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08/04/2023

Le polar est-il mort ?

Trop de polars lus ces derniers temps m’affligent pour différentes raisons et je n’y trouve plus le plaisir que j’en retirais jadis avec les cadors du genre, Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Agatha Christie etc.  Le polar est-il mort ? Si le corps est toujours tiède on peut s’interroger et dans ce cas a-t-il été assassiné ou bien est-il mort de mort naturelle ? L’enquête est ouverte.

La probabilité d’une mort naturelle est la plus facile à imaginer tant ce genre littéraire est coincé dans ses propres codes. Si j’analyse rapidement tous les bouquins du genre lus depuis une éternité, nous avons ceux où un crime est commis et le meurtrier doit être découvert et ceux où le meurtrier est connu immédiatement mais c’est la manière dont on va le démasquer qui prime, à moins que le meurtrier ne soit déclaré mort à tort dès le début du roman. Qui dit crime, dit mobile, là encore soit il s’agit d’une affaire de cœur/femme ou autres sexes, soit c’est pour l’argent/le profit à moins que ce ne soit un crime accidentel/légitime défense. On peut aussi panacher.

Arrivé à ce point de l’histoire du polar, les écrivains se lançant dans le genre et voulant se distinguer ont été obligés de surenchérir, les pistes pouvant les amener à truffer leurs romans de scènes de sexe, de morts bien répugnantes avec moult détails bien cradingues par exemple. La beauté de l’intrigue étant repoussée au second plan, on force sur le sordide qui excite et fait parler la critique, on surfe sur le buzz. A moins qu’on ne se hasarde hardiment dans le polar historique, idée originale qui nous a donné quelques jolies choses. D’autres, plus ambitieux et avec plus d’envergure ou ayant mieux lu leurs aînés, ont appuyé sur un point qui a toujours existé dans le polar, son côté social, en mettant au cœur de leur ouvrage, une ville, une époque, un milieu professionnel ou autre. 

Les écrivains épuisés d’avoir cherché un filon prometteur autant que vain, leurs éditeurs ont pris le relai et là coup magistral, au début du moins, ils ont inventé le polar nordique ! Une floppée de braves types venus de leur Islande ou Norvège nous ont abreuvé de bons bouquins avant que des copieurs moins doués ne tarissent ce filon ; mais l’idée n’est pas morte puisque d’autres livres nous arrivent d’Israël, d’Inde ou du Japon et de la Corée… Les vertus de l’exotisme font bouger le cadavre.

On aura compris, le genre trop formaté du polar le contraint à respecter ses règles sous peine de se voir exclu de sa catégorie mais à trop les respecter il se tue lui-même. Cruel dilemme !

Sauf que les règles et le formatage ne jouent que sur un seul aspect d’un roman, quel qu’il soit, le second résidant dans le talent de celui qui le rédige. Or, le drame est là. Beaucoup s’imaginent qu’écrire un polar est à la portée de tous et cette manie moderne de tous vouloir se croire écrivains, beaucoup se sont rués sur cette ouverture « fastoche » aidés par des éditeurs complices du crime car toujours à la recherche de nouvelles plumes pour étoffer leurs catalogues, secondés par des médias las de parler toujours des mêmes auteurs et propulsant au rang de cador en devenir un quelconque plumitif ayant pondu un gentil bouquin ; résultat, une avalanche de polars de piètre qualité envahissent les tables des librairies, les bons auteurs, car il y en a, se retrouvant noyés sous la masse des moyens voire des médiocres écrivains. Le bouche à oreille n’y peut rien car là encore, notre époque tendant à privilégier la nouveauté à la qualité avérée, les blogueurs submergés par l’offre nous parlent d’abord des nouveautés sorties de nulle part pour être parmi les premiers sur le coup, au détriment des valeurs sûres mais déjà connues depuis (trop) longtemps à leurs yeux.

En conclusion, je pense que le polar n’est pas mort puisqu’il en sortira de nouveaux régulièrement mais qu’il est mourant, maintenu dans un coma artificiel éternel. Certains diront qu’il se renouvelle sans cesse, mais en quoi exactement ? Un crime (ou plus), un assassin (ou plus), un mobile (ou plus), point barre. Seule l’écriture, le style de l’écrivain peuvent lui redonner des couleurs et nous redonner du plaisir de lecture, mais ce ne sont que les signes classiques d’un corps dans le coma.