02/02/2017
Christophe Boltanski : La Cache
Christophe Boltanski, né en 1962, est un journaliste, écrivain et chroniqueur. Après des études achevées en 1987 au Centre de formation des journalistes, Christophe Boltanski travaille au Progrès égyptien (dans le cadre de son service national) puis pour le quotidien Libération de 1989 à 2007 et depuis, pour le magazine L’Obs. Lauréat du prix Femina 2015 pour son roman La Cache qui vient de paraître en collection de poche.
« Que se passe-t-il quand on tête au biberon à la fois le génie et les névroses d’une famille pas comme les autres, les Boltanski ? Que se passe-t-il quand un grand-père qui se pensait bien français, mais voilà la guerre qui arrive, doit se cacher des siens, chez lui, en plein Paris, comme un clandestin ? Quel est l’héritage de la peur, mais aussi de l’excentricité, du talent et de la liberté bohème ? Comment transmet-on le secret familial, le noyau d’ombre qui aurait pu tout engloutir ? » S’interroge la quatrième de couverture en listant les thèmes abordés par ce livre.
Comme il s’agit d’un roman autobiographique, autant savoir dès maintenant que l’écrivain est le fils du sociologue Luc Boltanski et le neveu du linguiste Jean-Elie Boltanski et de l'artiste plasticien Christian Boltanski, et que sa grand-mère Myriam a publié sous le pseudonyme d’Annie Lauran. Tous ces personnages étant au cœur du bouquin.
Honnêtement, je craignais un peu en ouvrant ce livre de retomber dans du déjà lu, la persécution des Juifs durant la seconde Guerre mondiale, les planques, toutes choses épouvantables certes et qui doivent être dites et redites pour les jeunes générations d’aujourd’hui et de demain, mais dont je ne suis plus. Et puis, divine surprise, s’il s’agit bien du sujet du livre, Christophe Boltanski a trouvé l’art et la manière de le raconter de manière carrément éblouissante.
Saluons la construction de ce roman. Un récit linéaire aurait sûrement finit par ennuyer le lecteur, Boltanski propose donc une construction légèrement déconcertante (incluant des retours en arrière) qui induit une part de mystère – surtout au début du bouquin, le temps de s’y glisser et d’accepter les bizarreries de vie de la famille – et une lecture attentive pour ne pas en perdre le fil et les liens familiaux entre les uns et les autres. Parallèlement à ces astuces narratives, l’architecture du roman se calque sur celle de l’hôtel particulier, situé rue de Grenelle à Paris où vit la tribu Boltanski : un chapitre, une pièce de l’appartement. L’architecture du bâtiment proposant elle aussi une astuce au grand-père de l’auteur, car c’est dans un vide anachronique qu’il trouvera une cache minuscule pour se terrer durant vingt mois et échapper aux rafles de l’Occupation.
Ces vingt mois de planque sauveront physiquement le grand-père mais il en gardera un profond traumatisme psychologique qui s’étendra au reste de la famille. Paradoxalement, si le titre du livre fait référence à la cachette du grand-père, ce n’est pas lui le personnage central du roman mais la grand-mère, « Mère Grand », une femme à la forte personnalité, c’est le moins que l’on puisse dire. Paralysée par la poliomyélite mais menant tout son monde à la baguette, régissant son entourage, organisant les faits et gestes des uns et des autres. C’est elle qui marque ses proches, tout comme elle marquera les lecteurs par son parcours exemplaire.
J’ai évoqué la construction du roman mais l’écriture elle aussi mérite des louanges : rythmée, légère et jamais pleurnicharde, drôle parfois (le déguisement prévu par le grand-père pour fuir en zone libre !), touchante souvent.
J’ai ouvert le bouquin sur la pointe des pieds comme je l’ai dit, mais bien vite je me suis senti happé par ce scénario qui mêle souvenirs d’enfance, enquête sur le terrain (à Odessa) et supputations ; et plus le livre se rapproche de la fin, plus le texte prend de l’épaisseur.
Un très bon bouquin, tant sur la forme que sur le fond.
« Tiré de sa cachette, il fit ce qu’on attendait de lui. Il réintégra la société. Il recommença sa vie d’avant, comme si de rien n’était, sans plaintes, sans esprit de vengeance, sans rien demander à personne. Il reprit son travail et retrouva ses collègues. Le chef de service qui avait pris sa place, l’interne qui se réjouissait de le voir porter l’étoile jaune, le grand patron responsable de son expulsion. Tous ces gens estimés qui espéraient ne plus le revoir. Il ne leur fit aucun reproche. Il se contenta de les éviter en dehors de l’hôpital. Parmi ses pairs, il ne fréquentait que les parias. »
Christophe Boltanski La Cache Folio – 329 pages –
07:41 Publié dans BIOGRAPHIES, RECITS | Tags : christophe boltanski | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |