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13/12/2018

Pierre Bayard : Qui a tué Roger Ackroyd ?

Pierre Bayard, Agatha ChristiePierre Bayard, né en 1954, est professeur de littérature française à l'université de Paris VIII et psychanalyste. Auteur de nombreux essais dont l’un des plus connus est Comment parler des livres que l’on n’a pas lus (2007), il avait déjà fait paraître en 1998 ce retentissant Qui a tué Roger Ackroyd ?, un essai dans lequel il s’attaque au célèbre roman d’Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, pour démontrer que l’assassin démasqué par Hercule Poirot n’est pas le bon. Le détective Belge se serait complètement gouré !

Si vous n’avez pas lu le roman de Lady Agatha Christie, Pierre Bayard en donne un résumé largement détaillé pour faciliter la compréhension de son raisonnement. Mais, entre nous, s’il y en a qui n’ont pas encore lu ce livre ( ?), commencez par là… Je vous en rappelle rapidement le thème : A King's Abbot, un petit village de la campagne britannique, Roger Ackroyd est assassiné dans son bureau. Hercule Poirot s'est installé dans ce village après avoir pris sa retraite. Il mène l'enquête, accompagné de son voisin, le docteur Sheppard, qui est également le narrateur de l'œuvre.

Le culot ou la provocation du sujet traité par l’auteur me séduisait et, globalement, le bouquin m’a régalé tant je l’ai trouvé intellectuellement ébouriffant. Mais il n’est pas exempt de critiques pour autant. Par exemple, il y a deux parties - je ne parle pas du découpage du texte mais des deux angles de traitement du sujet par l’auteur – mêlées. L’une s’attache à démonter le raisonnement de Poirot en partant des faits de l’intrigue, de ce qu’il en sait ou non et in fine aboutir à découvrir le coupable du meurtre. Hercule Poirot a son coupable tandis que Pierre Bayard, à partir de ces mêmes renseignements en tire une conclusion tout autre avec un assassin différent. Cette partie est excellente, nos petites cellules grises s’activent et la jubilation est totale. L’écrivain connait parfaitement son sujet et les œuvres complètes d’Agatha Christie sur le bout des doigts. Il traite aussi d’une manière plus générale du roman policier à énigme et de ses règles théorisées par Van Dine (1888-1939) et extrapolées à travers l’œuvre de d’Agatha Christie.  Ne serait-ce que pour tout cela, cet essai mérite largement d’être lu.

La « seconde partie » m’a moins emballé quand le psychanalyste force son art, poussant trop loin son analyse psychologique, que ce soit à partir d’autres œuvres (Freud etc.) ou même dans son écriture qui semble pasticher le style ampoulé des ouvrages de ce genre, se lançant dans des phrases bigrement chantournées. Mais peut-être est-ce de l’humour ? Par contre ce qui est vrai c’est qu’il y a du tirage à la ligne et des répétitions.

Enfin, dernier point troublant. Dans son décorticage du roman, Pierre Bayard analyse les caractères des personnages comme s’il s’agissait d’être humains réels ; or ce ne sont que des marionnettes sans vie propre actionnées par la seule volonté d’Agatha Christie. D’où ma question, pourquoi aurait-elle caché à ses lecteurs l’identité réelle du meurtrier de Roger Ackroyd et fait passer Hercule Poirot pour un incapable ?

Pour conclure : 1- tout le monde doit lire le roman d’Agatha Christie 2- si vous envisagez d’écrire un polar lisez cet essai d’abord car il est riche en enseignements 3- tout le monde lira ce bouquin car il est diablement séduisant intellectuellement parlant. 

 

« Toute la littérature théorique sur le roman policier d’énigme est dominée par un principe de dissimulation qu’Agatha Christie semble avoir porté à sa perfection, principe qui se décompose en deux règles. La première est que la vérité doit être cachée pendant l’ensemble du livre. Le roman policier n’a de sens que si la vérité n’est pas révélée avant la fin du texte et, si possible, avant les toutes dernières pages. Cette dimension ludique est essentielle à la constitution même de l’aveuglement, qui prend d’autant plus de force qu’il est tardivement dissipé. Second aspect du même principe : tout en étant cachée, cette vérité doit être accessible au lecteur, et même placée en évidence. Il ne serait pas conforme au genre que la vérité soit liée à des éléments que le lecteur n’avait pas à sa disposition : personnage inconnu, indice caché, etc. cette seconde règle distingue ce type de roman d’autres formes policières où l’essentiel est moins la solution d’une énigme que la description d’un milieu ou la peinture d’une atmosphère. »

 

 

Pierre Bayard, Agatha ChristiePierre Bayard   Qui a tué Roger Ackroyd ?   Les Editions de Minuit – 169 pages –