine intérieurement. Le jeune n’a jamais voulu aller nulle part, « Aussi loin que remonte ma mémoire, je n’ai jamais eu l’intention d’atteindre un objectif quelconque », le plus vieux est épuisé de son voyage dans la vie, « Il paraît qu’on ne vit qu’une fois, pourquoi agonise-t-on si souvent ? ».

Milena Michiko Flasar maîtrise parfaitement le style propre à la littérature japonaise. Le récit avance à petits pas timides, ni le jeune ni le vieux ne se livrent rapidement, les mots ne sont pas leur fort. Leurs récits se croisent et s’entremêlent. Par petits bouts le lecteur réussit à reconstruire leurs vies antérieures et commence à comprendre les raisons qui les ont amenés à la situation qui est la leur aujourd’hui. Le suicide d’une jeune camarade d’école, un ami poète disparu pour l’un, la mort d’un enfant dans les premiers mois de sa vie et l’amour d’une épouse pour l’autre. Les épreuves endurées par Taguchi Hiro entrent en résonnance avec celles d’Ohara Tetsu.

L’écrivain par l’adoption d’un style heurté, un mot ou deux pouvant faire une phrase, ou bien un verbe pouvant se retrouver sans sujet prononcé, réussit à la perfection à nous rendre crédible et vivant ce dialogue entre deux traumatisés qui s’étend pour ainsi dire sur les cent-soixante pages du romans. L’écriture reste néanmoins légère même si les thèmes abordés sont sombres : la difficulté de vivre et de communiquer, le poids de ce qu’on appelle « une vie normale » pour la société, le rôle que nous jouons dans cette société, le poids du regard des autres sur nous…

Que le lecteur effrayé se rassure, même si l’adition est lourde, le roman s’achève sur un happy-end optimiste car « cela vaut la peine d’être en vie » admet l’un des personnages. Un roman chaudement recommandable.

 

« Mes parents m’attendraient sans doute, ils guetteraient le bruit de mes pas dans le couloir (…) Comment expliquer la disparition d’un garçon qui a déjà disparu ? Comment décrire le fait qu’il nous manque, bien qu’il soit absent depuis longtemps ? Et pourtant, dès que le matin se levait, je ne souhaitais rien plus ardemment que ceci : que l’on me cherche et que l’on me trouve. Que l’on me prenne par les épaules, que l’on me gifle et que l’on me demande : Comment a-t-il été possible que nous soyons passés les uns à côté des autres à ce point-là ? Et que l’on me prenne dans les bras pour me dire : Recommençons à zéro. »

 

Milena Michiko Flasar Milena Michiko Flasar  La Cravate  Editions de l’Olivier - A paraître le 29 août 2013

Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Mannoni