13/02/2025
Sébastien Rutés : Pas de littérature !
Sébastien Rutés, né en 1976 à Annecy, est un universitaire et un romancier français. Agrégé d'espagnol, il obtient son doctorat en 2003 avec une thèse consacrée aux stratégies de l'intertextualité dans l'œuvre du romancier mexicain Paco Ignacio Taibo II. Maître de conférences à l’Université de Lorraine, il enseigne pendant quinze ans la littérature latino-américaine et consacre sa recherche aux littératures de genre dans le monde hispano-américain, plus particulièrement au Mexique. Désormais, il se consacre à l’écriture et à la traduction. Polar paru en 2022, Pas de littérature ! vient d’être réédité en poche.
Un polar bien farfelu mais pas idiot qui fait mentir son titre puisqu’il n’y est question que de littérature !
Paris et région parisienne en avril 1950. Grégoire Centon est traducteur pour la Série Noire, fondée il y a cinq ans par Marcel Duhamel. Parlant mal l’anglais, en réalité c’est son épouse Gisèle qui assure la traduction, lui en donne une version finale agrémentée d’argot qu’il s’efforce d’apprendre en fréquentant bistrots et lieux mal famés. On l’a compris, la traduction ce n’est pas la vie rêvée de Gringoire qui se verrait plutôt écrivain. A son corps défendant il va se trouver embringué dans une rocambolesque affaire, chargé de retrouver le « nègre » de Sachem, un truand au lourd passé, qui prend sa retraite et veut rédiger ses Mémoires !
J’abandonne toute tentative pour résumer l’intrigue complexe car trop abracadabrante mais tellement drôle. Pour l’ambiance, imaginez un pastiche des romans de Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avec des dialogues à la Michel Audiard. L’humour suinte à chaque ligne, « Le poète a dit : la poésie est une arme. Le voyou pouffa : « Sauf si on est Mallarmé ! » » Le récit court à une allure folle, les amis deviennent les ennemis et vice-versa, les personnages s’accumulent à en perdre le fil. Un truc à la Mel Brooks.
Comme c’est un bon bouquin, nous n’en restons pas là. Les années 50, donc l’après-guerre, fournissent à l’écrivain matière à enrichir son texte et son scénario. Que ce soient d’anciens collaborateurs jouant sur les deux tableaux, occupants puis libérateurs du pays, pillages de biens juifs comme des livres rares, ou bien encore sur la situation géopolitique, l’Indochine et son opium, la redistribution des cartes en Europe par les Américains ouvre l’appétit des caïds yankees arrivés dans le sillage des GI et Marseille devient le lieu idéal pour monter des filières. C’est dans ce marais qu’évoluait le Sachem, donc il en savait beaucoup trop, autant pour les truands que pour ceux des administrations (police etc.) cherchant à se blanchir aujourd’hui. Tout ce petit monde veut la peau du Sachem qui veut faire de sa vie un roman pour la Série Noire et Gringoire d’être balloté entre les uns et les autres.
Le roman prend de l’étoffe n’est-ce pas ? Et ce n’est pas terminé puisque le propos principal c’est la littérature. Les écrivains connus sont cités à foison, François Villon en particulier au vu de sa proximité avec la truanderie. Sébastien Rutés balance les aphorismes et réflexions plus qu’intéressantes sur le job de traducteur, la littérature du polar et le rapport étroit entre littérature et vie en général : « Le réel inspire la littérature et la littérature influence le réel, l’ensemble se fond dans le grand creuset de nos imaginations, le crime réel et le crime fictif, le détective et l’auteur, l’auteur et le criminel, le détective et le lecteur… »
Un bouquin de deux-cents pages aussi garni, moi je dis que c’est une affaire à ne pas manquer.
« Impossible de discuter avec Gisèle, elle connaissait les arguments pour me convaincre. Du moins, elle savait retourner contre moi mes propres arguments. La France de la Libération incarnait à merveille ce grand palimpseste de textes effacés à la hâte et réécrits de même, cette superposition de traductions plus ou moins fidèles où l’on remaniait les intrigues et où les salauds devenaient des héros, et vice-versa. Il ne fallait pas chercher ailleurs le secret de la réussite de la Série Noire. Duhamel était un visionnaire : l’ère des belles infidèles était revenue, et on n’était pas près d’en sortir. »
Sébastien Rutés Pas de littérature ! 10-18 - 234 pages -
PS : Revenez dimanche pour un Verbatim copieux qui vous donnera une bonne idée du contenu réel du roman.
06:00 Publié dans POLARS | Tags : sébastien rutés, dashiell hammett, raymond chandler | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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