10/05/2017
Joseph Czapski : Proust contre la déchéance
Joseph Czapski, né en 1896 à Prague (alors Autriche-Hongrie) et mort en 1993 à Maisons-Laffitte (France) où il vécut en exil après la guerre, était un artiste polonais, peintre, écrivain, essayiste et critique d'art. Combattant comme officier de l'armée polonaise au cours de la Seconde Guerre mondiale, il fut l'un des rares survivants des massacres d'officiers perpétrés en 1940 à Katyn par l'Union soviétique. Pour mémoire, le massacre de Katyn est l'assassinat de masse, par la police politique de l’Union soviétique au printemps 1940 dans la forêt de Katyn, village russe proche de Smolensk et de la frontière biélorusse, de plusieurs milliers de Polonais, essentiellement des officiers d'active et de réserve (dont des étudiants, des médecins, des ingénieurs, des enseignants etc.), et divers autres membres des élites polonaises considérées comme hostiles à l’idéologie communiste.
Après la déportation par les Russes de quatre mille officiers polonais dans le camp de Starobielsk, d’octobre 1939 jusqu’au printemps 1940, quatre cents d’entre eux furent déplacés à Griaziowietz, ce furent les seuls à échapper au massacre de Katyn. Dans ce camp, ces officiers tentent « de reprendre un certain travail intellectuel qui devait nous aider à surmonter notre abattement, notre angoisse, et défendre nos cerveaux de la rouille de l’inactivité. » Pour cela ils organisent des conférences abordant divers sujets. Joseph Czapski choisit de parler peinture et littérature, l’une de ces conférences, Proust contre la déchéance, dactylographiée en français entre fin 1943 et début 1944, vient d’être rééditée.
Un texte court, une cinquantaine de pages, mais d’une puissance inouïe. Puissance inouïe car il offre deux axes de réflexions, le dit et le non-dit. Le dit, c’est une sorte d’essai sur l’œuvre de Marcel Proust, construit sans aucun support (livres ou autres) si ce n’est la mémoire de Czapski et c’est impressionnant. En peu de pages il propose une excellente analyse d’A La Recherche du Temps Perdu, qui ne peu manquer à ceux qui ne l’ont pas lue de s’y précipiter et aux autres de se remettre en mémoire des passages, des situations, des angles de vue pleins d’intérêt. Si Joseph Czapski analyse Proust, il n’oublie pas de le remettre dans le contexte artistique de l’époque, démontrant ainsi l’immensité de sa culture.
Et puis il y a le non-dit qui force l’admiration et nous émeut au plus haut point. Ces hommes, prisonniers et condamnés, souffrant mille maux dans des conditions de vie éprouvantes, trouvent le moyen de s’organiser, de s’inventer une vie en résistance contre la mort promise en donnant des conférences ! Peut-on seulement imaginer cela ? Armés des connaissances archivées dans leur mémoire, ils instaurent des débats d’idées, ils élèvent l’âme de leurs collègues détenus. Au cœur de l’Enfer, ils crient non ! nous ne sommes pas encore morts, et ils jouent la culture contre la résignation et l’adversité.
Un texte sublime, forcément sublime.
« Je constate qu’en parlant de Proust je remplis ma conférence de détails concernant son œuvre et sa vie personnelle, mais je n’arrive pas à exprimer, moins encore à élucider en moi-même en quoi consiste la nouveauté, la découverte, l’essence de son œuvre. Ne possédant aucun livre, et ce qui est le principal ne possédant aucune éducation philosophique, je ne suis en état que d’effleurer à peine ce problème essentiel. Il est impossible de parler de Proust profondément en le détachant des courants philosophiques qui lui étaient contemporains, en taisant la philosophie de Bergson, son contemporain, qui avait joué un grand rôle dans son développement intellectuel. Proust fréquentait les cours de Bergson, qui jouissait entre les années 1890-1900 d’une énorme vogue et, à ce dont je me souviens, Proust connaissait Bergson personnellement. Le titre même de l’œuvre de Proust nous indique qu’il était hanté par le problème du temps. C’est le temps qu’étudiait Bergson du point de vue philosophique. »
Joseph Czapski Proust contre la déchéance Libretto - 81 pages –
L’ouvrage inclut un cahier photos et une biographie succincte de l’auteur
07:27 Publié dans ESSAIS | Tags : joseph czapski, marcel proust | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |
Commentaires
Forcément! Je devrais bien le relire.
Écrit par : keisha | 10/05/2017
Et moins de cent pages, ce n'est rien. Heureusement qualité et quantité n'ont rien à voir...
Écrit par : Le Bouquineur | 10/05/2017
je viens de le présenter à mon fidèle auditoire de la maison de retraite de Dinard , un bon moment pour elles comme pour moi.
Écrit par : luocine | 10/05/2017
Ca ne m’étonne pas car c’est un excellent texte, quelque soit l’angle sous lequel on l’aborde…
Écrit par : Le Bouquineur | 11/05/2017
Je viens de le sortir de la pile où je l'avais négligemment laissé. Vos conseils de lectures sont toujours précieux.
Écrit par : Cleanthe | 11/05/2017
Un livre qui mérite de passer en priorité. De plus, il ne vous retardera pas dans vos lectures car il est très court !
Écrit par : Le Bouquineur | 11/05/2017
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