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04/12/2025

Pierre Guyotat : Eden, Eden, Eden

Pierre Guyotat, Pierre Guyotat (1940-2020), est un écrivain et dramaturge français. Dans son œuvre, qui fait toujours scandale, il invente un monde de sexe et de guerre et des formes nouvelles d'expression. Eden, Eden, Eden, paru en 1970 vient d’être réédité.  

A l’époque, le livre est interdit à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs. Une pétition internationale de soutien à l’ouvrage est signée (notamment par Jean-Paul Sartre, Joseph Kessel, Max Ernst, Italo Calvino, Jacques Monod, Simone de Beauvoir etc.). François Mitterrand, dans une communication orale à l'Assemblée nationale, et Georges Pompidou, alors président de la République, dans une lettre à son ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin, interviennent en faveur de l’ouvrage, mais l’interdiction n’est pas levée. L'interdiction du livre ne sera levée qu'en novembre 1981.

Cette longue introduction pour vous prévenir qu’il s’agit d’un livre destiné à un public averti.

Je tente un résumé succin de ce que j’en ai compris : le récit se déroule durant la guerre d’Algérie, dans les campagnes ou plutôt le désert, et tout le texte n’est qu’une succession de violences, la guerre mais surtout les dégâts collatéraux qui en résultent, viols de femmes, d’enfants, vivants ou morts, crimes, inceste, la faim qui ronge, bordels des deux sexes…

Déjà, je constate que la majorité d’entre vous m’ont quitté alors que je ne vous ai parlé que du fond du récit.  

Reste la forme et c’est peut-être ce qui m’a été le plus dur à supporter : le texte est d’un seul bloc, on pourrait même dire fait d’une seule phrase. Aucun chapitres, ni paragraphes, ni passages à la ligne, un long jet unique, où nul point ne nous permet de respirer, seuls des points-virgules ou des virgules voire des doubles-points (:) balisent le terrain.  

Et ce terrain, parlons-en : un vomissement continu, une éructation à répétition. Eden, mon œil, enfer de Dante, oui ! Les lecteurs pris dans la déferlante, comme les marins attirés/hypnotisés par le chant des sirènes n’ont d’autres choix que de succomber ou fuir après avoir balancer le bouquin par la fenêtre, ce bouquin maudit, écrit par un chaman halluciné !

Résumons, les propos sont horribles mais à faible dose je les aurais supportés, par contre, l’accumulation de répétitions scabreuses associée au style adopté par l’écrivain, c’en est trop pour moi. Reste cet OVNI dans ma bibliothèque, section Enfer.  

 

Un extrait lisible par tous :

« Ceux du RIMA se couchent sur la caillasse, la tête appuyée contre les pneus criblés de silex, d’épines, dénudent le haut de leur corps ombragé par le garde-boue ; les femmes bercent les bébés contre leurs seins : le mouvement de bercée remue renforcés par la sueur de l’incendie les parfums dont leurs haillons, leurs poils, leurs chairs sont imprégnés : huile, girofle, henné, beurre, indigo, soufre d’antimoine - au bas du Ferkous, sous l’éperon chargé de cèdres calcinés, orge, blé, ruchers, tombes, buvette, école, gaddous, figuiers, mechtas, murets tapissés d’écoulements de cervelle, vergers rubescents, palmiers, dilatés par le feu, éclatent : fleurs, pollen, épis, brins, papiers, étoffes maculées de lait, de merde, de sang, écorces, plumes, soulevés, ondulent, rejetés de brasier à brasier par le vent qui arrache le feu, de terre ; les soldats assoupis se redressent, hument les pans de la bâche, appuient leurs joues marquées de pleurs séchés contre les ridelles surchauffées, frottent leur sexe aux pneus empoussiérés ; creusant leurs joues, salivent sur le bois peint ; ceux des camions, descendus dans un gué sec, coupent des lauriers-roses, le lait des tiges se mêle sur les lames de leurs couteaux au sang des adolescents éventrés par eux contre la paroi centrale de la carrière d’onyx ; les soldats taillent, arrachent les plants, les déracinent avec leurs souliers cloutés ; d’autres shootent, déhanchés : excréments de chameaux, grenades, charognes d’aigles »

 

Pierre Guyotat, Pierre Guyotat   Eden, Eden, Eden   Gallimard L’Imaginaire  - 280 pages - 

Préfaces de Michel Leiris, Roland Barthès et Philippe Solers à l’édition de 1970.