30/06/2025
Percival Everett : Châtiment
Percival Everett, né en 1956 en Géorgie, est un écrivain et professeur américain. Auteur polyvalent, ses écrits se situent à la frontière de plusieurs genres littéraires. Percival Everett est professeur d'anglais et directeur du département de littérature anglaise à l'université de Californie du Sud à Los Angeles. Châtiment date de 2024.
De nos jours à Money, une petite ville du Mississipi. Un homme Blanc est assassiné chez lui dans des conditions atroces, à ses côtés le cadavre d’un homme Noir tenant dans ses mains les testicules arrachées au premier. Pour le shérif Red Jetty et son adjoint pas fûté Delroy Digby ce n’est que le début d’une sale affaire car dès le lendemain, rebelote, même scénario avec le même cadavre Noir dont le corps avait disparu de la morgue !
Un excellent roman qui dépasse le simple cadre du polar, pour la forme, en faisant très fort sur le fond.
La police locale est dans le flou le plus complet, des Blancs assassinés et un mort Noir qui se volatilise puis revient sur les lieux d’un autre meurtre. Les rumeurs les plus folles commencent à circuler, il serait question de fantômes… ? Alertés par ces évènements étranges, deux agents fédéraux Noirs déboulent dans la ville (et je n’ai pu m’empêcher de penser à Ed Cercueil et Fossoyeur Jones de Chester Himes), au grand dam du shérif qui y perd son autorité et parce que ce sont deux Noirs qui prennent l’enquête en main.
Le polar monte en intensité quand il prend une tournure légèrement fantastique, le cadavre de l’homme Noir ressemble étrangement à Emmet Till. Emmett Till (1941-1955) est un adolescent afro-américain qui fut lynché et torturé à mort ici-même à Money sur des accusations mensongères. Son meurtre est l'un des principaux événements tragiques qui ont jalonné le mouvement américain des droits civiques. Mama Z, une « sorcière » locale centenaire ajoute un doigt d’étrangeté au scénario et l’entrée en scène de Herberta Hind, une agente du FBI, Noire (elle aussi !) rend fou le shérif.
Tous ces mystères vont prendre encore plus d’ampleur quand ces scènes de meurtres vont se répéter aux quatre coins du pays, de Chicago à la Californie, culminant dans une séquence rocambolesque et hilarante avec le même type de meurtre à la Maison Blanche et un Donald Trump ridiculisé par l’écrivain…
La grande force du roman tient dans la manière dont Percival Everett traite son sujet : Le racisme et la violence raciale, lynchage et violences policières qui ne sont que le reflet d’une culpabilité collective quand la Justice ne frappe pas les vrais criminels. La société américaine s’avère prisonnière de son passé, empêtrée dans ses contradictions, une situation que le Trumpisme ne fait qu’aggraver.
Ce thème éminemment grave et dur, l’auteur parvient à le rendre extrêmement drôle à lire (« - Et moi, vous me détestez ? demanda Hattie. – Pas encore, mais t’es la prochaine sur la liste. – C’est chic de ne pas se sentir exclue. ») par le biais du mode polar faussement mâtiné de fantastique. Rire pour ne pas pleurer ?
Une lecture impérative qui entre directement et à l’unanimité dans ma liste des coups de cœur.
« - Même si je croyais qu’il y a un dieu, je ne croirais pas ça. Moins d’un pour cent des lyncheurs ont été inculpés un jour. Et seule une fraction d’entre eux a purgé une peine. Teddy Roosevelt prétendait que la principale cause de lynchage était le viol de Blanches par des Noirs. Tu sais quoi ? Ce n’est pas arrivé. – Pourquoi pensez-vous que les Blancs ont tellement peur de ça ? – Qui sait. Une déficience sexuelle, peut-être. Une amplification de leur propre désir de viol, qu’ils ont d’ailleurs commis » Mama Z lâcha une bouffée de fumée. « Mais je crois que le viol n’était qu’une excuse. – Vous pensez que les Blancs ont juste peur des hommes noirs ? – Je pense que c’est un sport. »
Percival Everett Châtiment Babel Noir - 360 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut
« Bienvenue dans le comté de Carroll, Mississipi, le cadre de Carroll County Accident, le hit de Porter Wagoner, mille six cents kilomètres d’hospitalité du Sud. »
06:00 Publié dans POLARS | Tags : percival everett | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |