24/03/2013
Gladys Huntington : Madame Solario
Gladys Huntington, née Parrish, (1887-1959) est une romancière américaine. Elle est l'auteur d'un unique roman connu, Madame Solario. Issue d’une famille de Quakers de Pennsylvanie, elle épouse sur le tard Constant Huntington, éditeur chez Putnam, et descendant de l’une des grandes familles puritaines de Nouvelle-Angleterre. Très déprimée, malgré ou à cause du succès de son unique roman publié anonymement en 1956, elle se suicide trois ans plus tard. Elle laisse un roman inachevé et inédit, The Ladies’ Mile.
Personnellement je n’avais jamais entendu parler de ce roman et encore moins de cet écrivain mais il est qualifié de livre culte comme on dit souvent quand il s’agit de déterrer un bouquin oublié de tous. Sauf que cette fois, ce n’est pas faux. Paru anonymement en 1956, le roman fit l’objet de multiples spéculations sur son auteur et ce n’est que très récemment qu’il a été identifié avec certitude. L’enquête sur ce mystère est très bien détaillée dans la préface de Bernard Cohen et peut être consultée sur le site de Libération. Au secret concernant l’identité de l’auteur du roman, s’ajoute le piment caché au centre de l’ouvrage, le viol de Madame Solario par son beau-père ainsi que des rapports incestueux avec son frère. On comprend mieux ainsi pourquoi ce roman mérite le terme de « culte ».
Début du XXe siècle, année 1906 plus précisément, sur les bords du lac de Côme en Italie, l’aristocratie européenne prend des vacances. Balades en canot sur le lac, thé, bals mondains, la riche société se la coule douce dans un paysage de rêve et d’insouciance. Bernard Middleton, un jeune Anglais, profite de ses dernières semaines de vacances en Italie avant de retourner dans son pays, pour entrer dans le monde de la banque afin de satisfaire ses parents. Ensorcelé par le charme de Natalia Solario, de près de dix ans son aînée, il tombe amoureux d'elle, sans trop bien le réaliser au début. De son côté, le comte Kovanski, un Russe de Saint-Pétersbourg aussi mystérieux qu’antipathique, paraît très intéressé par cette même femme, discrète et séparée de son mari, la surveillant sans cesse, jaloux, il fut son amant à une certaine époque. Jusqu’au jour où débarque à l’improviste après douze ans de séparation, Eugene Harden, frère de madame Solario. Désormais le frère et la sœur vont former un couple fascinant pour la microsociété de l’hôtel, tant par leur élégance naturelle que par le voile discret taisant leur passé comme leurs origines. Eugene et Natalia sont liés par un terrible secret, violée par son beau-père, elle a presque été vengée par son frère, qui a blessé au pistolet l'auteur du forfait et depuis le jeune homme a été contraint à un long exil.
Le roman est construit en trois chapitres clairement dissociés autant que caractéristiques. Le premier, nous permet de découvrir les lieux enchanteurs de l’intrigue et l’héroïne madame Solario, par les yeux de Bernard Middleton. Les pages dégagent une sensation de luxe et d’aisance, de calme et de bienséance comme il est de bon ton pour cette société d’aristocrates. L’écriture est superbe, des phrases légères mais pleines de sens, longues en bouche et distillant une musique parfaitement rythmée ; il y a du Proust là dedans, en moins précieux ou affectés, quand Gladys Huntington s’étale sur la langueur des sentiments de Bernard Middleton pour madame Solario.
Le second chapitre est comme un pavé dans cette mare d’eau dormante. Eugene Harden entre en scène et dans son sillage il y a une odeur d’aventures troubles et de vulgarité. Derrière un aspect très bon chic bon genre, l’homme se révèle très vite manipulateur et calculateur. Il est venu avec l'intention de demander des comptes à sa sœur à propos de l'héritage familial et il échafaude ensuite plusieurs plans de liaisons ou de mariages pour lui ou sa sœur, avec certains des clients de l'hôtel, pour tenter d'assurer leur situation financière. Bernard Middleton n’apparaît pas dans ce chapitre, l’auteur nous confie au frère et à la sœur. Les phrases sont plus courtes, mieux adaptées à l’intrigue et au machiavélisme trivial du frère à la recherche d’un magot leur assurant des vieux jours heureux.
Le dernier chapitre est la conséquence du pavé tombé dans cette mare, l’eau jaillit et s’échappe, tout comme madame Solario qui entraîne malgré lui Bernard Middleton dans une fuite folle. Tous deux quittent l’hôtel comme des évadés pour rejoindre Milan mais sont rejoints par Eugene Harden et Kovanski pour un règlement de comte (sic !) final. Bernard Middleton qui n’aura eu droit qu’à un baiser léger de madame Solario, retournera en Angleterre, le Russe n’ira plus nulle part et le couple maudit ira certainement partout où il pourra y trouver son intérêt.
Un roman magistral où le piment annoncé en début de chronique n’emporte pas la gueule par sa crudité, il est suggéré, sans plus. On s’attache aux personnages, que ce soit Bernard jeune et innocent amoureux naïf ou à cette étrange Natalia Solario, discrète, secrète, ambiguë aussi car on ne sait jamais réellement ce qu’elle pense ou veut. Agit-elle pour satisfaire Eugene, contrainte et forcée en somme, ou bien est-elle totalement en accord avec lui ? Rien n’est moins sûr.
« A l’autre bout du corridor, madame Solario venait vers lui. Ils marchèrent à la rencontre l’un de l’autre et, pendant les dernières secondes, avant qu’ils ne se rejoignissent devant la porte de la jeune femme, il eut conscience de certains détails, comme le frou-frou de sa jupe et le port de sa tête rejetée un peu en arrière. Elle attira Bernard dans la pièce, sans refermer la porte, qu’elle laissa entrouverte. Tandis qu’il demeurait pétrifié, elle leva le bras dans un geste d’une grâce admirable et pencha vers elle la tête de Bernard jusqu’au moment où les lèvres du jeune homme pressèrent les siennes. Puis, se dégageant de ses bras, elle le poussa dehors. »
Gladys Huntington Madame Solario Les Belles Lettres
Traduit de l’anglais par Renée Villoteau avec la collaboration de l’auteur
14:36 Publié dans Etrangers | Tags : gladys huntington | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |