16/03/2020
Ota Pavel : Comment j’ai rencontré les poissons
Ota Pavel, né Otto Popper (1939-1973), est un écrivain, journaliste et reporter sportif tchèque. Son père, Leo Popper est juif et sa mère chrétienne, il a deux frères, Jiri et Hugo. En 1939, la famille doit tout abandonner et déménager, elle s’installe dans la maison des grands-parents, à Busterhrad, en Bohème. En 1943, ses deux frères puis son père sont envoyés dans le camp de concentration de Terezin. Ota, reste avec sa mère. En 1964 il est atteint par une première attaque maniaco-dépressive, maladie qui l’affectera jusqu’à sa mort par crise cardiaque, il sera hospitalisé seize fois pour dépression. C'est durant cette période qu'il écrit tous ses livres, salués par le public et par la critique. Comment j’ai rencontré les poissons, roman qui vient d’être réédité en collection de poche avait fait l’objet d’une traduction chez nous en 2016.
Si je m’étends autant sur la biographie de l’auteur, c’est que tous ces détails sont évoqués dans ce livre largement autobiographique. Pour la forme, bien qu’il s’agisse d’un roman, le lecteur devra faire avec une succession de très nombreux petits chapitres - construits comme des nouvelles – chacun contant une histoire, avec une chute le plus souvent amusante ou ironique.
Le roman court de l’enfance de l’auteur jusqu’au décès de son père dans les années 60. Un père particulièrement présent tout au long de ce récit car doté d’une personnalité très forte. Quand débute l’ouvrage, il est représentant en aspirateurs et réfrigérateurs pour Electrolux, un job dans lequel il excelle, « il était né pour vendre », pour preuve il arrive à fourguer ses produits à des gens n’ayant pas encore l’électricité ! Le début du bouquin est franchement hilarant et si par la suite ça se calme, le ton général restera souriant même quand on s’y attendrait le moins.
Un père qui a deux passions, la vente comme nous l’avons vu, et les années passant, il devra maintes fois changer son fusil d’épaule, dans un autre épisode savoureux il casera du papier tue-mouches, d’où une situation financière et familiale en dents de scie, mais toujours il garde un moral de winner, un commercial dans l’âme. Son autre passion, peut être même la plus réelle, la pêche. Une passion que le narrateur fera sienne à son tour, tout le roman tournant autour de cette activité, avec ses joies, ses peines, ses déconvenues, permettant à l’écrivain d’en tirer une philosophie de vie : « Je ne sais pas très bien moi-même pourquoi j’aime à ce point les ruisseaux, sans doute parce qu’ils sont spéciaux et libres de toute occupation humaine », la liberté, le maître-mot.
Le roman oscille entre le très drôle et le souriant mais aussi l’émouvant parfois ; pourtant derrière cette posture il y a l’arrivée de la guerre, l’occupation nazie de la Tchécoslovaquie, les camps de concentration, puis le communisme…. – et là se trouve la très grand qualité de ce livre – toutes ces informations sont glissées subrepticement dans le texte, d’une phrase pour ainsi dire anodine par-ci par-là, « Mais ils avaient un grand avantage sur nous. Aucun d’entre eux ne s’était envolé par une cheminée de four à gaz », comme s’il ne s’agissait que de détails : le lecteur n’apprend que tardivement que le père est juif ou que ses frères plus âgés sont partis en camps de concentration… L’humour du récit conté par un gamin met le lecteur dans une position étrange, obligé de sourire devant tant de situations cocasses, il doit aussi faire avec ce qu’il sait de l’Histoire tragique de l’époque. Très fort !
Il est rare que je m’attarde sur la postface d’un livre mais ici elle prend une saveur particulière, nous éclairant sur la vie et la fin de l’écrivain, ce qui ajoute rétrospectivement à la valeur du roman.
« Bien du temps s’était écoulé depuis ce jour. Que devenait Hugo ? Peut-être qu’à la place du pain estampillé, il poussait des charrettes de cadavres pour les emmener à l’incinération, et ces morts avait un numéro tatoué qui ne leur servirait plus ni sur terre ni au ciel. Il paraît que le Bon Dieu vous reçoit au ciel dans un tout autre ordre. Nous, nous vivions encore là. Maman. Moi. Voilà pourquoi je partis à l’étang du moulin chercher la grand-mère carpe avec ses quatre barbillons. »
Ota Pavel Comment j’ai rencontré les poissons Folio – 274 pages –
Traduit du tchèque par Barbora Faure - Postface de Mariusz Szczygiel traduite du polonais par Margot Carlier
07:00 Publié dans Etrangers | Tags : ota pavel | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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